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Des OGM bientôt financés par le contribuable étasunien ?

Par Charlotte KRINKE

Publié le 08/09/2022

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La nouvelle loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act) signée par le Président des États-Unis, Joe Biden, le 16 août 2022, prévoit d’investir 369 milliards de dollars au nom du changement climatique. Cet investissement public considérable est salué par l’industrie des biotechnologies qui y voit une opportunité pour se développer.

« Avec cette loi, le peuple Américain a gagné et les intérêts particuliers ont perdu » [1], a répété par deux fois le Président Joe Biden avant de signer la loi sur la réduction de l’inflation, le 16 août 2022 [2]. Celle-ci prévoit, entre autres investissements, environ 369 milliards de dollars dans les politiques climatiques et énergétiques. Cet investissement permettra, selon le Président Joe Biden, de mettre en place « l’action la plus agressive jamais, jamais, jamais, jamais prise pour faire face à la crise climatique et renforcer notre économie, notre sécurité énergétique ». Le gouvernement fédéral souhaite en effet réduire de près de 40 % les émissions carbone du pays d’ici à 2030. Et il compte sur les OGM, et l’argent du contribuable, pour y parvenir…

Subventions indirectes aux OGM via les aides au secteur des agrocarburants

La loi prévoit l’extension et la création d’un certain nombre de crédits d’impôts et des subventions substantielles favorisant un large éventail de technologies  » vertes « , parmi lesquelles les agrocarburants.

Elle prolonge d’abord des crédits d’impôts déjà existants pour les agrocarburants [3]. Mais elle prévoit surtout 500 millions de dollars de subventions pour soutenir les infrastructures d’agrocarburants, par exemple pour l’installation, la modernisation ou l’amélioration des distributeurs de carburant. D’autres nouvelles mesures fiscales avantageuses, notamment sous la forme de crédits d’impôts, sont par ailleurs prévues pour les « carburants d’aviation durables » [4]. Ces carburants peuvent être élaborés à partir de produits agricoles (colza, soja, huile de palme, blé, betterave, maïs) ou de matières premières lignocellulosiques (bois, etc.) et selon plusieurs voies, dont certaines font intervenir des micro-organismes génétiquement modifiés.

L’ensemble de ces mesures vise à encourager une utilisation plus large des agrocarburants. Selon Ben Brown, économiste à l’Université du Missouri, elles pourraient changer la donne en ce qui concerne la demande d’agrocarburants [5]. Or, comme le relève l’association Center for Food Safety, aux États-Unis, 94 % des agrocarburants sont produits à partir de maïs génétiquement modifié, le reste étant dérivé du soja génétiquement modifié [6].

Il est intéressant de noter que le nouveau crédit d’impôt pour le carburant d’aviation durable avait été soutenu, non seulement par l’actuel Secrétaire d’État à l’agriculture M. Tom Vilsack [7], mais aussi par la Biotechnology Innovation Organization (BIO), l’une des plus grandes associations de défense des intérêts du secteur des biotechnologies. Pour Erick Lutt, directeur principal des relations avec le gouvernement fédéral à la Biotechnology Innovation Organization, la création de ce crédit d’impôt par la loi « est une victoire politique importante, et nous en sommes très heureux. Nous avons été l’une des premières organisations à soutenir la création du crédit d’impôt pour le carburant aviation durable » [8].

Des OGM durables, vraiment ?

Mais le soutien indirect aux OGM ne se limite pas aux agrocarburants. Il concerne aussi le secteur agricole. En effet, la loi sur la réduction de l’inflation octroie une enveloppe de plus de 20 milliards de dollars au ministère de l’Agriculture pour financer des « pratiques de conservation ou améliorations agricoles qui, selon le Secrétaire (NDLR : Secrétaire d’État à l’agriculture), améliorent directement le carbone du sol, réduisent les pertes d’azote ou réduisent, capturent, évitent ou séquestrent les émissions de dioxyde de carbone, de méthane ou d’oxyde nitreux, associées à la production agricole » [9]. 8,45 milliards de dollars sont en outre prévus pour le financement de projets dans le cadre d’un programme déjà existant du ministère de l’Agriculture [10], la loi précisant que priorité sera donnée aux demandes de financement qui « utilisent la gestion du régime alimentaire et des aliments pour animaux pour réduire les émissions de méthane entérique des ruminants » [11].

