n°114 - janvier / février 2012

Les entreprises à l’offensive sur le dossier OGM

Par Christophe NOISETTE, Eric MEUNIER

Publié le 11/01/2012

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Les entreprises sortent leurs armes sur le dossier des Plantes Génétiquement Modifiées (PGM). Ce dossier, qui en France a pu paraître calme depuis l’adoption du moratoire en janvier 2008, est aujourd’hui l’objet d’une offensive assez visible des entreprises. Leurs différentes stratégies (annonces médiatiques, tentative de recrutement d’ambassadeur pro-OGM ou publication d’un rapport à charge…) annoncent une année 2012 mouvementée. Nous avons déjà abordé le calendrier législatif à venir dans le précédent numéro du journal [1]. Nous allons maintenant voir comment les entreprises s’y préparent.

Depuis quelques temps, les entreprises multiplient les sorties médiatiques et développent des outils de pression sur le dossier OGM. Leur stratégie de communication est en outre complétée par des pressions indirectes de plus en plus fortes.

La pression médiatique du lobby pro-OGM

Communiquer sur le dépôt d’un dossier d’autorisation, voilà une pratique peu courante. Habituellement, les entreprises communiquaient après avoir reçu l’autorisation de mise sur le marché. Mais dernièrement, BASF a réussi le tour de force de faire parler de sa pomme de terre Fortuna dans la quasi totalité des journaux français, pour avoir « seulement » demandé une autorisation commerciale [2]. Ainsi, si BASF prévoit une mise sur le marché pour 2014 – 2015, elle n’a aujourd’hui aucune garantie qu’elle puisse le faire. Mais il s’agit surtout de « mettre la pression » sur les autorités et d’entretenir la flamme des investisseurs en leur donnant un os à ronger… Et la communication de BASF n’a rien laissé au hasard : Fortuna a été modifiée à partir « de la variété conventionnelle Fontane, non-OGM, l’une des variétés leaders en France sur le marché des pommes de terre frites ». BASF ne signe pas là sa première occupation du terrain médiatique. Pour sa précédente pomme de terre transgénique Amflora, l’entreprise avait déjà organisé, en 2008, une vaste campagne de lobbying : achat de pages entières dans plusieurs journaux allemands – dont le Süddeutsche Zeitung [3] et le Financial Times, lettre ouverte au Commissaire à l’environnement de l’époque, Stavros Dimas, menace de suspension d’activités de recherche [4], procès contre la Commission européenne [5] ou encore promesses que cette pomme de terre renforcerait la position internationale des industries européennes [6]. En 1998, au début du débat sur les OGM, Monsanto avait aussi organisé une vaste campagne de pub dans les média, mais depuis, c’était plutôt calme en la matière. En effet, ces campagnes sont chères, très chères, pour des résultats faibles, très faibles…

Toutes ces pressions ont payé, puisque l’autorisation de mise en culture commerciale de la pomme de terre Amflora avait finalement été obtenue début 2010 [7]. Mais c’était sans compter avec la réticence du « marché » : immédiatement, l’Autriche, le Luxembourg et la Hongrie avaient adopté un moratoire contre cette pomme de terre transgénique. En France, les entreprises amidonnières s’étaient engagées à ne pas l’utiliser… Et dès la deuxième année, les surfaces cultivées avec cette pomme de terre dans l’UE se sont réduites comme peau de chagrin avec l’abandon de cette PGM en République Tchèque, seulement 25 hectares en cultures en Suède et 2 hectares en Allemagne [8].

