Analyse

Intrexon, l’entreprise qui modifie tout le vivant

Par Christophe NOISETTE

Publié le 23/08/2017, modifié le 01/12/2023

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L’entreprise Intrexon n’occupe pas la une médiatique comme Monsanto ou Bayer. Pourtant elle a réussi à réunir sous sa coupe un nombre important d’entreprises de biotechnologies diverses et dynamiques, comme Oxitec (à l’origine des moustiques transgéniques), AquaBounty (à l’origine du saumon transgénique), GenVec (qui a développé plusieurs thérapies géniques), etc. Voyage au cœur de ce monstre plutôt discret.

MAJ février 2023 : Cet article est une archive. Des changements importants ont eu lieu. Premièrement, Intrexon a été rebaptisé Precigen en 2020. Third Security, le fond d’investissement de Randal Kik qui avait fondé Intrexon, ne possède plus que 38.4% de Precigen… Et Third Security s’est aussi désengagé d’Aquabounty, par exemple…

Quel est le rapport entre le saumon qui grossit plus vite, les pommes qui ne brunissent plus, les moustiques stériles et le clonage des animaux de compagnie ? Intrexon ! Cette entreprise a pour filiales de nombreuses entreprises « innovantes » dans le domaine des biotechnologies humaines, animales et végétales. Au départ, elle s’intéressait à la biologie de synthèse, mais depuis, elle a investi de fortes sommes dans des entreprises de façon relativement discrète. Cette fusion de l’ensemble des activités autour de la génétique se retrouve dans le nom de domaine de l’entreprise : www.dna.com (DNA est le sigle anglais d’ADN).

Poissons transgéniques, thérapie génique : c’est Intrexon

En 2017, Intrexon sauvait AquaBounty de la faillite en devenant l’actionnaire majoritaire de cette entreprise qui vend depuis cette année sur le marché canadien des saumons génétiquement modifiés pour grossir plus rapidement. L’intérêt d’Intrexon pour cette entreprise a sans doute joué un rôle important dans le dénouement récent de la saga de ce saumon qui a commencé il y a plus de 20 ans. Et juin 2017, Intrexon acquérait pour 14 millions de dollars l’entreprise Bell Fish Company qui possède notamment une énorme ferme piscicole dans l’Indiana, aux Etats-Unis [1]. Les premiers saumons transgéniques pourraient voir le jour courant 2019 et AquaBounty/Intrexon espère produire 1200 tonnes de saumon annuellement sur ce site de production, et engranger ainsi 10 millions de dollars de vente annuelle.

En juin 2017, Intrexon achetait GenVec, Inc. qui a développé plusieurs thérapies géniques (avec 3000 essais cliniques à son actif) [2].

En août 2015, elle achetait pour 160 millions de dollars la start’up britannique Oxitec qui a mis au point des insectes mâles stériles transgéniques [3]. Grâce à l’argent frais d’Intrexon, Oxitec a investi dans une énorme usine de moustiques transgéniques au Brésil. Et on notera aussi un regain d’intérêt pour ces moustiques au Brésil, en Colombie, et dans une colonie néerlandaise. Et en avril, Okanagan Specialty Fruits était absorbée par Intrexon. Cette entreprise a reçu de façon presque simultanée une autorisation des autorités canadiennes et étasuniennes pour vendre plusieurs variétés de pommes « Arctic » génétiquement modifiées pour ne pas « brunir » [4].

En 2014, elle achetait Trans Ova Genetics et ses technologies de clonage et de reproduction bovine [5]. Cette entreprise produit annuellement une centaine de veaux clonés, mais aussi des cochons et des chevaux de course. Trans Ova Genetics avait au préalable acheté ViaGen Pets [6] [7] qui propose de « préserver » la génétique de votre animal de compagnie préféré et/ou de le cloner… [8]. L’entreprise est aussi impliquée dans le clonage d’animaux d’élevage (bovin, ovin, équin, etc.).

Biological & Popular Culture, Inc. (BioPop) qui se dit spécialisée dans l’art vivant a rejoint Intrexon en octobre 2013 [9]. Cette entreprise a mis au point des « dino pets » fluorescents (voir encadré).

