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L’arrêt de la Cour européenne sur les « nouveaux OGM » attaqué

Par Christophe NOISETTE

Publié le 01/04/2019

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Le Commissaire européen à la santé, Vytenis Andriukaitis, a pris position contre l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 25 juillet 2018 [1]. Une prise de parole qui en dit long sur l’état du débat actuel avec la montée en puissance des lobbies pro-OGM face à cet arrêt. Une prise de position empreinte d’approximations que le journal Euractiv a repris sans recul [2].

En juillet 2018, donc, la justice européenne avait clairement dit que les plantes mutées étaient des organismes génétiquement modifiés (OGM) et que donc les OGM ne se réduisaient pas aux seules plantes transgéniques. Elle avait alors clairement réduit l’exemption de la mutagénèse aux méthodes ayant un historique d’usage sans risque. Et affirmé que les produits issus des nouvelles techniques de mutagénèse sont des OGM et doivent être réglementés comme les plantes transgéniques [3].

Offensive de l’industrie semencière…

Une telle décision devrait avoir pour conséquence immédiate la transparence sur les méthodes d’obtention des nouvelles variétés issues de nouvelles techniques de mutagénèse. Or, cette transparence semble agacer l’industrie. Elle n’a en effet de cesse, depuis l’été 2018, de dénigrer cet arrêt, de propager des mensonges à son égard… et de tenter de négocier avec la Commission un nouveau cadre législatif. Elle ne veut pas que ses OGM 2.0 puissent être évalués et étiquetés. Car elle redoute que les consommateurs et les agriculteurs n’en veuillent pas.

Et surtout d’être obligée par la réglementation OGM de fournir les éléments permettant d’identifier et de tracer son invention et de ne plus pouvoir, en conséquence, étendre la protection de ses brevets aux plantes natives et aux variétés de ses concurrents portant les mêmes informations génétiques que celles revendiquées par le brevet

Dana Bolden, vice-président du département « agriculture » de DowDuPont, affirmait il y a dix jours que ses clients « ne comprennent pas l’arrêt de la Cour de justice européenne (CJUE) jugeant que les organismes issus des nouvelles techniques de sélection des plantes tombent dans la catégorie des OGM ».

Le commissaire à la santé, Vytenis Andriukaitis, dans une déclaration le 27 mars 2019, propose d’aller dans le sens de l’industrie : « De mon point de vue, nous devons mettre en place un nouveau cadre réglementaire pour ces nouvelles techniques » après les élections européennes de mai.

… appuyée par le commissaire européen à la santé

Déconstruisons cet article. Il commence par un mensonge. Euractiv écrit que ces nouvelles techniques relèvent de l’ingénierie génétique, mais contrairement aux OGM, elles n’ajoutent pas des éléments génétiques supplémentaires aux plantes. Or, la définition d’un OGM ne fait aucunement référence à l’ajout de gène étranger, ni dans la réglementation européenne, ni internationale telle qu’elle est définie par le Protocole de Cartagena. Affirmer qu’un OGM est un organisme dans lequel on a ajouté un élément génétique supplémentaire est un déni du droit en vigueur. Espérons que ce ne sont pas les mots du Commissaire européen chargé de le faire respecter.

L’article est ensuite clairement une reprise des propos du Commissaire. Cet article continue par une entourloupe. Vytenis Andriukaitis explique que la directive sur les OGM a été établie il y a 20 ans et n’est donc pas adaptée aux progrès technologiques actuels. De quels progrès parle-t-il ? Ces techniques produisent des OGM, certes différents de ceux qu’on avait mis en culture précédemment mais leur nature reste la même, et donc les risques et les questions sociétales comme les brevets aussi. Et Inf’OGM a déjà documenté que les étapes techniques en amont et en aval de la modification génétique étaient source d’effets hors-cible [4].

