n°167 - avril / mai 2022

Transparence : de nombreux verrous

Par Christophe NOISETTE

Publié le 05/04/2022

Partager

La transparence est devenue un mot d’ordre des institutions européennes, tant dans les discours que dans les procédures de prise de décision. Mais face aux intérêts économiques et commerciaux, la transparence cède le pas…

La transparence, prônée par les instances européennes et nationales, ne doit pas empiéter sur le commerce. La croissance, l’innovation, le progrès technique sont des piliers de nos sociétés industrielles et toute velléité d’augmenter la transparence est immédiatement analysée sous le prisme économique… et limitée par le secret commercial, la confidentialité de certaines données, des traités bilatéraux et la coopération réglementaire…

L’opacité des négociations bilatérales et de la coopération réglementaire

L’Union européenne a un cadre réglementaire sur les OGM qui a été discuté démocratiquement. En théorie. En effet, des discussions importantes échappent au contrôle démocratique et se déroulent dans le cadre d’accords multilatéraux ou d’instances relativement opaques en dehors de tout traité de libre échange.

Ces instances de discussions et de coopérations entre l’Union européenne et ses « partenaires commerciaux » sont nombreuses. Avec les États-Unis ont été récemment créés le Joint Technology Competition Policy Dialogue (Dialogue conjoint sur la politique de concurrence technologique) et le EU-US Trade and Technology Council (TTC, Conseil du commerce et de la technologie entre l’UE et les USA). Les dirigeants se veulent toujours rassurants en précisant que ces « dialogues […] sont de nature juridiquement non contraignante et sans préjudice de l’autonomie de l’Union européenne et des États-Unis en matière de réglementation et d’application de la loi ». En effet, les participants de ces dialogues n’ont pas de mandat démocratique et ne peuvent donc légiférer. Cependant, bien naïf celui qui croit que ces dialogues n’ont pas de poids ou d’implication. Nous noterons d’abord que c’est toujours la Commission européenne, donc une instance non élue, non démocratique, sujette à l’influence des lobbies, qui participe à ces « dialogues ».

Avec le Canada, le dialogue se déroule dans le cadre d’un traité de libre échange, le Ceta. Ce dernier laisse une large place à la coopération réglementaire entre l’Union européenne et le Canada. Cette coopération concerne les différents domaines couverts par ce Traité, et notamment celui des biotechnologies via le « Dialogue sur les questions d’accès au marché des biotechnologies ». Concrètement, ce « dialogue » doit « favoriser l’utilisation de processus d’approbation des biotechnologies efficaces et fondés sur des données scientifiques » et « réduire au minimum les répercussions commerciales négatives des pratiques réglementaires relatives aux produits de biotechnologie ».

Le but de ces dialogues et des traités bilatéraux est de faciliter le commerce entre les parties. Or, les entraves au commerce sont souvent évoquées en termes d’hétérogénéité des réglementations. Donc, pour le dire crûment, faciliter le commerce consiste à harmoniser les législations « par le bas », c’est-à-dire par la législation la moins contraignante pour les entreprises, celle qui leur laisse les mains libres. Concrètement, l’accord avec le Canada a comme objectif « (d’) améliorer les conditions de la compétitivité et de l’innovation, y compris en cherchant à assurer la compatibilité, la reconnaissance d’équivalence et la convergence des réglementations » (article 21.5). La conséquence serait que des marchandises canadiennes qui ne respectent pas les normes européennes puissent malgré tout arriver sur ce territoire, en contre-partie ou non d’avantages consentis par le Canada pour des marchandises européennes.

Un autre exemple, hors Union européenne, permet d’illustrer cette harmonisation « par le bas » pour faciliter les échanges commerciaux. Dans le cadre d’un nouvel accord de libre-échange conclu le 2 avril 2007 [1], la Corée du Sud dispense les aliments GM fabriqués aux États-Unis des tests de sécurité normalement imposés, en échange de l’accès au marché étasunien du textile sud-coréen.

Plus récemment, en 2021, Biotechnology Innovation Organization (BIO), un lobby important des biotechnologies, a demandé à la Maison Blanche d’utiliser l’accord bilatéral avec le Mexique pour prendre des mesures à l’encontre de ce pays. L’idée est « de faire face au refus persistant du Mexique d’approuver les cultures génétiquement modifiées et contrer la menace du Mexique d’interdire le maïs OGM dans l’alimentation humaine », selon la déclaration faite devant les membres du Sénat étasunien par la présidente et directrice générale de la BIO, Michelle McMurry-Heath. Et, selon le journal Agri Pulse, cette déclaration a été bien accueillie par les Sénateurs qui se disent consternés par les mesures mexicaines.

Évaluation des OGM : la Commission renforce la confidentialité des données

En juin 2016, l’Union européenne a adopté sa nouvelle directive « Secret des affaires » [2]. Cette directive prévoit des mesures de « réparation » en cas « d’obtention, d’utilisation et de divulgation illicites de secrets d’affaires ». Il devient donc illégal de détenir ou diffuser des informations jugées confidentielles par son propriétaire (qui doit néanmoins le justifier), comme des études d’impacts environnementaux réalisées par les entreprises ou autres rapports internes.

Évoquons encore la réforme de la réglementation alimentaire générale (règlement 178/2002). Avec cette réforme, adoptée en 2019, l’Union européenne a formalisé une confidentialité accrue dans les procédures d’évaluation et d’autorisation de denrées alimentaires. La raison donnée est qu’il s’agit de protéger les intérêts des demandeurs.

Avant l’entrée en vigueur du nouveau règlement, la réglementation relative aux OGM listait les informations qu’une entreprise devait renseigner pour obtenir une autorisation d’essai en champs ou de mise sur le marché. Une confidentialité était néanmoins possible pour certaines informations pour lesquelles « la divulgation pourrait nuire à sa position concurrentielle ». Le règlement de 2019 remplace cette réserve par les informations dont la « divulgation est susceptible de porter significativement atteinte à ses intérêts ». Changement notable : une position concurrentielle se restreint à première vue aux intérêts économiques tandis que des « intérêts » peuvent être économiques mais aussi moraux, comme par exemple une atteinte à l’image de l’entreprise auprès du grand public.

L’ancienne législation précisait également que « certaines informations ne peuvent [pas] rester confidentielles ». Étaient concernés la méthode utilisée pour modifier génétiquement un organisme, les séquences génétiques, le matériel utilisé, les données brutes des évaluations des risques, etc. Mais le nouveau règlement remplace cette liste par une autre liste désignant, elle, les informations qui peuvent faire l’objet d’un traitement confidentiel. Deux informations centrales peuvent désormais être confidentielles : « les informations relatives aux séquences d’ADN, exception faite des séquences utilisées à des fins de détection, d’identification et de quantification de l’événement de transformation […] et les modèles et stratégies de sélection ». Ce dernier point, à l’heure où se développent des OGM non transgéniques, est plus que problématique. Cela pose la question du respect du principe de précaution et de la démocratie : sans ces informations, l’opacité sera fortement renforcée.

Cette réforme modifie, enfin, la manière dont la demande de confidentialité des informations est traitée. Avant attribuée à la Commission européenne, cette tâche revient désormais l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (AESA) par décision motivée non publique. Et selon une procédure qui laisse une grande place au pétitionnaire. Ainsi, la même autorité évalue tout de A à Z, sans contrôle extérieur du traitement de la confidentialité des données.

Actualités
Faq
A lire également