n°157 - novembre / décembre 2019

Des OGM latinos non autorisés dans nos assiettes ?

Par Frédéric PRAT

Publié le 30/12/2019

Partager

L’Amérique latine produit 41 % des surfaces cultivées de tous les OGM transgéniques mondiaux, dont une bonne partie sont interdits à l’importation dans l’Union européenne. Pourtant, fin juin, et après 20 ans de négociations, un accord de libre échange entre les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) et l’Union européenne a été trouvé. Est-ce le début d’une invasion des OGM latinos dans nos assiettes ?

Avec cet accord Mercosur-UE, on peut donc s’attendre à une augmentation des importations de produits agricoles transgéniques, l’Union européenne important déjà l’équivalent (graines + tourteaux) de 30 millions de tonnes de graines de soja provenant certes en majorité des États-Unis (à plus de 70 %), mais aussi du Brésil et de l’Argentine [1].

Les OGM autorisés en Amérique latine

Des cultures agricoles (canne à sucre, carthame, colza, coton, haricot, luzerne, maïs, pomme de terre, soja), des fleurs (roses et œillets), des arbres (eucalyptus et pins) : voilà la liste exhaustive des cultures transgéniques autorisées à la culture en Amérique latine, selon l’Isaaa, organisation pro-OGM qui gère une base de données des autorisations mondiales d’OGM [2]. Ce qui ne veut pas dire que toutes soient cultivées.

Tableau 1 : les OGM autorisés à la culture en Amérique latine
Tableau 1 : les OGM autorisés à la culture en Amérique latine

Douze pays latino-américains cultivent des OGM (voir tableau 1) mais quatre seulement – ceux du Mercosur : Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay – sont responsables de la quasi totalité des surfaces d’OGM cultivées en Amérique latine (et de 41 % des surfaces mondiales).

Maïs et soja sont les principales cultures transgéniques, les quantités cultivées et exportées ne cessant d’augmenter depuis 20 ans : les surfaces de soja au Brésil ont presque triplé, et les exportations plus que triplé (cf. tableau 2 ci-dessus). Et la majorité de ces cultures est transgénique : 97 % du soja et 89 % du maïs au Brésil [3], et 99 % du soja et plus de 90 % du maïs en Argentine.

Tableau 2 : Surfaces cultivées en millions d'hectares / quantités exportées en millions de tonnes
Tableau 2 : Surfaces cultivées en millions d’hectares / quantités exportées en millions de tonnes


La moitié des OGM latinos 
sont interdits à l’exportation dans l’UE

Prenons le cas de l’Argentine. En 2019, 56 événements transgéniques sont autorisés à la culture en Argentine [4] (voir tableau 1), avec, seuls ou combinés, principalement les caractères suivants : les tolérances à des herbicides (dont le glyphosate et le glufosinate d’ammonium) [5], et les caractères insecticides (Bt) contre les lépidoptères et coléoptères.

On trouve également autorisés à la culture : des pommes de terre tolérant le virus PVY, des sojas avec une haute teneur en acide oléique, d’autres « tolérant » la sécheresse, un carthame produisant une enzyme pour la production fromagère, une luzerne avec un faible taux de lignine… Mais aucun colza GM n’est autorisé. D’où d’ailleurs la surprise, puis la forte dénégation, de l’Argentine, quand Bayer a annoncé que les traces de semences de colza GM trouvées dans l’Union européenne (provoquant 20 000 hectares arrachés rien qu’en France [6]) venaient d’Argentine [7] ! C’est que l’Argentine, comme le Chili [8] [9], sert aux multinationales comme terrain de contre-saison pour produire des semences, et elle tient à préserver sa réputation.

Sur ces 56 événements autorisés en Argentine, 21 [10] ne le sont pas à l’importation dans l’Union européenne (et 65 interdits dans l’UE sur 106 autorisés au Brésil, voir tableaux 3 et 4 ci-dessous, construits grâce à la base de données unique d’Inf’OGM sur les OGM autorisés dans l’Union européenne [11]). Pour les pommes de terre, la luzerne ou le carthame transgéniques, s’ils sont cultivés, aucun n’étant autorisés à l’importation, il suffira de détecter un caractère transgénique pour refuser une éventuelle cargaison importée. Par contre, pour le soja, le coton ou le maïs, il faudra caractériser l’événement de transformation avant d’accepter les cargaisons importées, car seuls 23 maïs, 10 sojas, et 2 cotons transgéniques sont autorisées à l’importation. 

Côté Union européenne, d’après le centre d’informations de l’UE, « conformément à la législation européenne applicable en matière d’OGM (Règlement (CE) n° 882/2004 et Règlement (UE) 2017/625), les pays de l’Union européenne (UE) ont l’obligation d’effectuer des contrôles officiels ». Chaque État membre contrôle donc, entres autres, ses propres importations. En France, la Direction des fraudes (DGCCRF) du ministère de l’Économie, et la Direction générale de l’Alimentation (DGAl) du ministère de l’Agriculture déterminent annuellement des plans de surveillance de ces importations [12]. Curieusement, le bilan 2017 de la DGAl, dernier plan publiquement disponible [13] ne fait aucune mention du contrôle d’OGM. Et la DGCCRF, interrogée sur la nature et la fréquence des contrôles, n’a toujours pas répondu, malgré nos fréquentes questions.

Tableau 3 : OGM produits en Argentine et autorisés à l'exportation dans l'UE
Tableau 3 : OGM produits en Argentine et autorisés à l’exportation dans l’UE
Tableau 4 : OGM produits au Brésil et autorisés à l'exportation dans l'UE
Tableau 4 : OGM produits au Brésil et autorisés à l’exportation dans l’UE

Les États membres sont tenus d’informer « le système d’alerte rapide pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux » (RASFF) de l’Union européenne, qui publie des rapports réguliers sur ces alertes : aucune ne concernait l’importation de semences, ni d’aliments pour le bétail GM non autorisés [14].

Les enjeux commerciaux des échanges mondiaux sont énormes et s’amplifieront avec les signatures d’autres accords de libre commerce [15]. L’Argentine s’apprête à mettre sur le marché un blé GM « tolérant » la sécheresse [16], le Brésil cultive déjà une canne à sucre GM, les nouveaux OGM non étiquetés se multiplient… : l’UE pourra-t-elle longtemps encore contrôler ses frontières ?

[2GM Approval Database, http://www.isaaa.org/gmapprovaldatabase/

[456 selon le site officiel argentin https://www.argentina.gob.ar/agroindustria/alimentos-y-bioeconomia/ogm-comerciales, 74 selon l’ISAAA, organisme pro-OGM, qui recense 19 événements supplémentaires liés au maïs.

[5Liste complète des herbicides tolérés selon les plantes GM : glyphosate, glufosinate d’ammonium, imidazolinones, 2,4 D, inhibiteur d’ALS et de HPPD, isoxaflutole, aryloxyphénoxy.

[8Le Chili par contre produit du colza transgénique, le RR MON89249, mais ce n’est pas non plus celui qui a récemment contaminé l’Union européenne…

[10dont 7 sont en attente de passage en commission.

[12« Des contrôles sont effectués à l’importation par la DGAL pour vérifier l’absence d’OGM non autorisés dans les semences importées de pays tiers et, lorsque des OGM autorisés sont présents, la conformité de l’étiquetage », https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/dgccrf/securite/produits_alimentaires/pncopa-2016-2020.pdf

[14La dernière en date, en 2012, concernait une semence de papaye GM de Thaïlande.

Actualités
Faq
A lire également