n°136 - septembre / octobre 2015

OGM : « science saine » ou saine rigolade ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 02/09/2015

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Dans le dossier OGM, la notion de « science saine » au sens de « bonne science, sûre et éprouvée » (« sound science » en anglais) a acquis une dimension supérieure, passant de la communication des entreprises à la communication d’instances politiques comme la Commission européenne. De récents avis d’experts nationaux ou européens conduisent pourtant au même constat : la « science saine » est réclamée mais pas pratiquée ! Un constat qui rejoint celui déjà porté par Inf’OGM sur les lacunes concernant l’évaluation des risques liés aux OGM faite par des entreprises et analysée par les experts européens [1] et qui pose une question : la notion de « science saine » doit-elle exister ?

« Nous soutenons les procédures d’autorisation des organismes génétiquement modifiés reposant sur une évaluation des risques rigoureuse et basée sur la science ». Cette affirmation est extraite des valeurs éthiques affichées par EuropaBio, un lobby qui regroupent les entreprises de biotechnologie [2]. Elle recoupe la formule utilisée par treize entreprises et syndicats étasuniens en février 2015 dans leur demande à la Commission européenne d’autoriser treize OGM à l’importation et « de mettre en œuvre le cadre [législatif] existant assurant que des décisions basées sur la science et selon un calendrier précis soient prises » [3]. Plus largement, on retrouve cette « invitation » à prendre des décisions basées sur la science dans les débats liés à la négocation de l’accord de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP). Ainsi, la coalition d’entreprises pour le commerce transatlantique (Business coalition for Transatlantic Trade) qui réunit les entreprises agricoles et agro-alimentaires, considérait aussi que « les négociations sur le TTIP constituent une opportunité sans précédent […] de promouvoir une prise de décisions basées sur la science » [4] Ces décisions, précise-t-elle explicitement, s’opposent à celles prises en vertu du principe de précaution…

« Science saine » : une notion non définie

Mais il ne s’agit pas non plus de n’importe quelle science, il faut qu’elle soit « saine » pour pouvoir être prise en compte dans les procédures commerciales. Toujours dans le cadre du TTIP, le ministre étasunien de l’Agriculture, Tom Vilsack, déclarait en 2014 que « la science est un langage commun… Nous allons travailler pour nous assurer que des accords soient trouvés, et qu’ils respectent la « science saine » » [5]. Avec le même langage, la Commission européenne expliquait tout récemment aux États membres que « le système d’autorisation européen des OGM est basé sur la « science saine » » [6]. Et Monsanto affirme la même chose, déclarant plaider pour « des politiques, règlements et lois basés sur les principes de la « science saine » » [7].

Exiger une « science saine » est un élément de langage : en effet cette notion n’est pas définie officiellement et n’est pas présente dans la législation européenne sur les OGM. Seules existent les lignes directrices fournies par des organes comme l’OCDE, le Codex Alimentarius ou l’Autorité européenne de Sécurité des Aliments (AESA) qui établissent les protocoles scientifiques à mettre en place pour conduire une analyse et les notions de bonnes pratiques de laboratoire (BPL), garanties de la qualité de l’organisation et du fonctionnement du laboratoire. Mais le travail scientifique inclut également une étape d’interprétation des résultats. Or, en 2014 et 2015, plusieurs avis d’experts montrent que des entreprises se révèlent finalement relativement laxistes en termes de respect de la méthodologie scientifique et de l’interprétation à avoir de leurs propres résultats. Un comble pour les hérauts de la « science saine » !

Les demandes analysées en 2014 ne répondaient pas aux critères de la « science saine »…

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) publiait, en 2014, quatre avis défavorables sur cinq demandes d’autorisations analysées [8] Que reprochaient donc les experts de l’Anses aux Pioneer Hi-Bred, Monsanto, Dow AgroSciences et autres Bayer CropScience ? Les critiques concernaient autant la qualité scientifique des analyses effectuées que les conclusions tirées de certaines de ces analyses. Ainsi les analyses de compositions fournies par Monsanto ne respectaient pas les recommandations de l’AESA, et celles de Pioneer ne respectaient pas celles de l’OCDE et du Codex Alimentarius. Elles n’avaient pas non plus démontré l’équivalence en substance entre leur OGM et des variétés conventionnelles et n’avaient fourni aucune analyse de toxicité subchronique de 90 jours. Monsanto essuyait cette dernière critique par deux fois : dans un dossier déposé par elle seule et dans un dossier conjoint avec Bayer CropScience. Certes, le dossier conjoint Monsanto / Bayer datait d’une époque où de telles études n’étaient pas obligatoires, mais leur mise en œuvre était jugée suffisamment nécessaire et pertinente pour qu’une grande majorité des demandes d’autorisation en contienne. Dow AgroSciences a également été critiquée pour n’avoir pas démontré l’équivalence en substance, avoir omis l’analyse de toxicité d’un OGM, mais également d’évaluation nutritionnelle – et ce qui est plus grave encore – omis des « données brutes [des analyses de composition] ».

… pas plus que la surveillance post-commercialisation

Chaque année, depuis 1998, les cultures commerciales de maïs MON810 en Europe font l’objet d’une surveillance environnementale. Les rapports de ces analyses sont soumis, depuis 2010, aux experts européens et parfois français. Et la conclusion est claire : la méthodologie de Monsanto ne convient pas aux experts scientifiques, les amenant à proposer, année après année, des améliorations à l’entreprise [9].

