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Allemagne : pas de soutien à la déréglementation des OGM

Par Charlotte KRINKE

Publié le 24/01/2023

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En 2023, les gouvernements des États membres de l’Union européenne devront se prononcer sur la proposition législative de la Commission européenne concernant les nouveaux OGM, qui sera publiée à la fin du printemps. Dans un système de vote où le poids d’un État dépend du pourcentage de la population qu’il représente, la position du gouvernement allemand pourrait s’avérer décisive dans l’issue du scrutin. Or, depuis le changement de gouvernement, en décembre 2021, cette position n’est pas clairement tranchée…

Un peu plus de trente ans après la première législation sur les OGM, la Commission européenne prévoit de publier, le 7 juin 2023, une proposition législative qui pourrait remanier en profondeur la définition et l’encadrement des OGM dans l’Union européenne. La proposition pourrait en effet aboutir à une exclusion complète de nombreux OGM de la réglementation européenne [1]. Le changement climatique, les sécheresses et la perte de biodiversité sont autant de raisons qui sont avancées pour justifier la révision du cadre réglementaire actuel, qui est pourtant fondé sur le principe de précaution et qui assure la traçabilité et la transparence vis-à-vis des consommateurs.

Lors des diverses réunions des ministres européens de l’Environnement et de l’Agriculture qui se sont tenues au cours des derniers mois, il est apparu qu’une majorité d’États membres soutient le développement et l’utilisation des nouvelles techniques de modification génétique. Ils sont nombreux à avoir également souligné la nécessité de maintenir l’approche de précaution et de fournir des informations adéquates au public. La position de l’Allemagne a évolué sur la question depuis les élections législatives de décembre 2021. Or, sa voix pourrait s’avérer déterminante dans l’issue du vote des États membres sur la proposition de la Commission européenne.

Quand le gouvernement fédéral soutenait la Commission européenne

En mai 2021, lors de la réunion des ministres de l’Agriculture des États membres de l’Union européenne, l’Allemagne affichait une position dénuée d’ambiguïté : tout en gardant à l’esprit le principe de précaution, le cadre réglementaire applicable aux OGM doit être adapté pour pouvoir tirer avantage des nouvelles techniques de modification génétique, lesquelles doivent être envisagées dans les technologies vertes et permettront de disposer de plantes « climato–résilientes » [2].

Cette position reflétait celle du parti majoritaire alors au pouvoir : la CDU d’Angela Merkel. La ministre fédérale de l’Agriculture de l’époque, Julia Klöckner, avait notamment appelé à « se débarrasser des œillères idéologiques » et à « faire preuve d’ouverture d’esprit » vis-à-vis des « nouvelles technologies de sélection qui nous font gagner un temps incroyable et qui, par ailleurs, ne peuvent absolument pas être distinguées des mutations aléatoires spontanées » [3]. Dans une tribune publiée dans le quotidien Tagesspiegel, elle déclarait qu’il faut « prendre en compte l’état actuel de la science lors de son application. De nombreux scientifiques plaident pour une vision différenciée des nouvelles techniques de culture. Selon eux, ce qui compte pour l’évaluation des risques d’une plante modifiée, ce n’est pas l’outil utilisé, mais les propriétés concrètement travaillées – autrement dit, le produit et non le procédé » [4] .

La Commission européenne semblait alors pouvoir compter sur le soutien d’un pays influent comme l’Allemagne pour faire avancer sa proposition législative. Il en va autrement depuis que les élections législatives de décembre 2021 ont porté au pouvoir un gouvernement de coalition formé des sociaux-démocrates (SPD), des Verts (Bündnis 90 / Die Grünen) et des libéraux (FDP).

Le gouvernement majoritairement contre la déréglementation des nouvelles techniques

Ces trois partis sont partagés sur la question des OGM et sur la manière dont il faut encadrer ceux qui sont issus des nouvelles techniques de modification génétique. Signe révélateur, le contrat de coalition ne cite pas explicitement les OGM et les nouvelles techniques de modification génétique. Néanmoins, les partenaires de la coalition s’y engagent à « soutenir la sélection de variétés de plantes résistantes aux conditions climatiques » et à « établir la transparence des méthodes de sélection et renforcer la recherche sur les risques et les méthodes de détection » [5].