Des dino fluorescents à nourrir soi-même


Les « dino fluorescents », ce sont des jouets dans lesquels on installe des dinoflagellés (Pyrocystis fusiformis), une micro-algue – de la famille des planctons – qui devient bioluminescente quand elle est agitée. Ces dinoflagellés doivent être nourris, un peu comme des Tamagotchi mais avec une plus grande vraisemblance avec le vivant. Ainsi, l’entreprise vend aussi de la nourriture pour ces algues, une sorte d’eau de mer riche en nutriment… BioPop a collecté des dinoflagellés dans l’océan afin de lancer une production industrielle dans des fermes aquatiques.

En 2017, également, Intrexon a créé Precigen, Inc., une nouvelle filiale qu’elle détient entièrement, chargée de mettre au point des thérapies géniques et cellulaires [10].

La constellation Intrexon, ce sont aussi de nombreuses joint-ventures impliquées dans les thérapies géniques pour le traitement des maladies oculaires (S & I Ophthalmic avec Sun Pharmaceutical Industries Ltd.), l’immunothérapie contre les diabètes de type 1 (Intrexon T1D Partners, LLC), l’utilisation des outils de génie génétique pour le traitement de l’infertilité féminine et la fécondation in vitro (OvaXon filiale commune avec OvaScience, Inc. [11], l’alimentation animale (EnviroFlight, LLC, joint-venture avec Darling Ingredients Inc. [12], les agro-carburants de synthèse, la bioconversion du méthane et la production de carburant et autres lubrifiants à base de gaz naturel (Intrexon Energy Partners), les bioplastiques et le polyuréthane (Intrexon Energy Partners II).

Intrexon a aussi développé de nombreux partenariats avec d’autres entreprises privées, principalement impliquées dans le développement de traitement génétique, à l’instar de Agilis Biotherapeutics ou Genten Therapeutics, Inc. impliquées dans le traitement de la maladie cœliaque. En 2011, Intrexon se rapproche de Ziopharm Oncology qui travaille sur des médicaments ou des thérapies géniques contre différents cancers. Third Security, le fonds d’investissement de Kirk, détient désormais 7,3 % des actions [13], et Kirk a rejoint le Board des directeurs. Ensemble, ces deux entreprises souhaitent développer des thérapies contre le cancer en utilisant la biologie de synthèse via la plateforme d’Intrexon UltraVector Technology  [14], [15]. Cependant, cette fameuse plateforme qu’Intrexon promeut n’a, à l’heure actuelle, fait l’objet d’aucune publication scientifique dans une revue à comité de lecture.

Un Terminator à la sauce Intrexon ?

Intrexon a aussi une division interne spécialisée sur les biotechnologies agricoles (Intrexon Agricultural Biotech Division, ABD). Dans les laboratoires de cette division sont mises au point et expérimentées de nombreuses plantes génétiquement modifiées. Les ingénieurs d’ABD ont ainsi annoncé en juillet 2016 [16] le lancement de leur technologie brevetée, Florian™ technology, une sorte de commutateur génétique pour réguler le moment de la floraison ou pour activer et désactiver des gènes spécifiques. Les producteurs qui cultiveront ces plantes ainsi modifiées pourront déclencher la floraison de leur récolte quand ils le souhaiteraient en pulvérisant un spray… ou s’ils ne veulent pas qu’elles fleurissent, comme par exemple pour les agrostis utilisés dans pour les golfes, ils ne pulvériseront rien… Apparemment aucun organisme modifié selon cette technologie n’a été mis sur le marché. La technologie Florian pourrait aussi être utilisée, annonce avec fierté l’entreprise, « pour réduire le risque environnemental lié à la dissémination du pollen des cultures OGM vers les plantes sauvages »… Florian, le nouveau nom de Terminator ?

