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OGM – Des consultations publiques pour mieux dérèglementer ?

Par Charlotte KRINKE

Publié le 26/07/2022

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Dans le monde occidental, l’organisation de pseudo-consultations publiques en amont de la prise de décision semble, de plus en plus, devenir le mode normal d’action publique et de gestion de l’acceptation sociale. Le domaine des OGM n’y échappe pas. Dans l’Union européenne (UE), une consultation publique sur la législation applicable à certains OGM vient de se clore. Mais les questions posées sont dénoncées pour leur caractère orienté. Hors UE, plusieurs États qui ont récemment adopté des règles plus souples pour les nouveaux OGM ont préalablement organisé des consultations publiques… sans pour autant tenir compte des résultats de la consultation.

Le Canada [1], les États-Unis [2] et le Royaume-Uni [3] ont récemment assoupli les règles applicables aux nouveaux OGM. Ces réformes ont toutes été précédées de consultations publiques menées sur plusieurs semaines et ouvertes à toute partie intéressée. Leur point commun ? Les résultats des consultations publiques n’ont pas été pris en compte. Les textes finalement adoptés vont même à l’encontre des commentaires et craintes majoritairement exprimés. Au Royaume-Uni par exemple, la consultation publique organisée préalablement à l’adoption de règles moins contraignantes pour les essais en champ des nouveaux OGM a montré que, parmi les participants, 88 % des personnes physiques et même 64 % des entreprises souhaitent que ces OGM-là soient soumis aux même règles que les autres OGM [4]. Aux États-Unis, le ministère de l’Agriculture admet lui-même que la plupart des 6150 commentaires émis lors de la consultation publique qu’il a organisée du 6 juin au 6 août 2019 expriment une opposition généralisée aux produits génétiquement modifiés et que parmi les commentaires qui portaient spécifiquement sur les changements réglementaires proposés, seuls 25 exprimaient un « certain » soutien [5].

Un outil de la « Nouvelle gestion publique »

Les consultations publiques sont souvent présentées comme un moyen de répondre à une demande légitime des citoyens de pouvoir participer de façon active au processus décisionnel et de renforcer la confiance des citoyens dans leur gouvernement. Mais ces nobles objectifs masquent l’origine théorique des consultations publiques et donc leurs limites.

La participation des citoyens au processus de prise de décisions en matière d’environnement est un principe consacré par la Déclaration de Rio de 1992 (principe 10). Quant à la Convention d’Aarhus de 1998, elle impose à ses Parties de promouvoir « une participation effective du public à un stade approprié – et tant que les options sont encore ouvertes – durant la phase d’élaboration par des autorités publiques des dispositions réglementaires et autres règles juridiquement contraignantes d’application générale qui peuvent avoir un effet important sur l’environnement » [6] [7].

Mais, au-delà de la seule matière environnementale, les consultations du public tendent à devenir un mode normal d’action publique dans les États occidentaux dans le cadre des processus de prise de décisions. Et l’origine de cette évolution est plutôt à chercher du côté de la doctrine du New Public Management – Nouvelle gestion publique. D’inspiration néo-libérale, la Nouvelle gestion publique consiste à étendre à l’administration publique les règles et méthodes de l’entreprise privée au nom de l’efficacité et de l’efficience [8]. Depuis une quarantaine d’années, les principes de la Nouvelle gestion publique se sont progressivement introduits dans l’administration publique. Cela se manifeste, notamment, par la multiplication des agences (Autorité européenne de sécurité des aliments pour l’Union européenne, entre autres) mais aussi par l’adoption de programmes d’« amélioration des réglementations », à partir des années 1980, dans le but de les simplifier et de générer des gains de temps et de coûts grâce à la réduction de la charge réglementaire. Parmi les outils d’amélioration de la réglementation : les études d’impacts préalables à l’adoption de nouvelles réglementations et les consultations du public.

