n°150 - mai / juin 2018

OGM : la coexistence est-elle un leurre ?

Par Christophe NOISETTE

Publié le 07/05/2018

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L’absence de fécondations croisées entre les champs de plantes génétiquement modifiées (PGM) et les autres cultures (conventionnelles ou biologiques) n’est pas possible, facilement et à moindre frais. Les cas qui confirment cette impossible coexistence sont nombreux.

Depuis 20 ans, les données du terrain et les études scientifiques confirment que des transgènes se sont échappés hors des champs et que des plantes génétiquement modifiées (PGM) se sont retrouvées là où elles n’auraient pas dû être. Ce constat, que personne ne conteste, signifie que les mesures actuelles de coexistence ne sont pas suffisantes pour empêcher ces disséminations non désirées. Si cette difficile coexistence a des conséquences économiques (déclassement de certaines productions), elle a aussi des con-séquences environnementales. Et ce sont ces dernières qui nous intéressent pour ce dossier.

Plus de pesticides, moins de biodiversité

Première conséquence : la contamination génétique participe de l’augmentation de l’usage des pesticides.

En effet, il existe des adventices qui sont de la même famille que la PGM et qui donc peuvent « échanger » des gènes, à l’instar des moutardes et autres ravenelles qui sont de la famille des Brassicacées (anciennement Crucifères) comme le colza.

C’est une des raisons qui ont fait que le colza GM n’a jamais été cultivé dans l’Union européenne, un des berceaux génétiques de cette famille.

Or un tel échange de gènes participe à l’apparition d’adventices résistantes notamment aux herbicides. Et le problème de ces adventices devenues résistantes est que les agriculteurs conventionnels vont être amenés à augmenter les doses ou la toxicité des herbicides pour éviter qu’elles envahissent leurs champs [1].

Les graines de colzas et autres choux se disséminent sur de très longues distances et peuvent rester en dormance dans les sols pendant plus de dix ans… Ce raisonnement est aussi théoriquement valable pour les plantes Bt… Si le transgène « insecticide » se répand dans la nature et la flore sauvage, les insectes nuisibles à l’agriculture subiront une pression sélective plus forte et de ce fait deviendront plus rapidement résistants.

Deuxième conséquence : la possibilité d’impact sur la biodiversité. Selon la FAO, les variétés traditionnelles pourraient en effet être remplacées par des variétés génétiquement modifiées (voir encadré ci-dessous).

Impact des OGM : les variétés traditionnelles en péril ?

La FAO évoquait en 2003 que « les plantes transgéniques pourraient constituer un péril pour la biodiversité, en particulier dans les zones qui sont le berceau de cette culture. En outre, elles pourraient supplanter les variétés traditionnelles et leurs parents sauvages qui se sont adaptés au fil des ans aux contraintes locales. Par exemple, des variétés locales d’Amérique latine ont permis à la population de survivre après le mildiou de la pomme de terre qui a frappé l’Irlande autour de 1840. Aujourd’hui, ces plantes aident souvent à améliorer la tolérance au climat et la résistance aux maladies. Elles pourraient disparaître si des variétés génétiquement modifiées les remplaçaient. Mais il en va de même des variétés améliorées mises au point par les méthodes classiques de sélection »1.

1, Peser le pour et le contre des OGM : le contre.

Maïs mexicain : une contamination qui se transmet

Les plantes transgéniques actuellement dans les champs sont issues à une très grande majorité de semences issues de laboratoire et achetées annuellement. Nous n’avons donc pas de recul sur l’évolution des transgènes sur plusieurs générations de maïs transgéniques par exemple, étant donné ce con-trôle de pureté variétale réalisé par les entreprises semencières. Mais si un maïs mexicain natif hérite par croisements d’un transgène, ce maïs aura, lui, une descendance, ce transgène va évoluer dans des conditions non contrôlées.

Au Mexique, justement, des maïs indigènes ont été contaminés par des maïs transgéniques, comme l’a confirmé, à nouveau, une étude moléculaire publiée en 2008 dans Molecular Ecology (et basée sur des échantillons prélevés en 2004). Les chercheurs ont clairement identifié des transgènes parmi les variétés de maïs traditionnels cultivées dans l’état de Oaxaca.

En 2006, Aldo Gonzalez, de l’Union des organisations de la Sierra Juarez de Oaxaca (UNOSJO), racontait, photos à l’appui [2], avoir découvert de nombreux maïs difformes dans la zone où la contamination avait été détectée. Une possible explication proposée par Elena Álvarez-Buylla, chercheuse qui confirmait la contamination et qui mériterait d’être encore étayée, est que les maïs indigènes ont des contextes génomiques très différents, entre eux et par rapport à celui des maïs industriels hybrides. Les industriels sélectionnent les lignées qui se comportent comme ils le souhaitent, éliminant les autres…

Mais la nature mexicaine propose une variabilité incroyable de maïs et un transgène peut donc produire des aberrations dans tel contexte génomique mais pas dans un autre. Un maïs natif peut aussi avoir été contaminé par plusieurs transgènes. Elena Álvarez-Buylla conclut en affirmant qu’il est impossible de prédire tout ce qui va arriver. Quant à savoir dans quelle mesure les aberrations ont augmenté dans les sites contaminés par les maïs transgéniques au Mexique, elle ne peut malheureusement pas répondre, faute d’investigation suffisante, mais souligne que d’autres groupes de paysans ont observé des maïs difformes.

Plusieurs explications sont possibles

Une autre explication serait que les maïs indigènes contaminés se sont croisés sur plusieurs générations et que les séquences génétiques ont évolué dans ces génomes. Les transgènes peuvent en effet se recombiner avec d’autres séquences génétiques. Cependant cette dernière explication ne fait pas l’unanimité.

François Delmont, agronome, pense au contraire que l’instabilité des transgènes fait que ces derniers sont plutôt éliminés. Il pense que ces formes aberrantes (qu’il a observées chez d’autres espèces comme les choux) pourraient s’expliquer par les nombreuses pollutions actuelles, chimiques, radio-actives ou électro-magnétiques. Depuis fin 2013, la culture expérimentale et commerciale du maïs transgénique est interdite sur le territoire mexicain.

François Delmont considère que l’impact sur la biodiversité pour les plantes rendues tolérantes à un herbicide est plus important et réel.

« Les plantes résistantes à un herbicide, qu’elles soient obtenues par transgenèse ou mutagénèse, transmettent cette caractéristique vers des plantes sauvages de la même espèce ou d’espèces apparentées – chez le colza, les betteraves, notamment. Les plantes sauvages qui ont intégré ce caractère de résistance à l’herbicide ont un avantage sélectif mais uniquement dans un champ (ou autour de celui-ci) où on utilise cet herbicide (ailleurs : aucun avantage sélectif). Ces plantes vont pouvoir ainsi se multiplier et se retrouver en plus grand nombre au cours des années suivantes, réduisant d’autant les variations génétiques et donc la biodiversité dans ce milieu. Dans le cas des plantes transgéniques, chez lesquelles on sait que le transgène est instable, il est possible que la nature élimine ce caractère assez facilement au cours de la descendance ; c’est peut-être moins le cas pour les plantes mutées ».

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