L’un des enjeux de ce suivi est de détecter si la pyrale, l’insecte cible du MON810, acquiert, petit à petit, une résistance à la toxine insecticide émise par ce maïs GM. Or, selon les experts, la surveillance conduite par Monsanto ne convient pas car les prélèvements d’insectes réalisés sont lacunaires et l’entreprise ne fournit pas les localisations précises des prélèvements ni ne revient d’une année sur l’autre dans un champ où une suspicion de résistance était apparue. Dès 2010, le Haut conseil sur les Biotechnologies (HCB) affirmait donc que la méthode suivie par Monsanto n’est « pas la plus appropriée pour suivre l’évolution de résistances ». Encore plus incompréhensible, en 2012, bien que disposant de données témoins (générées par une lignée d’insectes de laboratoire), Monsanto n’a pas fait de comparaison des insectes prélevés au champ avec ces témoins ! Ces lacunes scientifiques sont palliées, quand c’est possible, par les experts eux-mêmes. C’est ainsi que le Comité scientifique (CS) du HCB a comparé les résultats d’insectes prélevés aux champs avec ceux obtenus sur la lignée témoin de laboratoire. Et de cette comparaison a émergé une suspicion d’apparition de résistance aux champs développée par certaines pyrales. La « science saine » aurait probablement voulu que cette hypothèse soit creusée mais Monsanto n’a pas jugé pertinent de refaire des prélèvements au même endroit l’année suivante et les experts européens ont utilisé les résultats obtenus dans une autre région pour écarter l’hypothèse d’une résistance. Une vraie rigueur scientifique, validée par l’AESA…

Une autre pratique de Monsanto mérite également une attention de quelques instants. Dans le cadre de ce qui est appelé la surveillance générale (qui vise à détecter des effets inattendus), l’entreprise adresse un questionnaire aux agriculteurs pour savoir ce qu’il se passe dans les environs immédiats des champs de maïs MON810. Les experts français ont critiqué la partialité de l’entreprise qui décrète unilatéralement que toutes observations rapportées par moins de 10% des agriculteurs ne méritent pas d’être prises en considération. Une approche qui n’a pas de sens scientifique pour les experts, surtout si la conclusion doit au final être qu’aucun effet sur l’environnement n’a été détecté. Un autre problème de méthodologie biaise sérieusement les analyses : en Roumanie et en Pologne, ce sont des représentants de Monsanto qui ont eux-mêmes réalisé les interviews des agriculteurs, ou les ont assistés pour remplir le questionnaire… Quelles suites Monsanto a-t-elle donné à ces critiques ? Pour la surveillance des cultures de 2013, l’entreprise n’a tout simplement pas adressé de rapport de surveillance générale…

Les comités d’experts suivent des « sciences saines » différentes

Si on suit les opinions des experts français et, parfois, celles des experts européens, on peut affirmer que les entreprises ne pratiquent pas une science rigoureuse – qu’on pourrait croire être une science « saine » – confirmant notre constat de 2012 [10]. Mais ces mêmes comités délivrent parfois des opinions divergentes à partir des mêmes dossiers. Dans son avis sur le soja 305423 par exemple, l’AESA souligne que l’absence de démonstration d’équivalence en substance ne peut justifier un avis défavorable, que des analyses de toxicologie effectuées avec un autre soja GM exprimant la même protéine avaient déjà été étudiées et que cela suffisait donc pour valider ce dossier, à l’encontre de l’opinion de l’Anses… Sur les rapports de surveillance post-commercialisation de la culture du maïs MON810, le CS du HCB a toujours été vigilant à ne pas valider les conclusions de Monsanto sur l’absence d’impacts, en conformité avec les critiques émises et dont nous avons vu des exemples. Mais l’AESA, bien que portant des critiques similaires, a toujours validé les conclusions de l’entreprise.

Ces différences d’opinions entre comités d’experts sont problématiques. Car, dans de tels cas, quel comité détient la « science saine » ? Les experts interviennent via des avis dans une procédure d’autorisation, mais c’est le législateur qui a la responsabilité politique finale : en cas de divergence, à quel comité doit-il se référer ? Cette question est importante car le législateur européen a prévu qu’une autorisation pourrait être révisée ou annulée en cas « d’éléments d’informations susceptibles d’avoir des conséquences du point de vue des risques que comportent le ou les OGM pour la santé humaine ou l’environnement » [11] ! Et la réponse se trouve simplement dans les rouages de la procédure : la Commission européenne suit l’avis de l’AESA, les États membres suivent les avis de leur comité national. Et personne ne s’intéresse aux divergences d’opinion entre comités pour savoir quelle opinion est à retenir…

Les décisions d’autorisation sont politiques, non scientifiques

Le Groupe International d’Etudes Transdisciplinaires (GIET) a déjà décrit comment le citoyen s’est vu privé de sa liberté de parole en se voyant imposer une obligation d’exprimer ses opinions avec des seuls arguments scientifiques [12] [13]. Il apparaît maintenant que ceux qui ont réclamé un tel système sont également enfermés dans un paradoxe : le monde de la « science » existe du fait d’interrogations, de réponses temporaires, d’opinions différentes… sans lesquelles il ne saurait avancer. Comment dès lors réclamer que certaines opinions soient plus « saines » que d’autres ? Et surtout, qui doit décider de ce caractère sain ? Dans le seul dossier OGM, les controverses autour des travaux de Séralini, Malatesta, Chapela, Pustzaï, Ricroch, Qaim, Zhu… montrent que la « science » ne peut fournir une seule et bonne réponse. Mais, dans cette diversité d’opinion, le politique peut choisir de n’en retenir qu’une. Qu’il fasse le choix de l’appeler « science saine » en reprenant une expression issue du monde de l’entreprise ne doit pas servir à masquer que les décisions d’autorisation sont politiques, pas scientifiques.

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