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OGM : une consultation biaisée menée par un cabinet d’études

Par Eric MEUNIER, Charlotte KRINKE

Publié le 13/10/2022

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La Commission européenne a annoncé qu’elle proposera un nouvel encadrement de certains OGM en 2023. Elle a mandaté le bureau d’étude Technopolis pour collecter les positions de certains acteurs européens sur ce projet. Ce travail est d’ores et déjà décrié par plusieurs organisations de la société civile sollicitées : il ne pourra pas, selon elles, être concluant du fait de nombreuses failles, sur la forme comme sur le fond. Pour elles, cette « enquête » traduit l’intention de la Commission européenne de déréglementer de nombreux nouveaux OGM.

La Commission européenne a lancé une procédure qui pourrait conduire à un nouvel encadrement différencié des OGM obtenus par « mutagénèse dirigée et cisgénèse ». Dans le cadre de cette procédure, la Commission européenne a chargé le cabinet d’études Technopolis de mener une enquête ciblée auprès d’un échantillon d’acteurs que le cabinet a lui-même sélectionné selon des critères qu’il n’a pas rendu public. Comme Inf’OGM l’a rapporté [1], cette enquête précise pour la première fois clairement trois grandes options réglementaires, parmi lesquelles la déréglementation de nombreux OGM à l’horizon 2030. Un certain nombre d’organisations dénoncent une mascarade d’enquête qui enferme les participants dans des questions à choix multiples, restreints aux seules meilleures manières de déréglementer certains OGM. Elles ont donc refusé de répondre au questionnaire.

Un choix de calendrier surprenant

Cette enquête était en effet organisée dans le même temps qu’une consultation publique, ouverte à l’ensemble des citoyens et à toute partie intéressée, sur le même sujet et menée directement par la Commission européenne. Or, à la différence de la consultation publique, l’enquête menée par Technopolis présentait clairement les options réglementaires envisagées pour déréglementer des OGM. Une situation qui, pour la Coordination Européenne Via Campesina (ECVC), pose la question de l’utilité « de mener, avec quatre sous-traitants, un tel processus de consultation auprès de parties prenantes ciblées, alors qu’une deuxième consultation publique est encore en cours » [2]. Une consultation publique, menée en 2022, qui pose néanmoins d’autres problèmes au syndicat agricole puisque, outre qu’elle ne fournissait pas les mêmes informations claires sur les options envisagées, ECVC estimait que cette consultation ignorait les réponses déjà apportées dans celle menée en 2021, que de « de nombreuses informations erronées, biaisées ou d’allégations sans fondement » étaient fournies par la Commission ou encore que les options proposées visaient toutes à « indiquer la meilleure manière d’affaiblir [la législation OGM actuelle] ou de la supprimer ou de déclarer n’avoir aucune opinion » [3]… ECVC a refusé de participer à l’enquête ciblée, tout comme à cette consultation publique menée en 2022.

Pas de transparence sur les parties prenantes invitées

Qui a participé et qui a été invité à participer à l’enquête organisée par Technopolis à la demande de la Commission européenne ? Sur la base de quels critères ? Une représentativité des secteurs a-t-elle été assurée ? Quel poids la Commission européenne compte-t-elle accorder aux réponses des uns et des autres ? La réponse à ces questions n’est pas connue, pas même celle des acteurs invités à participer à cette enquête ciblée.

Technopolis, que nous avons interrogé, s’est contenté de nous répondre que son « objectif était d’inclure l’identification la plus large possible (tout en restant ciblée) des parties prenantes au niveau européen et national à toutes les étapes de la chaîne de valeur, des entités publiques concernées, de la société civile, etc. ». Ce cabinet nous a renvoyé à une future publication par la Commission européenne des informations clés qui accompagneront le résultat de l’enquête. Une information confirmée à Inf’OGM par un officiel de la Commission européenne. Ce dernier précise également que pour couvrir l’ensemble des aspects liés à cette future proposition, près de 400 parties prenantes ont été destinataires de l’enquête de Technopolis. Ces parties prenantes ont été sélectionnées par Technopolis de manière à inclure des opérateurs économiques de la chaîne agro-alimentaire avec des représentants de la filière bio ou sans OGM, des chercheurs, ONG, associations de consommateurs ainsi que les autorités compétentes des États membres. Mais, à ce stade, impossible de connaître la liste détaillée, et donc la représentativité de chaque secteur.

