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Nouveaux OGM : une balance bénéfices/risques peu équilibrée

Par Eric MEUNIER

Publié le 08/04/2021

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Dans sa réponse à un questionnaire de la Commission européenne sur les nouvelles techniques de modification génétique en agriculture, le gouvernement français liste leurs avantages et inconvénients. Il estime par exemple que seules certaines entreprises disposant d’importantes ressources financières et techniques pourraient les utiliser. Notamment car elles impliquent, pour être rentables, de mobiliser de très grandes surfaces agricoles. Cela impacterait négativement les systèmes agricoles sans OGM pourtant à même d’apporter des réponses aux problématiques environnementales, économiques et sociales actuelles.

En juin 2020, le gouvernement français répondait à un questionnaire de la Commission européenne en détaillant sa position sur les nouvelles techniques de modification génétique (NTMG). Comme Inf’OGM l’a déjà exposé, il considère qu’une des principales questions posées est celle de la capacité de détection et de la traçabilité de ces nouveaux OGM. Une capacité qui existe, selon lui, à condition que l’Union européenne mette en place les programmes de recherche nécessaires [1]. Seule exception, toujours selon le gouvernement, le cas, a priori assez rare, des OGM mutés inconnus et celui des OGM modifiés par épigénétique. La réponse du gouvernement contient aussi une partie plus prospective dans laquelle il liste les inconvénients et avantages liés à l’utilisation de ces techniques.

Des aides financières pour pallier des inconvénients ?

Le gouvernement brosse des inconvénients de natures variées : coûts d’utilisation des techniques, concentration du marché, encadrement en tant qu’OGM… Les coûts liés au développement des produits issus de ces NTMG, aux brevets associés ou encore à la constitution des dossiers de demande d’autorisation sont vus comme un frein pour les petites et moyennes entreprises (PME). Le gouvernement estime donc que ces coûts limiteraient l’accès à des produits promus par les pro-OGM comme permettant de s’adapter au changement climatique, de résister aux maladies et ravageurs ou présentant des bénéfices pour les consommateurs. Argument étonnant puisque le gouvernement souligne également que ces promesses, déjà faites pour promouvoir la transgenèse, n’ont jamais été réalisées et qu’il est probable qu’il en soit de même avec les nouvelles techniques, au moins dans un premier temps.

Finalement, pour le gouvernement, les PME européennes pourraient perdre en compétitivité, ne pas pouvoir arriver assez vite sur le marché et donc ne pas être concurrentielles (voir l’encadré ci-dessous). Il préconise donc une évaluation des risques adaptée et proportionnée ainsi que des mécanismes d’aides financières. Une position qui fait écho au constat qu’il porte sur la concentration du secteur semencier aux mains de quelques entreprises (dix multinationales contrôlaient 60 % du marché mondial formel des semences en 2013 [2]), qui risque d’être renforcée par les nouvelles techniques. Or, le gouvernement estime que ce secteur semencier a été longtemps très peu concentré, occupé par de nombreuses PME qui, via des partenariats avec les instituts de recherche publique, mettent sur le marché des types variétaux assez diversifiés. Mais, selon le gouvernement, l’utilisation de caractéristiques protégées par les brevets met en péril la diversité des systèmes d’innovation et donc, la diversité des variétés cultivées.

Mais, dans le même temps, le gouvernement considère qu’un encadrement différent des NTMG dans le monde poserait problème avec notamment des distorsions de concurrence, des impacts sur les importations européennes et une incertitude juridique pour les opérateurs européens qui n’auraient pas toutes les informations nécessaires pour assurer que leurs importations sont légales. Cette situation n’a pourtant pas été un problème majeur pour les OGM transgéniques qui n’ont pas fait l’objet d’un encadrement homogénéisé à l’international.

Des filières non OGM et une biodiversité mises à mal

Le gouvernement estime que les filières refusant les OGM peuvent apporter des réponses aux problématiques environnementales, économiques et sociales actuelles. Mais, elles pourraient souffrir du développement des nouveaux OGM. Pour l’agriculture biologique par exemple, une déréglementation des nouveaux OGM pourrait menacer la liberté de choix pour les sélectionneurs, les agriculteurs et les consommateurs. Tous les acteurs de cette filière subiraient, selon le gouvernement, des conséquences importantes sur les coûts économiques pour garantir leur cahier des charges et les cas de contamination auraient une incidence négative sur l’image des produits biologiques.

Sur le plan environnemental, le gouvernement rappelle que des risques liés à des modifications génétiques non intentionnelles existent. Il estime également qu’une accélération de l’obtention de variétés nouvelles pourrait avoir une incidence sur des systèmes de production et de transformation, en termes économiques, sociologiques ou écologiques. Cela pourrait également entraîner une difficulté d’adaptation de la biodiversité et des services écosystémiques associés, un risque renforcé par la dissémination des modifications génétiques à des espèces sexuellement compatibles. Finalement, il analyse que selon l’utilisation qui en est faite, le développement des NTMG pourrait aller à contresens de la transition agroécologique souhaitée, et notamment défendue dans la stratégie « De la ferme à la table », en allant par exemple à l’encontre de la diversification des cultures, de rotations plus longues, de résilience des systèmes etc. Le gouvernement, qui annonce que ce point fait l’objet de discussions, semble bien pris en tenaille entre préoccupations écologiques et choix économiques…

Des avantages des nouvelles techniques

Le gouvernement liste ensuite des avantages qui, précise-t-il, restent difficiles à anticiper car ils dépendent de nombreux facteurs : ampleur de l’adoption des nouvelles techniques, nature des produits développés, acceptabilité sociétale, cadre réglementaire, stratégies des entreprises, contexte international, etc.