Mais cette nouvelle offensive médiatique de BASF montre que les entreprises n’ont pas abandonné la partie. Au contraire, elles s’organisent pour une autre offensive comme en témoigne la prospection d’ambassadeurs des OGM révélée par The Guardian [9]. EuropaBio a demandé à un cabinet de relations publiques de démarcher des personnalités afin qu’elles acceptent de devenir ambassadrices des OGM auprès des instances de l’Union européenne. C’est ainsi que Bob Geldof (auteur compositeur irlandais), Chris Patten (ancien commissaire européen britannique), Mark Lynas (journaliste écologiste britannique), ou encore Koffi Annan (ancien secrétaire général des Nations unies) se sont vus proposer l’organisation de rencontres avec des membres du Parlement européen, des conférences rémunérées, des articles signés en leur nom dans le Financial Times… Dans le projet de lettre que The Guardian s’est procuré, il est écrit : « Il faut nous réveiller et adopter les meilleurs processus de culture et de production alimentaire. Pour cela, nous devons saisir le potentiel de toutes les technologies disponibles et aucune technologie ne devrait être rejetée sur la base d’une réaction émotionnelle ou d’une mauvaise information – y compris les biotechnologies agricoles. Nous voulons produire plus de nourriture en Europe, prendre soin de l’environnement et aider nos voisins dans d’autres parties du monde, alors n’est-il pas temps de revoir notre position sur les OGM ? ». Selon ce journal, les personnes démarchées (qui toutes nient ces contacts) auraient également été informées qu’EuropaBio souhaitait prendre ses distances avec elles afin de rendre les arguments plus crédibles. Comme le souligne l’eurodéputée verte britannique Caroline Lucas, « Cette tentative éhontée d’EuropaBio de recruter des « ambassadeurs » secrets pour « changer le débat » sur les OGM est une preuve supplémentaire que le puissant lobby des OGM ne reculera devant rien pour imposer ses produits très impopulaires et inutiles aux citoyens européens » [10].

Claude Allègre, cité dans la presse comme ayant été lui aussi abordé, s’en défend également. Sa porte parole, Sylvie Samuel, précise que Claude Allègre parle des OGM comme il l’entend, mais qu’il ne travaillera pas pour une agence de communication. Cependant, les positions de Claude Allègre sont claires. Récemment créée, sa Fondation « Ecologie d’Avenir » [11] est en effet un lieu de diffusion des thèses classiques des défenseurs des OGM. Claude Allègre est aussi un des parrains de l’association de promotion des OGM : l’Association Française des Biotechnologies Végétales (AFBV). Récemment, cette Fondation a d’ailleurs organisé un colloque intitulé « ces biotechnologies végétales qui façonnent les plantes cultivées », auquel participaient des salariés de Limagrain, Germicopa, Syngenta, Nature Source Genetics…, et des chercheurs de l’Inra ou des membres de l’Académie de l’Agriculture, connus pour leur position personnelle largement favorable aux OGM. Si on parle souvent des militants anti-OGM, on oublie les militants pro-OGM qui sont plutôt présentés comme des « scientifiques qui savent de quoi ils parlent »… Cette différence sémantique est voulue, et permet de ridiculiser les uns et de valoriser les autres.

La pression outre-Atlantique

EuropaBio s’est également illustrée par la publication d’un rapport en octobre 2011 sur le système d’autorisations des PGM dans l’Union Européenne [12]. Elle y dénonce les délais de l’évaluation scientifique des dossiers et des procédures de votes, délais responsables « de graves répercussions commerciales ». Il faut donc, conclut le rapport, que ce système soit « amélioré ». Et de menacer que l’Union européenne se retrouve contrainte et forcée d’importer des OGM puisque les « principaux fournisseurs de l’Union Européenne en protéines [sont] moins enclins à attendre les autorisations européennes pour autoriser et cultiver [les PGM] dans leur pays ». Et là encore, à l’instar de BASF, EuropaBio précise que « le problématique système d’autorisations a des impacts négatifs sur les investissements en innovation, ce qui affecte le secteur de recherche et développement ». EuropaBio propose des solutions pour que les procédures soient raccourcies. On notera notamment celles qui visent à ce que les États membres suivent automatiquement les positions de l’Autorité européenne de sécurité sanitaire (AESA) pour les demandes d’autorisation. Ce qui reviendrait à éliminer les comités d’experts nationaux, dont certains, comme le HCB en France, qui ont, à plusieurs reprises, remis en cause les évaluations conduites par l’AESA. Cette idée de raccourcir les procédures est dans l’air du temps : aux États-Unis, le député Stephen Fincher a déposé un projet de loi [13] qui rendrait automatique une autorisation commerciale d’une PGM en cas d’absence de réponse sous huit mois de l’administration en charge de son évaluation. Si cette proposition de loi aboutissait, elle pourrait avoir des répercussions sur le commerce international des PGM en creusant encore l’écart entre le nombre de plantes GM autorisées aux États-Unis et dans l’UE. Et comme nous l’avons vu dans le cas des plantes GM développées par Scott et par Cibus [14], une nouvelle tendance est tout simplement de court-circuiter les procédures d’évaluation… A l’instar des plantes mutées, plantes qui permettent aux entreprises européennes de commercialiser des variétés tolérantes à un herbicide sans passer par la loi sur les OGM…

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