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ITALIE – L’alibi de la sécheresse pour défendre les OGM

Par Christophe NOISETTE

Publié le 05/06/2023

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Le 1er juin 2023, la coalition italienne contre les OGM (Coalizione Italia libera da OGM), qui regroupe les principales ONG environnementales, organisations paysannes, organisations de consommateurs et d’agriculteurs biologiques, alertait l’opinion publique du vote récent au Sénat d’un amendement « sécheresse ». Ce dernier vise à faciliter l’introduction des nouvelles techniques de modification génétique en Italie.

Le 31 mai 2023, le Sénat italien a adopté, à 75 voix contre 46, un amendement à la loi sur les moyens de lutter contre les conséquences négatives de la sécheresse sur l’agriculture [1]. Cet amendement considère que les nouvelles techniques de modification génétique – que les parlementaires nomment de façon trompeuse « techniques d’évolution assistée » (TEA) – sont une solution à cette problématique. La promesse de variétés plus résistantes à un certain nombre de stress, dont le stress hydrique, est un serpent de mer dont les premières émanations datent de l’arrivée des plantes transgéniques, à la fin des années 90. La transgenèse a échoué à mettre au point de telles variétés, car l’adaptation à la sécheresse est un phénomène biologique et écologique complexe. De nombreux gènes interviennent dans l’adaptation des plantes à des stress environnementaux, ce qui rend les manipulations génétiques peu efficaces.

Ainsi, l’amendement introduit dans la loi l’article 9a. Ce dernier «  autorise, jusqu’au 31 décembre 2024, la dissémination volontaire dans l’environnement d’organismes produits au moyen de techniques d’édition du génome par mutagenèse dirigée sur site ou cisgénèse à des fins expérimentales […] d’une production végétale capable de répondre de manière appropriée aux pénuries d’eau et en présence de stress environnementaux et biotiques d’une intensité particulière ». Ces techniques ne sont pas définies de façon très rigoureuse ni par le droit italien, ni européen. Le texte se réfère à des prises de positions de l’Agence européenne de sécurité alimentaire (AESA / EFSA), mais ces dernières ne sont pas juridiquement contraignants. Actuellement, seule la définition d’un OGM telle que précisée par la directive 2001/18 s’applique et cette dernière intègre, de facto, toutes les techniques de modification génétique. La coalition italienne contre les OGM rappelle d’ailleurs que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dans un arrêt de 2018, a affirmé que les produits issus de ces nouvelles techniques devaient être réglementés comme des OGM. Ils sont donc soumis à une évaluation des risques, un étiquetage et toutes autres dispositions prévues par la directive 2001/18.

Un tournant historique ?

Pour la coalition, c’est un tournant majeur dans la politique italienne depuis 20 ans. Ce pays, rappelle-t-elle, s’est toujours opposé aux OGM. Elle précise également que « c’est une première pour notre pays, qui n’a jamais autorisé d’essais d’OGM en plein champ auparavant ». Pour être précis, l’Italie a interdit les essais en champs en 2003, interdiction qu’elle a inscrite dans la loi. Préalablement, l’Italie avait, comme tous les autres pays de l’Union européenne, expérimenté quelques plantes transgéniques (aubergine, tomate, fraisier, melons, etc.). L’Italie a aussi adopté un moratoire sur la culture du seul OGM autorisé, le maïs MON810, dès l’année 2000.

L’ONG italienne Crocevia estime, dans son communiqué de presse que cet amendement, « sous prétexte d’adapter l’agriculture aux effets du changement climatique », a une autre finalité : « renforcer un modèle de production intensive » [2]. Car, affirme cette association, « les nouveaux OGM ne sont rien d’autre qu’un outil de plus pour renforcer le pouvoir de contrôle et de gestion des chaînes d’approvisionnement agro-alimentaires par les multinationales et les puissantes sociétés agricoles au détriment des agriculteurs, qui sont désormais réduits à de simples travailleurs fonctionnels pour les énormes profits d’une minorité ». Enfin, Crocevia estime que cet amendement est « basé sur l’illusion que la technologie seule peut résoudre les problèmes causés par les crises environnementales provoquées par l’homme ». C’est tout naturellement que la coalition, dont fait partie Crocevia, demande la suppression de ce texte, ceci afin de respecter véritablement le principe de précaution, les droits des agriculteurs et la sécurité alimentaire des consommateurs.

De son côté, le Crea (Consiglio per la ricerca in agricoltura e l’analisi dell’economia agraria, Conseil pour la recherche en agriculture et l’analyse de l’économie agricole), centre de recherche affilié au ministère de la Souveraineté alimentaire, se félicite de l’adoption de cet amendement [3]. Son président, Carlo Gaudio, parle de « moment décisif », car « les activités de recherche déjà menées dans les laboratoires de nos centres ont donné des résultats extraordinaires que nous pouvons maintenant mettre à l’épreuve sur le terrain ». Pour le Crea, « l’innovation génétique est indispensable pour assurer la durabilité de la production ». Ce qui, jusqu’à présent, n’a pas encore été démontré. De même, sans surprise, le syndicat des agriculteurs Confagricoltura s’est félicité de cette adoption [4]. Ce syndicat est membre du syndicat européen Copa-Cogeca, aux côtés de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles).

Ce décret doit ensuite être adopté par l’Assemblée nationale (aucune date n’a encore été fixée). A noter que la majorité au Sénat ou à l’Assemblée nationale est la même : la droite et l’extrême droite. In fine, c’est la Présidence de la République qui le promulguera. Antonio Onorati, de l’organisation paysanne Associazione Rurale Italiana (ARI, membre de la Via Campesina), nous précise que « [leur] président de la République, Sergio Mattarella, n’a aucun pouvoir sur le parlement, il peut s’opposer à une loi, seulement demander des modifications ».

