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OGM : la pomme transgénique « Arctic » autorisée aux États-Unis et au Canada

Par Eric MEUNIER

Publié le 25/08/2017, modifié le 01/12/2023

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En 2010, l’entreprise Okanagan déposait une demande d’autorisation pour une pomme transgénique, appelée « Arctic », modifiée pour ne pas « brunir » une fois épluchée. Le ministère étasunien de l’Agriculture (USDA) a autorisé, le 13 février 2015, la commercialisation de deux variétés de cette pomme. Au Canada, c’est le 20 mars 2015 que l’autorisation commerciale a été donnée. Et le 26 septembre 2016, une troisième variété de pomme Arctic ne brunissant pas a reçu le feu vert du ministère étasunien de l’Agriculture, la pomme Arctic Fuji.

La demande déposée par l’entreprise québécoise Okanagan (rachetée début 2015 par l’entreprise étasunienne Intrexon, spécialisée dans la biologie de synthèse [1]) concerne deux pommes génétiquement modifiées par transgenèse pour ne pas brunir une fois épluchée. Cette demande a également été faite au Canada [2]. Techniquement, ces pommes, répondant aux doux noms de GD743 et GS784, ont été modifiées afin que le gène codant l’enzyme polyphénol oxydase, responsable de ce brunissement par oxydation, ne s’exprime pas. Dans les faits, la pomme GD743 contient deux copies du transgène, alors que la pomme GS784 contient « de multiples copies  » du même transgène [3]. Pour que cette enzyme ne s’exprime pas, la modification a consisté à exprimer des molécules d’ARN [4], de manière à induire le mécanisme appelé interférence à ARN [5].

On notera ici que si les séquences génétiques d’intérêt insérées sont issues de la pomme, ces deux plantes sont pourtant bel et bien transgéniques (et non cisgéniques) du fait de la présence d’autres éléments génétiques provenant d’autres espèces.

Okanagan dépose son dossier dès 2010…

L’entreprise Okanagan a déposé sa demande d’autorisation en juin 2010 au ministère étasunien de l’Agriculture (Aphis) et en 2011 au Canada. Ce produit vise le marché du snack (pour les pommes prédécoupées en lamelles) et des en-cas frais [6]. À l’époque, le site du ministère de l’Agriculture aux États-Unis mentionnait cette seule demande d’autorisation, mais ne fournissait pas les documents présentés par l’entreprise [7]. L’entreprise parlait déjà de commercialiser ces pommes sous le nom de pomme « Arctic ». Mais le président de la Commission des pomiculteurs de l’état de Washington, Todd Fryhover, avertissait : «  Génétiquement modifié – c’est un mot négatif dans notre industrie » [8]. S’il reconnaissait le risque de contamination par le pollen, Neal Carter, de l’entreprise canadienne, espérait convaincre les producteurs de cultiver ces pommiers sur des surfaces suffisamment larges pour éviter ce risque.

… et en redépose une seconde version en 2012, ouvrant la voie à l’évaluation

Aux États-Unis, après discussions entre Okanagan et l’Aphis sur le contenu de la demande déposée, une nouvelle version de la demande était envoyée en février 2012 [9]. Après que le ministère de l’agriculture ait considéré complète cette seconde version, il lançait la procédure de consultation publique pour « aider l’Aphis à identifier de potentiels problèmes environnementaux et les questions économiques liées que l’Aphis devrait considérer dans son évaluation » [10]. Cette consultation du public s’est déroulée de juillet à septembre 2012 et a recueilli 1935 réponses [11]. L’Aphis disposait alors de tous les éléments pour conduire une pré-évaluation environnementale. Cette pré-évaluation a été conduite en 2013 puis soumise à consultation publique, laquelle vient d’être close. Outre la pré-évaluation environnementale, cette consultation publique concernait également l’analyse de la pomme transgénique en tant que parasite végétal ou non [12], un préalable indispensable à toute autorisation aux États-Unis.

En parallèle, l’entreprise a créé un site Internet dédié à ces pommes transgéniques [13] : elle y diffusait des rumeurs d’autorisation avant même que les rapports ne soient publics. Elle précisait ainsi en février 2013 « avoir reçu des indications que l’Aphis allait conclure à l’autorisation des pommes Arctic » [14]. Ce site Internet visait aussi à mobiliser les internautes pour obtenir l’autorisation de commercialiser cette pomme. C’est ainsi que les consultations publiques furent présentées comme des « occasions de témoigner au ministère de l’Agriculture le soutien aux pommes Arctic ».

Fin 2013, le gouvernement étasunien consulte les citoyens

C’est entre le 8 novembre 2013 et le 30 janvier 2014 que les citoyens étasuniens ont pu faire part de leur opinion sur les risques environnementaux liés à cette pomme. Il est à noter que la période initialement prévue pour un mois (jusqu’au 9 décembre 2013) a été « réouverte » jusque fin janvier 2014 par l’Aphis elle-même, suite à de « nombreuses demandes de pouvoir bénéficier de plus de temps pour préparer et soumettre des commentaires » [15]. Les documents mis en consultation montraient que l’Aphis considérait que cette pomme transgénique n’est pas, on s’en serait douté… un parasite végétal. Une condition nécessaire mais non suffisante pour que la pomme GM soit autorisée. Le document sur l’évaluation environnementale fournit de son côté l’opinion de l’Aphis quant aux potentiels impacts. Selon le Centre pour la sécurité des aliments (Center for food safety, CFS), la pré-évaluation environnementale proposée par l’Aphis n’était pas suffisante puisque « basée sur sur des analyses incomplètes et inadéquates » [16]. Selon le CFS, l’Aphis aurait dû conduire une analyse complète des impacts environnementaux, conformément à la législation en vigueur. Rappelons d’ailleurs que l’Aphis a déjà été obligé par la Justice à conduire une telle évaluation renforcée dans le dossier de la luzerne transgénique de Monsanto [17].

