n°113 - novembre / décembre 2011

UE – Où va le dossier OGM en 2012 ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 18/11/2011

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Plusieurs évènements font rebondir le dossier des OGM, à Bruxelles comme dans les États membres : miel contenant du pollen transgénique, avec son corollaire d’éventuelle interdiction d’importation et donc de pressions des pays lésés ; discussions techniques pour préparer le terrain à la prochaine génération de PGM ; épreuve de force entre États membres et Commission européenne (CE) sur le moratoire, avec le retour du Parlement européen sur ce dossier.Une synthèse s’impose.

En 2010, différents sujets ont commencé à (re)surgir, amenant le dossier OGM à présenter un visage pour le moins complexe : renforcement de l’évaluation des risques liés aux PGM (demandé en 2008 par le Conseil des ministres de l’Environnement), analyse des impacts socio-économiques, tolérance zéro pour des PGM non autorisées présentes dans des lots importés à destination de l’alimentation animale, nouvelles règles de comitologie…

Un chantier qui se complexifie

Christophe Noisette, L
La législation sur les OGM : un chantier permanent

Pour évaluer les risques environnementaux et sanitaires liés aux PGM, les experts européens ont fait une proposition en 2011. Mais loin de satisfaire la demande des États membres de 2008 [1], ces nouvelles lignes directrices constitueraient non un renforcement mais bien un affaiblissement de l’évaluation. Autre sujet : la CE a proposé, en juillet 2010, que les États membres puissent interdire nationalement la culture de certaines ou toutes les PGM, proposition toujours en discussion. Enfin, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a également, en septembre 2011, apporté sa pierre à l’édifice législatif en rénovation en déclarant que le pollen issu de PGM devait être l’objet d’une autorisation, contrairement aux positions défendues par Monsanto et la Commission européenne [2]. De même, la décision de la CJUE sur la clause de sauvegarde et la mesure d’urgence françaises à l’encontre du maïs Mon810 (invalidation de la première et renvoi au Conseil d’Etat français du soin de vérifier que la seconde a été adoptée selon la procédure en vigueur [3]) risque d’ébranler l’ensemble des moratoires européens qui pourraient être concernés par cette décision. Et au milieu de tous ces dossiers, un autre avance très discrètement, celui des PGM « nouvelles génération » qui pourraient permettre aux entreprises de contourner la loi sur les OGM…

Les avancées européennes en 2012

Face à ces dossiers, les acteurs de la société civile s’accordent à penser que la CE essaiera surtout d’obtenir une réponse à la proposition faite aux États membres de pouvoir interdire nationalement la culture d’une ou plusieurs PGM. La CE paraît en effet déterminée à « responsabiliser » les Etats membres sur ce dossier. Car la CE vise avec cette proposition à résoudre, puisque c’est selon elle un problème, le blocage des autorisations commerciales du fait des non décisions des Etats membres sur les demandes reçues. Les nouvelles règles de comitologie issues du traité de Lisbonne déchargeant la CE de son obligation de pallier l’absence de vote des Etats membres sur les demandes d’autorisation, on comprend qu’il reste à la CE à négocier un consensus avec les Etats membres pour reprendre le train des autorisations, ce qu’elle vise à obtenir avec cette proposition de rendre possible les interdictions nationales – qui, notons-le au passage, sont déjà possible. On devrait bientôt connaître les positions des Etats sur ce sujet car, après le Parlement européen qui a voté son rapport en juillet [4], c’est la position du Conseil européen (regroupant les États membres) qui est maintenant attendue. Il est difficile d’anticiper cette position, certains États membres souhaitant dans un premier temps profiter de ces discussions pour rappeler la CE à ses obligations. En effet, la France a par exemple réagi en 2010 en signifiant à la CE qu’elle devait avant tout répondre aux demandes des États membres – en l’occurrence celles de décembre 2008 lors du Conseil des Ministres de l’environnement – avant d’être force de proposition de nouvelles lois. Mais entre ceux qui voient dans la proposition de la CE une opportunité pour les États membres de se positionner nationalement (avec possibilité de continuer à s’abstenir sur les autorisations au niveau européen) et ceux qui considèrent que le dossier des PGM ne peut être morcelé et doit rester sur la table de l’Union européenne, une position commune au sein du Conseil semble compromise.