Autre entourloupe : le commissaire reprend à son compte le discours véhiculé par l’industrie depuis la fin des années 90 qui affirme qu’on ne peut pas imputer un seul mort à la consommation d’OGM : « Dites-moi combien de personnes sont mortes à cause des OGM ? Avez-vous des statistiques ? Combien de personnes sont-elles mortes après avoir mangé la viande d’animaux nourris aux OGM ? Personne, mais il y a beaucoup de manipulation ». Or ceci n’est pas un argument scientifique, même s’il en prend les couleurs. Pour le vérifier, il faudrait s’en donner les moyens. L’absence de preuve publiée dans une revue à comité de lecture n’a jamais été la preuve de l’absence. De nombreux accidents avec des animaux d’élevage consommant des OGM ont été rapportés en Asie, en Afrique, en Amérique du Nord et en Europe sans que les comités d’experts officiels ne daignent s’y intéresser. Par ailleurs, les controverses scientifiques concernant les effets sur les animaux de laboratoire ont toujours défrayé la chronique depuis Putzaï jusqu’à G.E. Séralini et sont loin d’être closes.

Et par une approximation… Dans un discours qui semble en tout point écrit par l’industrie, il rejette les allégations selon lesquelles ces techniques sont la chasse gardée des grandes multinationales, citant l’exemple d’agriculteurs du Bangladesh qui les ont utilisées, en cultivant une aubergine, pour réduire leur utilisation de pesticides. Or cette fameuse aubergine transgénique Bt n’est que le cache sexe des OGM. Cultivée sur quelques centaines d’hectares, elle ne fait pas le poids face aux soja et autres grandes cultures modifiées pour tolérer des pulvérisations d’herbicides dont les dommages sur l’environnement et la santé sont désormais largement reconnus. Et cette aubergine Bt reste dans le giron de l’industrie. Elle a été distribuée « sous licence » par Mahyco, une entreprise indienne liée à Monsanto, à plusieurs centres de recherche publique, en Inde, aux Philippines et au Bangladesh et impossible d’obtenir l’ensemble des contrats qui lie l’industrie aux centres de recherche publique. Dans le seul contrat qu’Inf’OGM s’est procuré, il est précisé, entre autre, qu’aucune communication à la presse ne peut être faite sans le « consentement écrit » des autres contractants [5] . Une clause qui en dit long sur l’envie de transparence de cette industrie.

Enfin, de la diffamation. Le Commissaire se permet dans cette même allocution de qualifier les opposants aux biotechnologies végétales de manipulateurs qui font fi de la science. « La manipulation de l’opinion publique est un problème dangereux. Le niveau de compréhension de ces sujets est très bas, mais il y a un alarmisme élevé en Europe ». Cette phrase est en soi une manipulation. Dire qu’un opposant manipule l’opinion publique, que les « gens » ne comprennent rien… est un discours d’autorité particulièrement éculé et ressemble à une provocation de la part d’un Commissaire qui défend, au nom de la protection du secret industriel, l’absence du minimum de transparence qui permettrait au public de se construire lui-même sa propre opinion. Cela revient en effet à dire que le public étant privé des informations nécessaire doit croire sur parole les « experts » qui sont le seuls à y avoir accès.

Écouter la science : oui mais laquelle ?

Il conclut son discours en affirmant que l’Europe doit écouter la science. Reste à démontrer qui pratique une science saine : les experts de l’Agence européenne de Sécurité des Aliments (dont un certain nombres ont été pris en flagrant délit de conflit d’intérêt) ou des experts de l’Anses qui ont, à plusieurs reprises, souligné l’absence de rigueur scientifique des dossiers d’autorisation  [6] ?

Étant en fin de mandat, le Commissaire Vytenis Andriukaitis sait pertinemment qu’il n’aura pas à assumer ses propos qui outrepassent largement ses prérogatives. Il l’a confirmé en déclarant qu’il ne prendrait lui-même aucune initiative sur ce sujet et qu’il reviendra au prochain Commissaire de décider s’il faut ou non en prendre. Son objectif est-il d’influencer cette future décision, ou tout simplement de se donner une image de défenseur de l’industrie facilitant la poursuite de sa carrière personnelle ?

[2Euractiv, journal en ligne financé en partie par l’Union européenne et la Fondation Bill & Melinda Gates titrait « La Commission souhaite des règles sur les nouveaux OGM », et non pas « Le Commissaire… ». Or ce n’est pas une prise de position de la Commission européenne mais uniquement le point de vue d’un commissaire en fin de mandat, qui ne l’engage donc pas à l’appliquer

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