Plusieurs organisations regrettent ce manque de transparence. Dans une lettre adressée à la Commission européenne, l’Association européenne de l’industrie sans OGM (ENGA) souligne ainsi que « (l)a transparence sur les participants sélectionnés, les secteurs d’où ils sont issus et les critères ayant conduit à leur sélection sont de la plus haute importance car cette sélection aura une influence significative sur les résultats de l’étude d’impact » [4]. L’association anglaise GM Watch craint pour sa part que l’« enquête [puisse] être fortement biaisée en termes de sollicitation de la participation d’une forte proportion de partisans de la déréglementation des OGM – qui ne représentent qu’un minuscule secteur de la société dans son ensemble mais qui ont l’argent et le pouvoir de leur côté » [5]. ENGA et GM Watch ont toutes deux refusé de participer à l’enquête ciblée.

Le manque de transparence tranche de manière patente avec les principes généraux applicables aux consultations décrits dans une communication de 2002 [6]. La Commission européenne y précise vouloir « réduire les risques de voir les décideurs se contenter de tenir compte d’un seul aspect de la question ou de voir certains groupes jouir d’un accès privilégié […]. Cela signifie que les groupes cibles concernés par une consultation en particulier doivent être désignés sur la base de critères transparents ». Selon l’un des principes généraux, celui de l’ouverture et de la responsabilité, « (l)es consultations menées par la Commission doivent aussi être transparentes, à l’égard tant des parties directement impliquées que du public en général. Il doit être possible de dire clairement : […] – qui sont les parties consultées et pour quelle raison – quels sont les facteurs qui influencent la formulation des politiques ».

Des questions orientées et créant de la confusion

Au-delà de ce manque de transparence, les mêmes organisations dénoncent des questions orientées et alambiquées. La Via Campesina explique ainsi qu’ « à l’exception des premières questions, [toutes] partent du principe qu’il y aura une augmentation de l’utilisation de plantes produites à partir de ces nouvelles techniques. Répondre au questionnaire revient donc à accepter ce principe que nous rejetons » [7]. GM Watch abonde dans le même sens et relève que le scénario de la déréglementation est qualifié de  » proportionné  » dans l’enquête, ce qui suggère que les réglementations actuelles sur les OGM sont disproportionnées [8]. Enfin, il est également affirmé que certains types d’OGM peuvent aussi être obtenus naturellement ou par sélection conventionnelle, ce qui est factuellement et scientifiquement faux. Ce qui est, pour ECVC et GM Watch, d’autant plus problématique est qu’il est difficile, pour ne pas dire impossible, d’exprimer clairement son point de vue. Les questions et les réponses proposées sont à ce point ambivalentes que des organisations partageant le même point de vue ont répondu de manière diamétralement opposée. Corporate Europe Observatory (CEO) a écrit à la Commission européenne pour lui annoncer qu’elle se retirait de l’enquête. Elle note par exemple que certaines ONG ont répondu de manière opposée à la question qui associe « utilisation accrue des Nouvelles techniques génomiques » et « l’utilisation totale des pesticides ». Or, précise CEO, toutes estiment qu’une utilisation accrue de ces techniques entraînerait une utilisation accrue des pesticides.

Face à ces refus de participation ou demande de retrait des réponses fournies, peu de réactions sont à attendre de la Commission européenne. Toujours selon un officiel de la Commission, l’enquête visait à fournir l’occasion à chaque partie prenante de s’exprimer. La Commission, qui dit regretter ces retraits, considère qu’il appartient néanmoins à ces parties prenantes de décider elles-mêmes de leur degré d’implication.