Le lien entre amélioration de la réglementation et consultation publique est d’ailleurs très clairement posé par la Commission européenne, qui a adopté l’approche de la Nouvelle gestion publique dans les années 2000. En 2002, sa communication intitulée « Mieux légiférer » constitue la première étape vers la « simplification » de la législation de l’Union européenne. Elle introduit l’obligation de procéder à des analyses d’impact et de consulter les parties prenantes pour toute nouvelle initiative législative proposée par la Commission [9].

Selon la doctrine de la Nouvelle gestion publique, l’État doit, pour résoudre un problème donné, cesser de s’appuyer sur sa seule administration et s’appuyer plus largement sur les agences publiques, les acteurs économiques, associatifs, et sur les citoyens considérés comme des consommateurs. Les consultations publiques traduisent parfaitement cette idée. La norme adoptée à l’issue de la procédure sera ainsi le reflet des préoccupations et des valeurs de ces différentes « parties prenantes ». Une norme au plus près des intérêts de ces parties, suivant une approche clientéliste, est une garantie de son efficacité.

Objectifs déjà fixés, participation illusoire

Il est toutefois évident que l’objectif ultime de réduction de la charge réglementaire visé par la simplification, tout comme l’impératif de compétitivité, commandent de privilégier certaines préoccupations ou valeurs au détriment d’autres. En d’autres termes et plus prosaïquement, puisque c’est bien d’une approche clientéliste dont il est question, certains clients pèsent plus que d’autres.

En matière d’OGM, la réduction de la charge réglementaire est synonyme de règles moins contraignantes, voire de dérèglementation. Cet objectif est parfois explicitement posé en amont de la consultation publique précédant l’adoption de nouvelles règles. C’est le cas aux États-Unis où un ordre exécutif présidentiel a chargé le ministère de l’Agriculture d’élaborer une nouvelle réglementation permettant d’« éviter les charges réglementaires indues ». Tenir compte de la volonté que la réglementation existante soit maintenue, voire renforcée, est donc d’emblée exclu.

Parfois, l’objectif de déréglementation est plus implicite et prend la forme de biais dans la manière dont les objectifs et le contexte de la consultation sont présentés et les questions sont posées. Au Royaume-Uni, par exemple, la consultation publique organisée en janvier 2021 en amont de l’adoption des règles assouplissant les conditions des essais en champ des nouveaux OGM était introduite par un texte orienté. Ainsi, après avoir présenté « l’édition génétique » comme un moyen de « produire des aliments sains et abondants tout en réduisant l’impact environnemental d’une population mondiale croissante », il est expliqué que « l’édition génétique […] pourrait affiner et accélérer le processus de sélection naturelle visant à améliorer l’environnement en Angleterre et nous aider à atteindre les objectifs en matière de climat et de biodiversité » [10]. La consultation est ensuite présentée comme portant sur la proposition suivant laquelle les « organismes produits par édition génétique ou par d’autres technologies génétiques ne devraient pas être réglementés en tant qu’OGM s’ils auraient pu être produits par des méthodes de reproduction traditionnelles ». Une position qui, est-il précisé, « suit la science, qui dit que la sécurité d’un organisme dépend de ses caractéristiques et de son utilisation plutôt que de la manière dont il a été produit »… Ces déclarations ne sont argumentées par aucune donnée factuelle. Dès l’introduction, le citoyen est amené à accepter ces assertions dites  » scientifiques « .

Dans l’Union européenne, ce sont ces mêmes biais et le caractère orienté des questions qui ont conduit La Coordination Européenne Via Campesina (ECVC) à refuser de prendre part à la consultation publique sur la « Législation applicable aux végétaux produits à l’aide de certaines nouvelles techniques génomiques » [11] organisée par la Commission européenne du 29 avril au 22 juillet 2022. Dans une lettre ouverte adressée à l’exécutif européen, ECVC, qui représente 31 organisations de moyens et petits agriculteurs et paysans européens, dénonce une « consultation (qui) ne permet pas de refuser l’éventualité d’un abandon de la réglementation OGM actuelle » et « où l’expression de vues divergentes est rendue impossible » [12]. Il faut relever que, en septembre 2021, la Commission européenne avait lancé une première consultation sur une analyse d’impact initiale portant sur certains nouveaux OGM (issus de mutagénèse ciblée et de cisgénèse). La majorité des plus de 70 000 répondants, dont 96,20 % étaient des citoyens [13], avaient alors exprimé une opposition à la déréglementation des OGM [14]

