Le Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle s’est réuni pour sa trente-cinquième session du 16 au 23 mars. Ce comité, créé en 2000, a comme but notamment d’apporter des réponses au débat sur l’articulation entre deux domaines du droit : celui des ressources génétiques et celui de la propriété intellectuelle [1]. En effet, les produits issus des ressources génétiques [2] (médicaments, variétés conventionnelles ou génétiquement modifiés) sont souvent protégés par un droit de propriété industrielle [3].
Or, ces deux domaines du droit poursuivent des logiques différentes. Les principaux objectifs des textes internationaux relatifs au droit de la propriété industrielle sont, de manière générale, d’harmoniser la protection de la propriété industrielle et de faciliter l’obtention de ces titres de propriété [4]. Quant aux règles régissant les ressources génétiques, elles visent à préserver la diversité biologique, à encadrer l’accès à ces ressources et à assurer le partage juste et équitable des avantages résultant de leur utilisation, avec plus ou moins de succès d’ailleurs [5].
Les dénonciations de biopiraterie sont d’ailleurs un indice symptomatique de l’interaction entre ces deux logiques juridiques [6]. Par exemple, des brevets sur des produits créés à partir de ressources génétiques sont parfois délivrés alors que ces produits ne remplissent pas les critères de brevetabilité (pas de nouveauté ou d’activité inventive) [7]. Ou, des brevets sont délivrés sans que les règles d’accès aux ressources génétiques aient été respectées (pas de consentement préalable en connaissance de cause du pays dit « fournisseur » de la ressource) [8].
Des objectifs encore incertains
La session du comité intergouvernemental a permis aux États membres de l’OMPI de débattre des objectifs du futur instrument international et des moyens de les atteindre. Des questions cruciales restent toutefois encore en suspens : le choix entre l’emploi de l’indicatif ou du conditionnel, le caractère contraignant ou non de l’instrument, mais aussi ses objectifs.
Le « document de synthèse concernant la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques » [9], qui sert de base de travail au Comité et qui a été révisé à l’issue de la session de mars dernier, comporte en effet deux propositions alternatives d’objectifs. L’objectif du futur texte est-il de « contribuer à la protection des ressources génétiques et des savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques dans le cadre du système de propriété industrielle » ? ; ou de prévenir l’octroi de brevets sur des inventions qui ne respectent pas les critères de la brevetabilité (pas de nouveauté, pas d’activité inventive et pas susceptible d’application industrielle) ?
La seconde proposition est à l’évidence plus étroite que la première. Elle cantonne le champ du futur instrument aux demandes de brevet (excluant les marques) et limite d’emblée le type de mesures qui pourraient être mises en place pour assurer une meilleure articulation entre les règles d’accès et de partage des avantages des ressources génétiques par le droit des brevets [10].
Et justement, les mesures prévues dans le document de synthèse font également l’objet de plusieurs propositions alternatives d’articles. Celles-ci sont le reflet d’autant de désaccords qui restent à régler et qui opposent les pays occidentaux aux pays d’Amérique latine et d’Afrique [11].
Vers une exigence de divulgation a minima ?
Le document de synthèse propose d’abord d’inclure une exigence de divulgation dans le droit des brevets ou le droit de propriété industrielle. Cette exigence de divulgation, à laquelle les pays occidentaux et l’industrie des biotechnologies sont opposés (voir encadré ci-dessous), est présentée comme un moyen de vérifier que les règles concernant l’accès et le partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques ont été respectées.
Le texte prévoit que la divulgation portera sur un certain nombre d’informations concernant la ressource génétique. Mais la teneur précise de l’exigence de divulgation reste encore à définir. Les États doivent encore déterminer si celui qui veut obtenir un titre de propriété industrielle devra divulguer le pays fournisseur de la ressource génétique, ou le pays d’origine et ou/si non connu, la source [12] de la ressource génétique.
Bien plus important encore, le caractère obligatoire ou non de l’exigence de divulgation reste à déterminer. Or, comme nous le confie Leandro Varison, juriste de France Libertés qui était présent à la session, les pays occidentaux (États-Unis, États membres de l’Union européenne, Japon…) veulent éviter qu’un texte trop contraignant voie le jour. Des débats avec les pays d’Amérique latine et d’Afrique sont donc à prévoir...