Un projet dans les cartons depuis 2020

L’adoption de cet amendement par le Sénat n’est pourtant pas totalement surprenant. Depuis quelques années déjà, différents lobbies s’activent pour tenter de faire changer d’avis les responsables politiques italiens. Ainsi, en février 2020, la ministre de l’Agriculture, Teresa Bellanova, avait alors déclaré que « les OGM appartiennent au passé et leur culture est et restera interdite en Italie » mais appelait l’Union européenne à faire la différence entre ces « anciens » OGM et les « nouveaux OGM » [5]. Dans la foulée, la commission Agriculture du Sénat d’alors avait proposé un projet de décret qui proposait de réglementer différemment OGM transgéniques et nouveaux OGM. Ce projet de décret avait été battu en brèche par la commission Agriculture de l’Assemblée nationale de l’époque, en janvier 2021. Cette commission avait rappelé au gouvernement que l’interdiction de culture d’OGM en vigueur en Italie concerne également les OGM obtenus par les nouvelles techniques de modification génétique.

C’est ainsi que, le 14 mars 2023, le Crea, en collaboration avec Assobiotec [6], avait organisé un évènement intitulé « Pour une agriculture productive, durable et compétitive : la contribution de la génétique végétale avancée ». Ensemble, ils avaient alors rédigé, publié et diffusé un argumentaire qui reprenait les arguments en faveur des OGM. La coalition « Italie sans OGM » avait alors protesté. Pour elle, « il est grave qu’une institution publique, censée fournir des conseils aux agriculteurs sur la base d’une documentation sérieuse et approfondie, devienne le porte-parole d’intérêts industriels, ce qui constitue un conflit d’intérêts évident » [7]. Elle souligne que « la plupart des arguments avancés par les parlementaires et les représentants du CREA […] se retrouvent dans la campagne promotionnelle  » Building on Success « , menée depuis cinq ans par l’industrie semencière et qui tente d’assimiler les manipulations en laboratoire aux mutations spontanées qui se produisent dans la nature ». La Coalition regrette qu’aucune mention n’est faite des effets hors-cible que ces biotechnologies provoquent.

Rappelons aussi que l’extrême droite italienne était historiquement opposée aux OGM. Ainsi, Gianni Alemanno (membre du parti Il Popolo della Libertà, Le Peuple de la Liberté) », puis, à partir de 2013, du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia, Frères d’Italie) a été ministre de l’Agriculture sous Berlusconi (entre 2001 et 2006). Il avait alors fait avancer la loi pour une Italie sans OGM, nous précise Antonio Onorati. De même, le ministre de l’Agriculture en 2012, Luca Ziaia, membre de la Ligue du nord, s’est lui aussi largement opposé aux OGM [8]. Enfin, un tweet de 2016 nous montre David Granieri, membre du bureau de Coldiretti, au côté de Giorgia Meloni, présidente du parti Fratelli d’Italia, en train de signer une pétition contre les OGM [9].

Pourquoi alors un tel revirement ?

Giorgia Meloni s’est alliée politiquement avec le syndicat agricole Coldiretti, nous précise Antonio Onorati [10].

Ce syndicat, lui aussi membre de la Copa-Cogeca, a changé d’attitude sur les OGM quand, en novembre 2017, l’entreprise agricole B.F. S.p.A a acheté plus de 41 % du capital social de la Société italienne des Semences (Società Italiana Sementi, Sis) [11]. Or, cette société était auparavant contrôlée par plusieurs consortium agricole [12], tous liés au syndicat Coldiretti [13]. B.F. S.p.A. est active dans tous les secteurs agro-alimentaires et certains de ses actionnaires sont liés aux entreprises de biotechnologies (notamment le milanais Sergio Dompe [14]).

L’autre élément qui peut aussi avoir joué dans ce changement de position est l’alliance entre les partis d’extrême droite et les partis de droite, qui n’ont jamais caché leur soutien aux biotechnologies agricoles.

[1Cet amendement avait été adopté à l’unanimité, la veille, par les deux commissions Agriculture et Environnement du Sénat.

Senato della Repubblica, « Conversione in legge del decreto-legge 14 aprile 2023, n. 39, recante disposizioni urgenti per il contrasto della scarsità idrica e per il potenziamento e l’adeguamento delle infrastrutture idriche », 4 juin 2023.

[6Assobiotec, branche de Federchimica, regroupe une centaine d’industries actives dans le domaine de la biotechnologie.

[9David Granieri, tweet du 21 mai 2016.

[10Compte de Facebook de Giorgia Meloni, 8 juillet 2015 (consulté le 5 juin 2023).

[11Le groupe B.F. S.p.A. a été fondé et s’est développé autour de Bonifiche Ferraresi S.p.A. Società Agricola, qui, avec ses 7 750 hectares, est la plus grande exploitation agricole italienne en termes de superficie agricole utilisée. Les filiales de la B.F. S.p.A. : https://www.bfspa.it/gruppo/societ%C3%A0

[12Consorzio Agrario dell’Emilia, Consorzio Agrario del Nordest, Consorzio Agrario dell’Adriatico, Consorzio Agrario del Centro Sud et Flaminia S.r.l.

[13En 2016, Mauro Tonello était président de Coldiretti Emilia Romagna et membre de la Sis. Coldiretti. Voir :

« Coldiretti-Società Italiana Sementi, arriva il mais “salva api” », 17 juin 2016.

[14Sergio Dompe, « who are we ».

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