En considérant la proposition de la CE et les demandes du Conseil des ministres de 2008 en suspens, il semblerait logique que la CE ne relance pas les autorisations en 2012. Logique mais pas garanti car on constate que, sans avoir pris de décision d’autorisation depuis l’été 2010, la CE continue d’accumuler sur son bureau les dossiers pour lesquels ne manquent plus que sa décision (les Etats membres n’ayant pas atteint de majorité qualifiée pour ou contre l’autorisation). Et le dossier de la pomme de terre Amflora autorisée en 2010 à la culture rappelle que la CE est capable de répondre aux pressions exercées par les entreprises (BASF ayant quelque temps auparavant menacé de déménager ses activités de recherche si sa pomme de terre n’était pas autorisée avant la fin février 2010) même si cela débouche sur des cultures quasi inexistantes en Europe cette année. Mais une telle relance exposerait au paradoxe d’une évaluation scientifique des risques non conforme aux demandes des experts européens eux-mêmes, puisque ces autorisations seraient données sur des dossiers remplis par les entreprises selon d’anciennes lignes directrices et non selon ses nouvelles recommandations (même si soin a été pris de déclarer que les dossiers en cours continueront d’être analysés selon les « anciens » critères d’évaluation comme le fait actuellement le Haut Conseil des Biotechnologie en France).

Au final, les États membres vont donc, en 2012, être en mesure de faire valoir leur opinion à plusieurs reprises car tous ces sujets vont être autant d’occasions de discussions entre Etats membres, CE et Parlement européen. Notons que côté Etats membres, certains ont même anticipé des sujets non encore abordés à Bruxelles, comme , par exemple, les règles d’étiquetage « sans OGM » adoptées notamment par la France. Si la CE souhaite réagir, elle dispose de quatre options : ne rien faire ; proposer l’adoption d’une législation similaire à celle mise en place par certains États membres ; proposer l’adoption d’une législation différente pour « contrer » celle des États membres ; attaquer ces législations si elle considère que la mesure nationale est contraire au droit européen.

Les pressions extérieures

Message envers l’UE : l’association européenne des entreprises de biotechnologie, EuropaBio, a publié en octobre 2011 un rapport sur la nécessité d’accélérer les procédures d’autorisations [5]. Pourtant, le monde agricole européen ne semble pas pressé de pouvoir utiliser les PGM. Les semenciers européens, par exemple, sont plus intéressés par avancer sur la question de la protection des variétés en essayant de mettre en place un système de royalties plutôt que d’ouvrir le marché agricole européen aux entreprises de biotechnologies et leurs brevets. Mais du côté de ces dernières, certains évoquent la possibilité qu’elles accentuent leur pression en portant plainte contre la CE pour non respect des délais de délivrance d’autorisation. Une autre pression pourrait venir des Etats-Unis ou de l’Argentine, qui poussent pour une ouverture du marché européen à leurs PGM. Il faut se rappeler que les Etats-Unis ont déjà amorcé un virage dans le domaine des PGM avec par exemple, un gazon GM qui peut être commercialisé sans avoir à obtenir d’autorisations et les premières plantes issues d’autres techniques comme la cisgenèse qui arrivent. En Afrique, on observe le développement commercial dans les champs de nouvelles cultures GM, poussé par les États-Unis. L’Amérique du Sud n’est pas en reste puisque les cultures de PGM continuent de se développer. Le dossier du miel est symptomatique d’une telle pression extérieure qui pourrait influer sur le dossier des PGM en Europe, nombre de pays comme l’Argentine attendant la décision de la CE qu’ils espèrent non restrictive quant à leurs exportations en Europe.

Qu’il s’agisse des PGM par transgenèse ou par une des nouvelles techniques de biotechnologie, les débats en cours sont portés dans le même sens par la CE : finaliser un cadre européen moins contraignant. A cette fin, les nouvelles règles d’évaluation affaiblies en sont une démonstration. Et pour le rapport de force entre CE et États membres, la proposition d’interdiction nationale sera prioritaire en 2012. Des discussions et de la décision finale dépendra la manière dont la CE voudra continuer de gérer le dossier. Car si les États membres et le Parlement européen refusent la proposition telle que formulée par la CE et que cette dernière refuse les amendements proposés, le dossier pourrait bien être pris en main autoritairement par la CE, en reprenant les autorisations par exemple. Une position qui devrait faire réagir les États membres et démarrer un bras de fer. Inversement, si les trois acteurs se mettent d’accord sur la proposition, le dossier des PGM avancera sur les autres points techniques avec comme ligne de mire une ouverture du marché européen aux PGM. Les États membres auront nationalement la possibilité (toute théorique) d’interdire les cultures mais en ayant très probablement perdu en chemin leur capacité de négociation au niveau européen.

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