Quelle qu’en soit l’issue, les pays occidentaux ont déjà obtenu une chose : l’exigence de divulgation ne sera pas absolue. En effet, si le choix est fait de limiter l’objectif de l’instrument à la prévention de l’octroi indu de brevets, la divulgation de l’endroit où la ressource génétique peut être obtenue ne pourra être demandée que si cette indication est nécessaire pour que « l’homme du métier » puisse reproduire « l’invention ». Et des exceptions à l’exigence de divulgation sont aussi prévues si l’objectif plus large était retenu. Quant aux sanctions en cas de non respect de l’exigence de divulgation, une large place est laissée au droit national. Cela laisse présager des disparités importantes dans l’application effective de l’exigence de divulgation d’un État à un autre – le caractère dissuasif d’une sanction étant un moyen de garantir le respect d’une obligation…
L’industrie des biotechnologies réticente à la divulgation
La position de l’industrie des biotechnologies sur l’exigence de divulgation est claire. Dans une observation soumise au Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore en 2008, l’Organisation des industries de biotechnologies (BIO) a exprimé sa réticence à sa mise en place. Selon l’Organisation, « les propositions tendant à instaurer de nouvelles obligations de divulgation ne permettront pas d’atteindre les objectifs recherchés par leurs auteurs mais auront probablement d’importantes conséquences négatives à la fois sur les incitations à innover qu’offre le système des brevets et sur l’obtention d’avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques qui pourraient être partagés ». Pour l’Organisation des industries des biotechnologies, il faudrait avant tout « améliorer la qualité de l’examen des demandes de brevet portant sur des inventions pouvant avoir un lien avec les ressources génétiques ».
Des mesures défensives… légères !
Le document de synthèse prévoit, par ailleurs, une série de mesures dites « défensives » pour, en théorie, éviter que des brevets soient délivrés de manière indue [13]. C’est-à-dire, accordés à l’égard « d’inventions revendiquées qui font appel à des ressources génétiques » quand ces ressources génétiques constituent une antériorité par rapport à l’invention revendiquée (pas de nouveauté) ou quand les ressources génétiques rendent caduque une invention revendiquée (évidence ou absence d’activité inventive).
Pour éviter l’octroi indu de brevets, le document de synthèse prévoit aussi des mesures consistant en l’utilisation de bases de données [14] et de codes de conduite volontaires ou de lignes directrices par les offices de propriété intellectuelle.
Comme pour l’exigence de divulgation, les États doivent encore déterminer si ces mesures seront obligatoires ou facultatives. Néanmoins, même si leur adoption était obligatoire, une marge de manœuvre importante sera laissée aux États dans leur mise en œuvre [15]. Enfin, le texte reste silencieux sur les conséquences à tirer du constat de l’octroi indu d’un brevet : « l’invention » indûment brevetée tombera-t-elle dans le domaine public ? Les peuples autochtones recevront-ils une réparation ? Des questions qui ne recevront que des réponses nationales...
Quelle définition des ressources génétiques ?
Mais l’efficacité du futur instrument dépendra aussi, et surtout, de la définition qu’il donne de l’expression « ressource génétique ». Actuellement, les Parties à la Convention sur la diversité biologique débattent du « statut » des séquences et informations génétiques dématérialisées : sont-elles des ressources génétiques soumises aux règles d’accès et de partage des avantages [16] ? Dans le cadre de l’OMPI, la question est de savoir si le futur texte s’appliquera aussi aux données obtenues par séquençage du génome – même si cette question n’a pas été évoquée lors de la session de son comité intergouvernemental en mars dernier.
Le document de synthèse comporte pour l’instant deux définitions de l’expression « ressource génétique ». L’une reprend celle de la Convention sur la diversité biologique, ce qui pourrait témoigner de la volonté des rédacteurs de suivre également la décision prise ultérieurement dans le cadre de cette convention au sujet du statut des informations et séquences génétiques numérisées. L’autre définition reprend également la définition de la Convention sur la diversité biologique, mais en allant plus loin. Elle y inclut les dérivés des ressources génétiques et l’information génétique de ces dérivés [17].
Le terme « dérivés » pourrait-il couvrir les protéines et les glucides de plantes ? Si oui, doit-on y voir la reconnaissance implicite que de tels éléments peuvent faire l’objet de propriété industrielle ? La réponse n’est pas évidente. Car le texte prend soin de préciser que les ressources génétiques, se trouvant dans la nature ou isolées de celle-ci, ne sont pas des inventions et que, par conséquent, aucun droit de propriété industrielle ne devrait être accordé à leur égard [18]. Un article dont il n’a pas encore été déterminé s’il devait être rédigé au conditionnel ou à l’indicatif…
Le document de synthèse sera transmis à la prochaine session du Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore, qui aura lieu du 25 au 29 juin 2018. Un groupe d’experts ad hoc se réunira en amont de cette session, le 24 juin 2018 pour discuter la question.