Actualités

UE – Évaluation des OGM : suite à des avis très critiques, des dossiers sont retirés

Par Eric MEUNIER

Publié le 06/06/2013

Partager

Les entreprises de biotechnologie comme BASF, Pioneer ou Monsanto ont récemment laisser croire que l’insécurité politique européenne autour du dossier OGM les amenait à arrêter voire à retirer des demandes d’autorisations commerciales. A bien y regarder, la possibilité d’un refus d’autorisation du fait de lacune scientifique dans les dossiers déposés semble être une raison plus concrète de ce recul. Ainsi, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) a publié en 2013 un avis mitigé sur le colza Gt73 de Monsanto et un avis listant des lacunes sur le maïs 98140 de Pioneer Hi-Bred. Cette agence ne fait pas cavalier seul, puisqu’en France, aussi bien l’Anses que le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) ont eux aussi rendu des avis faisant état de lacunes respectivement sur un soja et un colza. Et la dernière recommandation du Comité Économique Éthique et Social (CEES) du HCB sur la prolongation de l’essai en champ de peupliers GM est clairement défavorable au projet de l’Inra [1]. Soulignons aussi qu’en parallèle, BASF avait retiré ses demandes d’autorisation pour trois pommes de terre GM, dont l’autorisation était très mal partie au vu des avis rendus par les experts français [2]

Le 13 mars 2013, l’AESA adoptait son avis sur la demande d’autorisation déposée en 2010 par Monsanto pour le colza Gt73, génétiquement modifié pour tolérer les herbicides à base de glyphosate.

L’AESA franchit le pas

Ce colza avait déjà été autorisé en août 2005, mais uniquement pour l’importation, la transformation et l’alimentation animale. En 2010, Monsanto avait déposé une demande d’autorisation pour les mêmes destinations, mais aussi pour l’alimentation humaine [3]. Mais cette fois-ci, l’AESA n’a pas pu conclure quant à l’innocuité sanitaire des protéines extraites des graines, car Monsanto n’a pas fourni les données d’alimentarité et de toxicologie aigüe. Or, pour toute la filière de transformation, une telle autorisation est obligatoire. La Commission européenne a donc écrit à l’AESA pour qu’elle demande à Monsanto de fournir ces données. Ce que l’AESA avait pourtant déjà demandé, le 27 janvier 2012, comme elle l’explique à la Commission européenne dans sa réponse [4]. Et l’AESA de conclure : « le pétitionnaire a fait le choix de ne pas répondre […] L’AESA ne voit donc aucune autre possibilité d’actions supplémentaires. Si de telles données devaient devenir disponibles, l’AESA serait ravie de pouvoir reprendre cette évaluation ». Interrogée par Inf’OGM, la Commission européenne nous a indiqué que le 8 mai 2013, « Monsanto a informé la Commission qu’ils voulaient exclure l’usage des protéines isolées des graines de colza Gt73 du champ de leur demande d’autorisation étant donné qu’ils ne sont pas intéressés à commercialiser ce produit ». En conséquence, « les services de la Commission préparent une proposition législative couvrant tous les usages food/feed Gt73, à l’exception des protéines isolées des graines ».

Cette décision de Monsanto d’exclure les protéines extraites des graines devrait débloquer un autre dossier porté conjointement par Bayer et Monsanto : celui de la demande d’autorisation en cours pour le colza Ms8*Rf3*Gt73. En effet, sans autorisation donnée pour l’évènement Gt73, la Commission ne peut autoriser ce colza à trois transgènes sans passer par une évaluation complète des risques. D’ailleurs Monsanto et Bayer écrivent dans leur demande d’autorisation que certaines analyses à effectuer pour obtenir l’autorisation n’ont pas été faites, car « le colza Ms8*Rf3*Gt73 a été obtenu par croisement conventionnel de trois colzas : Ms8, Rf3 et Gt73. […] Ces trois évènements ont été considérés sans risque ce qui fut confirmé par le panel OGM de l’AESA ». Une affirmation qui, concernant l’alimentation humaine, anticipait un avis de l’AESA à venir et qui n’est donc plus vraie depuis le 13 mars 2013.

