n°157 - novembre / décembre 2019

OGM : des législations « forcées » par les accords de libre-échange

Par Frédéric PRAT

Publié le 30/12/2019

Partager

Dans l’idéal, l’harmonisation des législations lors des accords de libre-échange devrait s’effectuer « vers le haut  », pour adopter par exemple la meilleure protection de l’environnement et de la santé. Dans la pratique, des groupes de discussions bilatérales et des tribunaux d’arbitrage sont mis en place, et les intérêts commerciaux l’emportent sur la santé des populations et de l’environnement. Quelques exemples pour les OGM et les semences en Amérique latine…

Abaisser les droits de douane à l’importation, harmoniser certaines législations, notamment sur les normes sanitaires et environnementales, sont les deux piliers des accords de libre-échange. Le tout est codifié soit au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui oblige par exemple les pays à adopter un régime de propriété industrielle sur le vivant (accords ADPIC) ; soit lors d’accords spécifiques, entre pays (Union européenne par exemple) ou entre blocs de pays (accords Mercosur-UE). Depuis quelques années, les négociations internationales de l’OMC sont au point mort, et ce sont donc les accords bilatéraux qui prédominent. En Amérique latine, on trouve plusieurs blocs de pays : Mercosur, Communauté andine (CAN), Union des nations sud-américaines (Unasur), Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (Alba). Ces pays sont donc pour la plupart plus ou moins directement liés entre eux.

Des conséquences sur 
les législations semences et OGM

À leur tour, des blocs de pays signent des accords avec d’autres pays ou blocs de pays, tel l’accord Mercosur-UE [1], le nouveau Traité de libre-échange entre le Mexique, le Canada et les États-Unis (ex ALENA), ou les accords commerciaux entre la Chine et le Mercosur. Dans ce dernier cas, le Mercosur attend bien souvent l’autorisation de la Chine avant d’autoriser la culture et l’exportation d’un événement transgénique : d’où le retard en ce moment de l’approbation du blé transgénique argentin « tolérant » la sécheresse [2].

Autre exemple : en 1993, la CAN a adopté, pour la protection des semences, une version intermédiaire entre la loi semence UPOV 78 et UPOV 91, notamment en continuant à permettre à l’agriculteur la multiplication gratuite de la semence pour son usage propre [3].

Cependant, les Traités bilatéraux de libre-échange que le Pérou et la Colombie ont ensemble signé avec les États-Unis d’une part, et l’Union européenne d’autre part, obligent ces pays à adhérer à l’UPOV 91 (ou à adopter un système de protection des variétés par brevets), rendant la décision de la CAN caduque : du coup, le Pérou a adhéré à UPOV 91, mais les trois autres pays résistent encore…

Sur les clauses environnementales, Leonardo Melgarejo, de l’Université de Santa Catarina (Brésil), souligne le paradoxe suivant : d’un côté, le Brésil détruit l’Amazonie [4], mais de l’autre, « le scénario qui découle de l’éventuelle exécution de l’accord de libre-échange entre le Mercosur et l’Union européenne réaffirme la position du Brésil, au niveau international, en tant que producteur de produits agricoles de haute valeur socio-environnementale. Il offre la possibilité pour les clauses de sauvegarde d’imposer des restrictions de marché à certains produits, technologies et méthodes de production, tels que le soja ou la viande provenant de zones déboisées d’Amazonie ». Même si le président Macron affirme avoir imposé « le respect de nos normes environnementales et sanitaires« , comment pourra-t-on réellement contrôler ces engagements ?

Le nouveau Traité de libre-échange entre le Mexique, le Canada et les États-Unis (ex Alena renégocié par l’administration Trump en septembre 2018) oblige le Mexique à s’aligner sur le statut non OGM des produits issus des nouvelles transformations du vivant [5]. Il oblige également le Mexique à adhérer, avant 2022, à l’UPOV dans sa version de 1991, la plus restrictive pour le droit des paysans.

Il existe également un Traité Trans Pacifique dont font partie le Mexique et le Pérou, et bientôt le Chili [6].

Un casse-tête 
pour les douanes



Avec ces accords de libre-échange, les liens commerciaux et réglementaires entre les pays sont de plus en plus imbriqués. Et il ne suffit pas de lister ce qui est autorisé dans un pays pour savoir si l’on peut importer ses marchandises. Prenons l’exemple de la canne à sucre transgénique. Elle n’est cultivée qu’au Brésil, mais autorisée à l’importation aux États-Unis et au Canada. Les douanes de l’UE devront donc surveiller les importations de canne à sucre de ces trois pays… Est-ce réellement le cas ?

Katia Merten-Lentz, avocate associée au sein du cabinet Keller & Heckman, le confirme : « La réglementation [européenne (nº 1760/-2000) sur l’étiquetage de la viande bovine], n’exclut pas l’éventualité qu’une viande importée du Canada, soit indiquée comme provenant de ce pays alors qu’elle a, par exemple, partiellement été élevée aux États-Unis en vertu de la réglementation américaine. En d’autres termes, les exigences actuelles en matière d’étiquetage n’assurent pas nécessairement la transmission fidèle et complète de l’information relative à l’origine » [7].

Actualités
Faq
A lire également