Intrexon est aussi une entreprise qui a su recruter des personnes « bien placées » : on retrouve ainsi dans le board d’Intrexon Robert B. Shapiro, l’ex-président et CEO de Monsanto entre 1995 et 2000 et, en tant que « vice président senior », Jack Bobo [17], le lobbyiste pro-biotech de l’administration Bush [18], Sekhar Boddupalli [19], un ancien cadre de la division semences potagères de Monsanto [20], ou encore Samuel Broder, l’ancien directeur de l’Institut national du cancer. John McLean, qui a travaillé pendant 25 ans pour Monsanto, est désormais un responsable commercial de la branche « alimentation » d’Intrexon [21] On retrouve aussi à différents postes des avocats, juristes et lobbyistes de renommée internationale, comme Cesar Alvarez, le président du cabinet Greenberg Traurig, à la réputation quelque peu sulfureuse.

Achats, reventes et… culture du secret

Intrexon est une pieuvre aux nombreuses ramifications… Mais elle n’est rien face à la galaxie de son président directeur général. Third Security LLC est l’actionnaire principale d’Intrexon (52%). Ce fond d’investissement a été fondé en 1999 par Randal J. Kirk – en 2016, Kirk possédait 100 % du capital de Third Security [22] et lui a permis d’investir dans de nombreux secteurs des biotechnologies. Kirk est un étasunien multi-milliardaire [23]. Âgé de 63 ans, il a commencé à investir dans le secteur des biotechnologies, il y a plus de trente ans [24]. Il n’a cessé d’augmenter sa fortune en achetant et en vendant des entreprises de biotech : en 2007, il vendait pour 2,7 milliards de dollars une entreprise qu’il avait fondée, New River Pharmaceutical à Shire Plc. En 2011, c’était Clinical Data [25], spécialisée dans les tests génétiques et qui a mis au point un anti-dépresseur Viibryd qu’il revendait pour une somme tout aussi astronomique. Third Security LLC est actionnaire de nombreuses entreprises, comme Halozyme Therapeutics Inc., Ziopharm Oncology Inc., Aquabounty Technologies Inc., etc. [26].

Mais Kirk n’est pas le fondateur d’Intrexon. Au départ, un biologiste moléculaire, Thomas Reed, a créé cette entreprise en 1998 alors qu’il passait son doctorat. C’est la rencontre en 2006 avec Randal Kirk qui a fait de cette petite entreprise le monstre que nous venons de décrire. Cet homme est donc un financier avant tout : il achète en espérant pouvoir vendre plus cher, plus tard.

Une analyse économique, publiée en mai par Spotlight Research, a qualifié Intrexon et ses filiales de « réseau complexe de micro-capitalisation, de revenus nuls, de sociétés de flux de trésorerie négatifs qui semblent exister dans le seul but de gonfler les revenus et la rentabilité [d’Intrexon] ». Accusé d’opacité, Kirk se défend : « Les concurrents et les gens qui, pour quelque raison que ce soit, ne nous aimeraient pas, sont libres de dire ce qu’ils veulent. (…) Je me suis toujours concentré tout au long de ma carrière sur la création d’une valeur intrinsèque et, pour ce faire, il n’est pas toujours possible de parler publiquement de tout ce que nous faisons » [27].

[7ViaGen avait été achetée par Trans Ova Genetics, mais auparavant, ViaGen et Trans Ova Genetics avaient créé une joint-venture appelée Bovance.

[8Il faut compter 50 000 dollars pour un chien et 25 000 dollars pour un chat.

[12Cette joint-venture entend produire à grande échelle des larves de Hermetia illucens, une mouche riche en protéine et en Omega3.

[13En juin 2019, selon le site zonebourse.com, Third Security a plus de 49% des actions d’intrexon, suivi de Merck KGAA avec 15%

[20Parmi ses nombreux brevets, l’un porte sur des plantes génétiquement modifiées dans le but de modifier la composition des acides gras des huiles végétales, des cires et des composés apparentés.

[21Chief Commercial Officer of Intrexon’s Food Sector, https://www.linkedin.com/in/john-mclean-42897b3/

[23il est classé parmi les 400 plus grandes fortunes du Monde par le journal Forbes.

[25Kirk était l’actionnaire principal et le président de Clinical Data. Il a vendu cette entreprise pour 1,2 milliard de dollars à Forest Laboratories juste après avoir reçu l’autorisation de commercialisation du Viibryd.

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