Certes, les résultats des consultations publiques ne lient pas l’exécutif. Et, lorsque la consultation précède l’examen d’une proposition législative, cela est bien normal car elle ne peut entrer en concurrence avec le processus législatif lui-même. Mais quand la majorité des craintes et des commentaires émis sont ignorés, il est inévitable que les citoyens et autres parties prenantes s’interrogent sur le sens de la consultation publique et l’intérêt d’y participer. Les jeux sont-ils déjà faits ? Notre participation sert-elle de caution démocratique à des règles qui satisfont davantage les intérêts privés que l’intérêt général ? La consultation est-elle un moyen pour évaluer les résistances à tel ou tel projet envisagé ? Dans une communication de 2021, la Commission européenne présentait la consultation publique comme un moyen de renforcer la confiance des citoyens à son égard [15]. Mais la confiance se mérite et n’est jamais définitivement acquise.

Inversion du sens des mots…


Au début des années 2000, en Europe, la pression sociale exercée par les mobilisations citoyennes et les débats publics ont permis d’aboutir au premier moratoire de fait des OGM. Aujourd’hui, les consultations publiques systématisées, à la mode de la Nouvelle gestion publique, sont une étape purement formelle dans un processus de décision. L’indifférence à l’opinion des citoyens se manifeste dans la forme que prend la consultation publique : obstacles à une participation large de la population [16], consultations accompagnées d’un récit introductif basé sur des informations non fondée, voire délibérément erronées, et orientant vers la réponse désirée (comme au Royaume-Uni), pseudo-consultations basées sur des questions à choix multiples (QCM) empêchant toute forme de débat et enfermant le public consulté dans des choix correspondant à l’application d’une décision déjà prise et, de plus, souvent contraire à l’opinion majoritairement exprimée par le public. Ces pseudo-consultations ressemblent plus au recueil de données sémantiques destinées à alimenter les algorithmes d’ingénierie sociale (fabrication d’éléments de langage) qu’à des consultations.

[4Department for environment and rural affairs, Summary of responses to a consultation on the regulation of genetic technologies, 29 septembre 2021.

[5Department of Agriculture, Movement of Certain Genetically Engineered Organisms Final rule, Federal Register, Vol. 85, No. 96 / Monday, May 18, 2020 / Rules and Regulations.

[6Article 8 de la Convention d’Aarhus.

[8David Giauque, New Public Management and Organizational Regulation : The Liberal Bureaucracy, International Review of Administrative Sciences, Décembre 2003.

[9Communication de la Commission, « Gouvernance européenne : Mieux légiférer », 6 juin 2002, COM(2002)275 final.

[10Department for Environment, Food & Rural Affairs, « The regulation of genetic technologies : A public consultation on the regulation of genetic technologies », Janvier 2021.

[15Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social et au Comité des régions, « Une meilleure réglementation : unir nos forces pour améliorer la législation », 29 avril 2021, COM(2021) 219 final.

[16Au Canada, il y a eu des freins à une large participation de la population. Santé Canada a annoncé sa consultation par le biais d’une liste de diffusion électronique à laquelle peuvent s’abonner les personnes et les organisations qui souhaitent suivre l’ensemble des consultations organisées par Santé Canada. Ensuite, l’avis de consultation a été mis en ligne mais les documents de consultation n’ont pas été mis en ligne et le public devait envoyer un courriel pour les obtenir. Il s’agissait de deux documents complexes pour les personnes non familiarisées avec les termes et la réglementation. Pour participer à la consultation, le public était invité à envoyer un courriel au ministère. Il n’y avait pas de questionnaire en ligne. Santé Canada a reçu 67 réponses d’organisations, d’associations et d’entreprises et plus de 4 500 commentaires de particuliers.

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