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Déréglementation des OGM : les États membres sont dubitatifs

Par Eric MEUNIER

Publié le 05/12/2023, modifié le 15/01/2024

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Lundi 11 décembre 2023, l’Espagne prévoit de demander aux États membres de voter formellement sur l’éventuelle déréglementation des OGM. Ces États membres planchent sur le sujet depuis juillet dernier. L’Espagne a, jusque maintenant, maintenu une pression forte pour obtenir une position du Conseil des ministres de l’Agriculture avant la fin de sa présidence. Le 20 novembre dernier, lors de la dernière réunion des ministres, des interrogations et désaccords nombreux ont été exprimés.

Il n’était pas prévu de prise de parole des États membres lors du dernier Conseil des ministres de l’Agriculture, qui a eu lieu le 20 novembre 2023. Cependant, nombreux d’entre eux ont malgré tout souhaité s’exprimer. Il faut dire que le sujet abordé est tendu en ce moment à Bruxelles. L’Union européenne doit-elle dérèglementer les OGM et si oui, à quelles conditions ? Les points de vue divergent et un consensus politique semble difficile à obtenir.

L’Espagne veut un consensus le 11 décembre 2023

Pour l’Espagne, les discussions en cours au Conseil de l’Union européenne sont prioritaires. Ce pays a donc annoncé aux ministres de l’Agriculture réunis le 20 novembre qu’elle « reste déterminée à travailler sans relâche avec l’objectif de parvenir à une orientation générale en décembre ». C’est pourquoi l’ordre du jour de leur prochaine réunion du 11 décembre 2023 prévoit une « délibération législative » sur la possibilité de déréglementer les OGM (actuellement en cours de discussion) [1]. L’espoir de l’Espagne est également que le Parlement européen s’exprime rapidement, avec notamment « un vote en plénière du Parlement européen [qui] est pour l’instant prévu en janvier 2024 ce qui ouvrirait la voix à une éventuelle conclusion des négociations interinstitutionnelles au cours de la législature actuelle ».

Un bloc de pays plus que dubitatifs

Lors du tour de table des ministres, 13 pays (sur 27) ont fait état des problèmes ou interrogations soulevés par la proposition de dérèglementation des OGM. Chacun leur tour, Croatie, Slovénie, Autriche, Lituanie, Allemagne, Malte, Roumanie, Chypre, Hongrie, Slovaquie, Bulgarie, Grèce ou encore Pologne ont donc détaillé leurs positions réservées, voire opposées.

Parmi les questions mises sur la table, un préalable d’importance a été souligné, celui du temps accordé par l’Espagne aux discussions. Comme le résument l’Autriche et l’Allemagne, « la qualité [des discussions] doit primer sur la vitesse ». La Slovénie estime même qu’une « approche commune au prochain Conseil des ministres semble prématurée ». Les interrogations et les doutes soulevés ne semblent en effet pas pouvoir être résolus en trois semaines. Ils sont plusieurs à partager le constat porté notamment par la Croatie. Ce pays a souhaité avoir « davantage de temps afin de consolider les possibilités scientifiques et technologiques, les méthodes d’identification, les analyses, la traçabilité des modifications génétiques ».

Sur le fond, la Croatie et de nombreux pays estiment que la dérèglementation des OGM ferait peser des risques en termes de « coexistence avec l’agriculture biologique et l’agriculture traditionnelle  ». La Slovénie a également souligné la nécessité de respecter « le principe de précaution et se pencher tant sur les bénéfices que sur les risques liés à ces nouvelles techniques ». Défendant un étiquetage obligatoire pour permettre le choix éclairé des consommateurs (tout comme l’Autriche, la Roumanie, la Hongrie, la Slovaquie…), la Slovénie souhaite que le problème des brevets posé par cette dérèglementation soit travaillé avant d’adopter quelque texte que ce soit.