Une très forte opposition à cette pomme transgénique

La potentielle commercialisation d’une telle pomme génétiquement modifiée (dans un pays qui n’impose aucun étiquetage) ne réjouissait pas tout le monde. C’est ainsi que, outre les structures de la société civile, certaines entreprises s’étaient déclarées opposées à une telle décision. En novembre 2013, l’Association étasunienne de la Pomme, le Conseil horticole du nord-ouest représentant les pomiculteurs de l’état de Washington – soit près de 60% de la production de pommes aux États-Unis – et l’association des producteurs de fruits de Colombie britannique, ont communiqué sur leur désaccord avec une potentielle autorisation [18].

Le 13 février 2015, la pomme est autorisée commercialement et sera indirectement étiquetée !

Le ministère de l’Agriculture a finalement décidé d’autoriser commercialement ces deux pommes, considérant donc improbable que ces pommes se comportent en parasite. Selon son communiqué [19], les deux pommes seront commercialisées sous les noms « Arctic® Granny » et « Arctic® Golden ». Cette précision est d’importance car, si aux États-Unis l’étiquetage OGM n’est pas obligatoire, une telle appellation devrait permettre aux consommateurs scrupuleux et informés de savoir s’ils mangent une pomme génétiquement modifiée ou non.

L’autorisation délivrée par le ministère de l’Agriculture permet donc à l’entreprise Okanagan de commercialiser des pommiers GM qui, d’ici quelques années, donneront des pommes GM à consommer. L’entreprise invite donc toute personne intéressée à cultiver ces pommiers à la contacter [20]. Selon Neal Carter, Président d’Okanagan, 20 000 pommiers pourraient être plantés ce printemps, par quatre arboriculteurs [21].

Il faut rappeler qu’aux États-Unis, le ministère de l’Agriculture est en charge des autorisations relatives aux potentiels impacts environnementaux. Les aspects sanitaires sont, eux, étudiés dans le cadre d’une « simple » consultation du ministère de l’alimentation et des médicaments (FDA). Une consultation dont les résultats ne conditionnent pas légalement une autorisation commerciale. Pour les deux variétés de pommes transgéniques, cette évaluation des risques sanitaires s’est terminée le 20 mars 2015 avec l’annonce par la FDA de ses conclusions [22]. Et pour ce ministère, les deux variétés de pommes transgéniques sont « aussi sûres et nutritives que leur contrepartie conventionnelle ». Une affirmation basée sur la seule étude de données fournies par Okanagan sur « les changements moléculaires et la composition nutritionnelle » des deux pommes…

Comme le rappelle l’association les Amis de la terre [23], les entreprises McDonald et Gerber ont d’ores et déjà annoncé qu’elles n’utiliseraient pas ces pommes. L’Union des scientifiques concernés (UCS) s’est également exprimée : Michael Hansen, un scientifique membre de l’UCS, considère que « le ministère de l’Agriculture a conduit une évaluation lacunaire des impacts sanitaires et environnementaux, notamment pour ce qui concerne l’interférence à ARN ». L’évaluation aux États-Unis ne s’intéresse pas à la technique utilisée mais au seul produit final obtenu.

Le 20 mars 2015, c’est au tour du Canada de l’autoriser

Le 13 février 2015 également, le Réseau canadien d’Action sur les Biotechnologies (CBAN) et l’association des cultivateurs de fruits de la Colombie Britannique (BC fruit growers association) avaient demandé au gouvernement d’assurer que le marché canadien reste fermé à ces pommes [24]. Une demande restée lettre morte puisque le 20 mars 2015, selon le site Santé Canada, en charge de l’évaluation des risques pour l’alimentation humaine, « la culture et la vente de deux variétés de pomme Arctic ont été approuvées au Canada, la Arctic Golden Delicious et la Arctic Granny Smith » [25]. A la différence des États-Unis, une évaluation des risques sanitaires « avec une expertise en biologie moléculaire, en microbiologie, en toxicologie, en chimie et en nutrition » est obligatoire au Canada et cette analyse a conclu à l’absence de risque. Néanmoins, le détail de ces analyses n’a pas encore été rendu public. De son côté, l’Agence canadienne de l’inspection des aliments (ACIA) est arrivée aux mêmes conclusions pour l’alimentation [26]. Concernant l’étiquetage, l’ACIA rappelle qu’au Canada, « les produits peuvent être volontairement étiquetés comme étant génétiquement modifiés ou non issus du génie génétique ». Reste à savoir ce qu’Okanagan décidera de faire, sachant qu’en 2012, 69% des canadiens interrogés dans le cadre d’un sondage s’étaient exprimés contre cette autorisation [27]

Mais, outre les autorisations commerciales initiales, ces mouvements d’opposition n’ont pas non plus refroidi les ardeurs d’Oakanagan puisque en septembre 2016, l’entreprise recevait l’autorisation du ministère étasunien de l’Agriculture de commercialiser une troisième variété transgénique, la pomme Arctic Fuji [28]. À l’instar des deux premières variétés, cette pomme est modifiée génétiquement par transgenèse pour ne pas brunir.

[4L’expression de l’enzyme est inhibée par l’expression de molécules d’ARN, molécules intervenant dans la régulation cellulaire de l’expression génétique

[9Source Inf’OGM

[12sur cet aspect de la réglementation, voir Eric MEUNIER, « ETATS-UNIS – Qui a fait pression pour que la luzerne OGM soit autorisée ? », Inf’OGM, 31 mars 2014

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