Pour l’industrie des biotechnologies, il y a là une carte évidente à jouer. M. Lutt estime que ces financements peuvent inclure l’utilisation de biotechnologies, que ce soit pour les aliments pour animaux réduisant les émanations de méthane du bétail, les mesures de conservation des sols ou encore celles qui séquestrent les émissions de gaz à effet de serre. « Nous pensons qu’il s’agit là d’une occasion d’inciter les producteurs à utiliser ces produits biotechnologiques et de donner un élan à la réglementation de ces technologies », déclare-t-il [12].

La loi accorde une grande marge de manœuvre au Secrétaire d’État à l’agriculture et son administration pour déterminer quels projets seront retenus pour bénéficier d’une subvention, ce qui fait dire à l’association Center for Food Safety que la loi leur donne « un chèque en blanc […] pour promouvoir une agriculture  » intelligente face au climat  » » [13]. Cette agriculture dite “ intelligente ” se situe dans le prolongement du discours tenu par l’industrie des biotechnologies. Celle-ci présente en effet ses OGM comme une solution innovante à la crise climatique annoncée, répondant ainsi par la technique à des problèmes engendrés par la technique selon une logique de fuite en avant technologique.

Par ailleurs, le Secrétaire d’État à l’agriculture, M. Tom Vilsack, est de longue date un ardent défenseur des biotechnologies agro-industrielles [14]. Il a reçu à deux reprises le soutien de la Biotechnology Industry Organisation. À la COP26, en 2021, il a annoncé la création, avec les Émirats Arabes Unis, d’une initiative internationale appelée Agriculture Innovation Mission for Climate (AIM) [15]. Celle-ci compte entre autres partenaires, une trentaine d’États, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), la Commission européenne, mais aussi des entreprises comme Bayer et Syngenta, la Fondation Bill et Melinda Gates et le Forum Économique Mondial. M. Tom Vilsack a précisé que l’objectif de AIM « est d’accroître et d’accélérer l’innovation mondiale ainsi que la recherche et le développement dans le domaine de l’agriculture et des systèmes alimentaires afin de soutenir l’action climatique » [16]. Lors de la première réunion ministérielle de AIM, en février 2022 à Dubaï, un financement de huit milliards de dollars dans les technologies agricoles a été annoncé. M. Tom Vilsack a déclaré qu’une grande partie de ce financement sera consacrée à des secteurs de « l’agritech » tels que les « nanotechnologies, les biotechnologies, la robotique et l’intelligence artificielle » [17].

Cette vision très favorable aux biotechnologies laisse, selon le Center for Food Safety, peu de doutes sur les priorités du Secrétaire d’État dans l’attribution des financements prévus dans le cadre de la loi sur la réduction de l’inflation.

Paradoxes et fausses promesses

La doxa libérale veut que l’État intervienne de manière minimale dans le fonctionnement du marché, afin que les variables économiques fluctuent en fonction de l’offre et de la demande. Or, les diverses mesures fiscales qui profiteront a priori fortement au secteur des biotechnologies laissent croire que celui-ci a besoin du soutien des contribuables pour se développer.

Au-delà de cette incohérence, les mesures fiscales favorables aux agrocarburants, produits à partir d’OGM, battent aussi en brèche les arguments selon lesquels les OGM sont l’une des solutions à la faim dans le monde et dans la lutte contre le changement climatique [18] [19]. Plusieurs études montrent que le bilan énergétique des agrocarburants de 1ère génération (fabriqués principalement à partir de maïs, soja, betterave ou colza) est très mauvais [20], notamment si on intègre les effets du changement d’affectation des sols indirect (CASI). Le CASI décrit le phénomène d’accaparement de terres jusque-là dédiées à la production de denrées alimentaires pour la culture de plantes énergétiques. Les liens entre la production d’agrocarburants et la hausse des prix alimentaires ont également été démontrés. D’ailleurs, « les émeutes de la faim en 2008 ont été provoquées, en partie, par une augmentation spectaculaire du prix des matières premières agricoles et cela notamment suite à l’augmentation des quantités de maïs utilisé comme agrocarburant » [21] [22]. La question des plantes transgéniques, dont la culture est associée à l’augmentation de l’utilisation d’herbicides totaux et à l’apparition de résistances chez les mauvaises herbes ou certains insectes, reste par ailleurs entière.

[1Cox, C., « Biden signs Inflation Reduction Act into law, setting 15% minimum corporate tax rate », CNBC, 16 août 2022. (consulté le 30 août 2022).

[2H.R.5376 – Inflation Reduction Act of 2022. (consulté le 30 août 2022).

[3Plus spécifiquement, la loi prolonge le crédit d’impôt pour le biodiesel et le « diesel renouvelable » à 1,00 $/gallon (0,26 €/L) et le crédit d’impôt pour les carburants alternatifs à 0,50 $/gallon jusqu’à la fin de 2024.