Au sein du gouvernement de coalition, les nouvelles techniques de modification génétique sont considérées avec scepticisme au sein du ministère de l’Agriculture et du ministère de l’Environnement, tous deux dirigés par les Verts.

La ministre de l’Environnement, Steffi Lemke, défend la position la plus tranchée. Lors d’une conférence organisée à Bruxelles en juin 2022, la ministre a affirmé qu’elle ne « [voit] pas la nécessité d’une nouvelle réglementation [NDLR : pour les OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique] » [6]. Pour la ministre, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a été très claire dans son arrêt rendu en 2018 : les OGM issus des nouvelles techniques relèvent de la réglementation OGM et leurs risques sanitaires et environnementaux doivent être évalués de la même façon avant toute autorisation d’utilisation. Plus récemment, le 17 janvier dernier, lors du congrès agricole organisé par le ministère de l’Environnement qui se tenait en compagnie du ministre fédéral de l’Agriculture, Cem Özdemir, et de la secrétaire exécutive de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique, Elisabeth Mrema, la ministre a déclaré que « les efforts de la Commission européenne visant à supprimer l’évaluation des risques pour les plantes produites à l’aide de nouvelles techniques génétiques ne montrent malheureusement pas la bonne voie. Si nous travaillons avec cette technologie, le principe de précaution et l’évaluation des risques doivent être maintenus » [7]. Selon la ministre, les techniques de modification génétique, quelles qu’elles soient, nourrissent le modèle de l’agriculture industrialisée dont il faut s’éloigner.

Le ministère de l’Agriculture s’oppose, lui aussi, à la déréglementation des OGM issus des nouvelles techniques. Une porte-parole du ministre de l’Agriculture, interrogée par Infodienst Gentechnik, affirme ainsi que la procédure d’autorisation des OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique doit rester aussi stricte que pour les autres OGM [8]. Le ministère souhaite que « le niveau de sécurité et la transparence restent inchangés à l’avenir. Cela signifie notamment que nous maintenons une procédure d’autorisation avec examen des risques au cas par cas, une obligation d’étiquetage stricte et la traçabilité », précise la porte-parole à Infodienst. Elle ajoute : « (i)l faut s’assurer que la liberté de choix des consommateurs, des agriculteurs et de l’industrie alimentaire, et donc la coexistence, restent garanties ». La Secrétaire d’État au sein du ministère de l’Agriculture, Silvia Bender [9], a pour sa part déclaré que la « déréglementation [NDLR : des OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique] au niveau européen irait à l’encontre de ces souhaits [NDLR : de transparence et de liberté de choix des aliments, en référence à différents sondages d’opinion] des consommateurs et je suis d’avis que nous ne devrions pas le faire » [10].

Une coalition encore en recherche d’une position commune

Cette prise de position est importante car le ministère de l’Agriculture est chef de file sur le dossier des nouvelles techniques de modification génétique en Allemagne. C’est lui qui est chargé d’obtenir un compromis au sein du gouvernement fédéral en vue du vote au Conseil des ministres de l’Union européenne sur la proposition de la Commission.

Les sociaux-démocrates du SPD, à qui a été confiée la chancellerie et qui sont majoritaires au Bundestag (chambre basse du Parlement), se tiennent aux côtés des Verts. Comme l’a rapporté Inf’OGM fin 2022, les sociaux-démocrates défendent un cadre réglementaire strict [11]. Le SPD estime en effet que la réglementation OGM doit s’appliquer à tous les OGM sans exception, y compris à ceux issus des nouvelles techniques de modification génétique, conformément à l’arrêt rendu par la CJUE en 2018 [12]. En 2019, le parti déclarait déjà qu’il « ne veut pas de culture de plantes génétiquement modifiées en Europe. Pour nous, le principe de précaution s’applique, en particulier pour les nouvelles méthodes de modification génétique comme CRISP/Cas. Nous nous opposons à tout affaiblissement de la réglementation européenne à cet égard » [13]. Récemment, lors d’une séance de questions au gouvernement au Bundestag, la ministre du Développement, Svenja Schulze (SPD), a en outre déclaré qu’il « n’existe pas de plantes génétiquement modifiées qui permettent de lutter réellement contre la faim dans le monde » [14].