Cette question des brevets a largement été abordée. Pour l’Autriche, comme pour la Lituanie ou la Bulgarie, « le brevetage des plantes NTG ne peut pas être approuvé car on risque une concentration de marché qui pourrait même déboucher sur un monopole et qui pourrait poser des problèmes de disponibilités » en termes de semences. La Grèce n’est pas « favorable à la pérennité des brevets de production avec les nouvelles techniques. Cela engendrerait des monopoles ou oligopoles ce qui n’est pas favorable sur le marché et notamment pour les PME et les petits agriculteurs ». Même les Pays-Bas, pays réputé pour son soutien à la dérèglementation, considèrent que « sur les brevets, les NTG doivent être accessibles à tout utilisateur, surtout les PME ».

Autre point abordé lors de ce Conseil : le droit des États membres à interdire les OGM/NTG sur leur territoire. Pour la Croatie, il s’agit de « respecter le principe de subsidiarité ». Pour Chypre, ces interdictions nationales doivent pouvoir être prises pour « préserver les plantes endémiques ». Une position que la Grèce et Malte ont mis en lumière dans le cas des zones insulaires. Pour la Grèce, il s’agit simplement de reconnaître « la spécificité de chaque EM [État membre] et notamment des États insulaires (crête ou petites îles de la mer Egée) ». De son côté, Malte, « un écosystème isolé, avec une flore endémique fragile », souhaite « réfléchir à l’impact que cela pourrait avoir sur l’agriculture. Nous sommes une île et dans notre situation, nous devons davantage réfléchir à cela ainsi qu’aux brevets et s’il est possible que l’agriculture biologique cohabite avec ces NTG ».

Cinq pays sont partants, sous réserves

Pour la France, dont nous avons déjà détaillé la position [2], et les Pays-Bas, « le texte doit toute fois apporter quelques garanties supplémentaires ». Les deux pays reconnaissent que les OGM/NTG peuvent être des outils pour la transition des systèmes alimentaires. Concrètement, la France souhaite s’assurer que les critères de classification proposés soient « suffisamment robustes et que la procédure de vérifications de ces critères présente des garanties suffisantes ». La France et les Pays-Bas ont rejoint les pays ayant soulevé le problème du brevet, estimant qu’il s’agit d’un « sujet sur lequel nous devons progresser pour permettre aux PME […] de pouvoir accéder à ces technologies aussi ».

A l’instar de la Lettonie et du Luxembourg, la Suède est apparue mitigée. Ce pays s’est ainsi déclaré « ravi de cette proposition [et qu’il faut] que la procédure soit assez rapide afin que nous puissions avancer ». Pour elle, « l’adoption de ces NTG nous permettra d’être plus compétitif ». Elle considère qu’un étiquetage n’est pas nécessaire. Mais cette adoption doit se faire « de manière à ce que cela soit sûr pour la santé humaine, animale et pour l’environnement [et que les NTG] puissent cohabiter avec l’agriculture conventionnelle ».

Quelques pays sans réserves

Dans le concert des voix entendues, sept pays ont apporté leur soutien à la déréglementation des OGM. Le Portugal, à l’instar du Danemark, a ajouté aux mesures contenues dans la proposition que l’Union européenne ne devrait pas interdire les OGM/NTG en agriculture biologique car « on a une productivité supérieure avec les NTG ».

Concernant l’étiquetage des produits obtenus par les NTG et réclamés par de nombreux États membres, le Danemark ne croit pas « que cette information soit pertinente pour les consommateurs. Un étiquetage ajouterait par contre une charge inutile aux producteurs et accroîtrait la crise alimentaire ». Pour l’Estonie, il n’est simplement « pas nécessaire d’avoir un étiquetage particulier ». La République tchèque a également fait part de son opposition à l’information des consommateurs en affirmant que « les méthodes analytiques actuelles ne permettent pas de faire la différence entre les plantes conventionnelles » et les OGM/NTG.

Avec l’Italie et la Finlande, ce groupe de sept pays a argumenté qu’une telle dérèglementation des OGM serait nécessaire pour permettre à l’Union européenne d’atteindre les objectifs de son « Pacte vert ». La Finlande estime ainsi que cette dérèglementation « nous aidera à relever beaucoup de défis. Nous devons utiliser les technologies pour promouvoir la durabilité ». L’Italie va jusqu’à estimer que ces nouvelles techniques « sont essentielles […] [pour] protéger l’environnement ». L’Irlande résume finalement la position de ces pays : ces « NTG pourront contribuer à un système alimentaire plus durable et résilient ».

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