Voir H.R.5376 – Inflation Reduction Act of 2022, SEC. 13201. Extension of incentives for biodiesel, renewable diesel and alternative fuels.

[4Voir H.R.5376 – Inflation Reduction Act of 2022, SEC. 13203. SUSTAINABLE AVIATION FUEL CREDIT.

Ce crédit est compris entre 1,25 $/gallon (0,33 €/L) et 1,75 $/gallon (0,46 €/L). Ainsi, un nouveau crédit d’impôt est créé pour le carburant d’aviation durable, qui s’applique aux carburants d’aviation durables vendus ou utilisés en 2023-2024. Et une somme de 297 millions de dollars est allouée au programme de subventions pour le carburant d’aviation durable et les technologies aéronautiques à faibles émissions (Grant Program for Sustainable Aviation Fuel and Low-Emissions Aviation Technology) du ministère des Transports. Sur cette somme, 244,5 millions de dollars seront consacrés à la production, au transport, au mélange ou au stockage de carburants d’aviation durables et 46,5 millions de dollars au développement de technologies aéronautiques à faibles émissions.

[5Robinson, W., « Inflation Reduction Act passage “ game changer ” for biofuels », Brownfield, 17 août 2022 (consulté le 1er septembre 2022).

[6Center for Food Safety, « Statement from the Executive Director on the Inflation Reduction Act », 16 août 2022. (consulté le 30 août 2022).

[7Bevill, K., « Vilsack : USDA will continue to push for blender pump expansion », Ethanol Producer Magazine, 18 août 2011 (consulté le 31 août 2022).

[8Popper, T., « IRA climate provisions can benefit biotech—and the planet », Bio.News, 24 août 2022. (consulté le 30 août 2022).

[9H.R.5376 – Inflation Reduction Act of 2022, SEC. 21001. ADDITIONAL AGRICULTURAL CONSERVATION INVESTMENTS.

[10Ministère de l’Agriculture, « Environmental Quality Incentives Program ».

[11H.R.5376 – Inflation Reduction Act of 2022, SEC. 21001. ADDITIONAL AGRICULTURAL CONSERVATION INVESTMENTS.

[12Popper, T., ibid.

[13Center for Food Safety, ibid.

[15Site Internet de AIM : https://aimforclimate.org/.

L’objectif de AIM, tel qu’énoncé sur son site Internet, est de « lutter contre le changement climatique et la faim dans le monde en unissant les participants pour augmenter de manière significative les investissements et les autres formes de soutien à l’agriculture intelligente sur le plan climatique et à l’innovation dans les systèmes alimentaires sur une période de cinq ans (2021 – 2025)  ».

[17Williams, O.A., « Agritech Gets $8 Billion Boost As U.S. Agriculture Secretary Vilsack Addresses Dubai Climate Summit », Forbes, 24 février 2022 (consulté le 31 août 2022).

[22Chakrabortty, A., « Secret report : biofuel caused food crisis », The Guardian, 3 juillet 2008 (consulté le 5 septembre 2022) ;

Borger, J. and al., « New study to force ministers to review climate change plan », The Guardian, 19 juin 2022 (consulté le 5 septembre 2022) ;

Senauer, B., « The appetite for biofuel starves the poor », The Guardian, 3 juillet 2008 (consulté le 5 septembre 2022). Dans cet article, Benjamin Senauer, professeur d’économie appliquée à l’université du Minnesota, calcule les conséquences de la production d’éthanol en utilisant des chiffres de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires. Il affirme :  » Nous pouvons combiner l’estimation de l’IFPRI selon laquelle les biocarburants sont responsables de 30 % de la hausse des prix des céréales et le chiffre du président de la Banque mondiale de 100 millions de personnes affamées supplémentaires en raison de la hausse des prix alimentaires. Cette combinaison suggère que les biocarburants sont responsables de 30 millions de personnes supplémentaires souffrant de la faim dans le monde. […] Les recherches actuelles, sur lesquelles je travaille avec mes collègues, suggèrent que 390 000 enfants supplémentaires de moins de cinq ans mourront à cause de cette augmentation de la malnutrition due aux biocarburants. Si les tendances actuelles de développement des biocarburants se poursuivent, le nombre de décès d’enfants passera à 475 000, soit près d’un demi-million d’ici 2010. Si les chiffres divulgués par la Banque mondiale sont plus précis, ce chiffre pourrait être encore plus élevé ».

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