La position des Verts et des sociaux-démocrates va dans le sens des arguments des principales entreprises de distribution alimentaire, allant du discount à la bio. Ces dernières ont demandé à la Commission européenne que les nouvelles techniques de modification génétique soient soumises aux mêmes règles que les autres OGM [15].

Au sein de l’alliance gouvernementale, les libéraux du FDP, en charge du ministère de la Recherche, font figure d’exception et demandent, au contraire, un assouplissement des règles. La ministre de la Recherche, Bettina Stark-Watzinger, affirme que son parti s’engagera au sein du gouvernement pour une révision de la réglementation européenne sur les OGM « adaptée aux risques et à l’état de la science ». Interrogée par le quotidien Tagesspiegel, elle estime que « les soi-disant nouvelles techniques de sélection offrent de nombreux avantages, d’opportunités et potentiels. Si nous voulons relever les défis tels que le changement climatique, la sécurité alimentaire et la mise en place d’une agriculture durable, nous devons miser sur ces technologies de pointe » [16].

Incertitude sur les discussions à venir

Tant que la proposition de la Commission européenne n’est pas publiée, il est certes difficile de prédire les éventuels rapports de majorité au Conseil. Mais les ministres des 27 États membres devront se prononcer sur la proposition de la Commission européenne à la majorité qualifiée. Et, suivant ce mode de vote, un texte doit, pour être adopté, réunir les votes favorables de 55 % des États membres, représentant au moins 65 % de la population de l’Union Européenne. Or, l’Allemagne représente à elle seule 18,59 % de la population de l’Union européenne, soit le poids démographique le plus important des 27 États membres.

Même si un certain nombre d’États membres se sont prononcés pour l’assouplissement des règles pour les nouveaux OGM (France, Espagne et Italie notamment, trois pays représentant ensemble 39,08 % de la population européenne), l’absence d’unanimité au sein de la coalition gouvernementale allemande ajoute à l’incertitude quant à l’issue des discussions à venir sur la proposition législative de l’exécutif européen.

[6Bundesministerium für Umwelt, Naturschutz, nukleare Sicherheit und Verbraucherschutz, « Rede von Steffi Lemke in Brüssel zu « GMO Regulation für plants derived from new genomic techniques : Environmental and consumer protection aspects » », 13 juin 2022 (consulté le 16 janvier 2023).

[7Bundesministerium für Umwelt, Naturschutz, nukleare Sicherheit und Verbraucherschutz, « Rede von Bundesumweltministerin Steffi Lemke auf dem BMUV Agrarkongress 2023 », 17 janvier 2023 (consulté le 18 janvier 2023).

[8Informationsdienst Gentechnik, « Neue Gentechnik : 420.000 fordern strenge Regeln », 2 décembre 2022 (consulté le 16 janvier 2023).

[9Ingénieure agronome de formation. Elle a travaillé dans le secteur de la bio et des organisations environnementales. Elle est aussi membre du parti « Vert ».

[10Informationsdienst Gentechnik, « Agrarstaatssekretärin : Regeln für neue Gentechnik nicht aufweichen », 8 avril 2022 (consulté le 17 janvier 2023).

[13Sozialdemokratische Partei Deutschlands, « Arbeitsgemeinschaft bäuerliche Landwirtschaft (AbL) e.V.

und weitere Spitzenverbände aus Landwirtschaft, Umwelt und Gesellschaft »
, 17 avril 2019 (consulté le 19 janvier 2023).

[14Finanz Nachrichten, « Entwicklungsministerin : Keine Gentechnik gegen Hunger », 18 janvier 2023 (consulté le 18 janvier 2023).

[16Höhne, V., « Forschungsministerin zu Genschere : Stark-Watzinger will Erbgut-Technik neu regulieren », Tagesspiegel, 18 décembre 2022 (consulté le 17 janvier 2023).

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