À la demande de ces organisations, Technopolis a bien fourni des clarifications quant au sens à donner à certaines questions. Mais il a refusé de modifier le calendrier de collecte des réponses malgré cette difficulté. Les participants n’ont donc eu que peu de temps pour relire et corriger leurs réponses à la lumière de ces précisions fournies, en plein mois d’août, uniquement à ceux qui avaient signalé ce problème… Il est donc probable que de nombreuses réponses n’auront pas été reprises, ce qui pose la question de la fiabilité de l’enquête.

Des soupçons de conflit d’intérêt idéologique

À ces problèmes s’ajoute le soupçon de conflits d’intérêts concernant le rôle de l’Université de Recherche de Wageningen (Pays-Bas), un des sous-traitants de Technopolis [9] [10], connue pour sa position en faveur de la déréglementation de certains nouveaux OGM, et en particulier ceux issus de cisgénèse. Mais une source au sein de la Commission européenne s’est défendue de tout rôle prépondérant de cette université. Selon elle, les experts de Wageningen sont là pour fournir une expertise factuelle en lien avec l’amélioration végétale, la biosécurité, la coexistence ou encore les méthodes de détection. Cette université n’est impliquée ni dans la collecte ni dans l’analyse des réponses reçues. Et la Commission précise également que la contribution de Wageningen auprès de l’équipe menant l’enquête sera complétée par celle d’autres experts du monde de la bio, de l’agrobiodiversité, des droits des paysans… Si tant est que de tels acteurs aient accepté de répondre à l’enquête, ce qui n’est donc pas le cas du syndicat paysan Via Campesina.

Arcadia, un autre sous-traitant qui pose question


À côté de l’Université de Recherche de Wageningen, Technopolis travaille avec un autre sous-traitant : Arcadia International (Belgique). Cette agence de conseil spécialisée dans la chaîne agro-alimentaire est dirigée par M. Daniel Traon, qui a travaillé pour Bayer CropScience pendant sept ans (de 1996 à 2003). Les liens entre l’agence et la Commission européenne sont anciens et très étroits. Non seulement, les services d’Arcadia sont régulièrement sollicités par la Commission européenne mais, en plus, plusieurs de ses employés étaient auparavant des agents de l’exécutif européen. Actuellement, à la demande de la Direction Générale Santé de la Commission européenne, Arcadia mène une étude soutenant les activités de consultation des parties prenantes pour l’initiative concernant les systèmes alimentaires durables de l’UE.

[4ENGA,« Non-participation in the targeted survey on NGTs, conducted by Technopolis Group », 2 août 2022.

L’enquête ciblée de Technopolis doit permettre à la Commission européenne d’établir l’étude d’impact qui accompagnera sa proposition législative sur les OGM, prévue pour le printemps 2023. L’étude d’impact est conçue par la Commission européenne comme un moyen d’améliorer la législation européenne, un outil d’aide à la décision. Elle doit permettre d’orienter et de justifier le choix de l’instrument (règlement, directive, actes délégués) au niveau approprié d’intensité de l’action européenne. Elle doit permettre de mettre à la disposition du législateur « des éléments d’information plus précis et mieux structurés sur les impacts positifs et négatifs en tenant compte des aspects économiques, sociaux et environnementaux  ». Et enfin, elle doit permettre de « sélectionner, lors de la programmation du travail, les initiatives réellement nécessaires ».

Commission des Communautés européennes, Communication de la Commission : Gouvernance européenne : Mieux légiférer, 6 juin 2002, COM(2002) 275 final/2.

[6Commission des Communautés européennes, Communication de la Commission « Vers une culture renforcée de consultation et de dialogue – Principes généraux et normes minimales applicables aux consultations engagées par la Commission avec les parties intéressées », 11 décembre 2002, COM (2002) 704 final.

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