Un mois plus tard, l’AESA a rendu un avis faisant état d’impacts potentiels sur la demande d’autorisation de Pioneer Hi-Bred pour le maïs 98140 (tolérance des herbicides à base de glyphosate et/ou d’inhibiteur d’enzymes ALS) à destination de l’alimentation humaine et animale [5]. L’AESA expliquait que le panel OGM ne pouvait « conclure sur la sécurité du maïs 98140 […] eu égard aux impacts potentiels sur la santé humaine et animale ». Concrètement, elle considère que des analyses ont été faites soit à partir de mauvaises données soit, plus simplement, mal faites [6]. Elle rejoignait donc les experts français qui avaient rendu un avis négatif en février 2009.

Suite à cet avis, Pioneer, comme Monsanto, a préféré retirer son dossier plutôt que de le compléter avec de nouvelles analyses. La Commission nous a en effet confirmé que dès le 6 mai 2013, Pioneer l’informait « qu’il n’avait plus d’intérêt commercial dans le maïs GAT [98140] et que, dès lors, il retirait sa demande d’autorisation ». Une décision rapide qui permet à Pioneer d’éviter que la Commission européenne propose aux États membres de refuser l’autorisation de cette PGM. Ce qui aurait été une première en Europe !

Les agences d’évaluation françaises très critiques

En France, les deux comités d’experts ont rendu en 2013 des avis faisant état de lacunes d’informations : sur le soja MON87705*MON89788 de Monsanto, le maïs MON87427 de Monsanto et le colza 73496 de Pioneer pour l’Anses, sur le colza 73496 de Pioneer pour le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB).

Côté Anses, les avis sont motivés, selon les dossiers, par des manques d’analyses de toxicologie et d’alimentarité ou de quantités d’herbicides présents [7]. Pour le colza, le Comité scientifique du HCB, dans sa contribution à l’évaluation de ce colza par l’AESA [8], soulignait que Pioneer devrait fournir plusieurs informations complémentaires sur l’apparition de populations férales de colza 73496, leur persistance et les « conséquences agro-écosystémiques d’un transfert du transgène conférant une tolérance au glyphosate vers des variétés de colza cultivées ou des espèces adventices apparentées ». Des informations sur la surveillance de la dissémination de ce colza dans l’environnement, l’impact de ce colza sur des organismes non-cibles, des précisions sur des faiblesses de l’évaluation par comparaison de la composition de ce colza, et une étude supplémentaire de toxicologie et d’alimentarité avaient également été demandées par le HCB. Des avis qui augurent de délais supplémentaires avant que ces deux dossiers n’aboutissent à une décision.

L’AESA a donc franchi un cap en publiant pour la première fois des avis listant des impacts potentiels ou en refusant de statuer sur l’ensemble de la demande déposée. Jusqu’à maintenant, l’AESA n’avait jamais été amenée à publier de tels avis : les entreprises discutaient des lacunes ou faiblesses de leur dossier déposé avec les experts européens jusqu’à obtenir un avis concluant à l’innocuité. D’où des délais de traitement des demandes allongés dont les entreprises se sont déjà plaintes mais sans préciser que la cause pouvait être les lacunes ou faiblesses scientifiques de leurs dossiers. L’AESA connaît actuellement une période de turbulence avec son budget en baisse et des situations de conflits d’intérêt rendues publiques. Par ailleurs, une entreprise, Monsanto, est mécontente de sa politique de transparence avec la publication de données liées à l’un de ses dossiers, et menace de porter plainte.

Les entreprises ont toujours été vigilantes à retirer ou ajuster leurs demandes d’autorisation en fonction des avancées de leur traitement. Un phénomène qui, s’il est concrètement visible aujourd’hui, a déjà été observé en 2009 avec les dossiers de deux maïs contenant l’évènement Ly038 [9]. Ces retraits ou ajustements évitent aux entreprises l’affront d’un refus et surtout, leur permettent d’accuser l’Union européenne d’être une terre non propice au commerce des OGM. 

Actualités
Faq
A lire également