Pour les secteurs agro-alimentaires et industriels, les nouvelles techniques contribueraient à améliorer les pratiques agronomiques pour l’adaptation au changement climatique ou à la sécurité alimentaire, à obtenir une résistance plus durable à certaines maladies ou à la sécheresse avec le développement de nouvelles variétés. Un tel développement se ferait en un temps et pour des coûts réduits par rapport aux méthodes de sélection traditionnelles. Un paradoxe supplémentaire dans l’analyse du gouvernement puisqu’il considère dans le même temps que ces techniques nécessitent de payer les coûts liés aux brevets, des partenariats avec des instituts de recherche, des investissements importants… Il avance ainsi que ce temps passerait théoriquement de dix ans en moyenne (sans précision des espèces concernées) à quatre ans. Cette réduction du temps de développement (qui pourrait être accentuée en modifiant également les plantes pour une floraison accélérée) rendrait les entreprises plus compétitives et leur permettrait de vendre des semences moins chères (ce qui ne s’est néanmoins pas vérifié avec les OGM transgéniques, au contraire [3]).

Autre avantage théorique, les nouvelles techniques permettraient de toucher plus de zones de l’ADN (pour plus de caractéristiques potentielles) ou de modifier plusieurs séquences génétiques en même temps dans le cas de caractères dépendant de plusieurs gènes (polygéniques).

Selon le gouvernement, ces nouvelles techniques permettraient également de faciliter la sélection de plantes à usage industriel répondant au cahier des charges précis dans le cadre de contrats privés entre industriels et agriculteurs. Pour les consommateurs enfin, elles permettraient d’agir sur la composition des denrées alimentaires en activant ou en inactivant des gènes connus pour agir sur l’expression de facteurs nutritionnels chez les plantes. Cette amélioration de la qualité nutritionnelle serait intéressante pour développer des variétés répondant aux besoins d’une partie de la population souffrant d’intolérances alimentaires ou d’allergies. Un argument néanmoins déjà entendu avec la promotion de riz enrichi en vitamine A…

Le gouvernement note un paradoxe : les semenciers qui ne pourraient pas ou ne voudraient pas s’investir dans ces techniques auraient malgré tout un avantage à ce qu’elles se développent. Ils pourraient, selon le gouvernement, miser sur des marchés de produits « naturels » ou « biologiques » ainsi qu’en communiquant sur le fait que leurs variétés n’ont été soumises à aucune intervention humaine directe sur leur génome. Dans ce contexte, la non utilisation des NTMG pourrait donc favoriser les semenciers modestes n’ayant pas accès à ces techniques.

Outre le domaine de la santé (voir encadré ci-dessous), un dernier avantage est souligné. A plus long terme, les nouvelles techniques permettraient de domestiquer ou (re)domestiquer des plantes sauvages pour lesquelles cela a échoué jusqu’à maintenant du fait de gènes défavorables à la domestication. Une nouvelle diversité génétique serait ainsi enfin accessible en allant la chercher dans les plantes précurseurs des variétés cultivées…

Et la santé ?


Dans le domaine de la santé, les nouvelles techniques offrent des opportunités certaines pour la recherche en milieu confiné, pour l’élaboration de médicaments, de méthodes d’analyse, de tests, ou pour certaines thérapies génétiques n’impactant que des cellules somatiques (c’est-à-dire non germinales, non spécialisées dans la reproduction). Outils incontournables dans les laboratoires de recherche pour étudier le fonctionnement du génome et déchiffrer les fonctions des gènes et leurs régulations, elles seraient également importantes pour la synthèse des protéines ou pour concevoir de nouvelles stratégies thérapeutiques ou industrielles dans le domaine médical. La thérapie anticancéreuse ? Une des cibles majeures. La thérapie cellulaire ou génique ? Une option intéressante en particulier pour les maladies rares. Renvoyant à une étude de l’Inserm [4], le gouvernement précise qu’au 12 juin 2018, une dizaine d’essais cliniques utilisant l’édition génomique étaient en cours au niveau mondial, et que plus de 9 300 études utilisant CRISPR-Cas avaient été publiées. Pour les promoteurs des OGM, ce lien entre OGM et santé n’a pas été oublié puisqu’en janvier 2021, une tribune de dix scientifiques du Centre pour l’énergie atomique (CEA), du CNRS ou de l’Inrae a été publiée dans Le Monde, intitulée « Le génie génétique, paradoxalement accepté pour les vaccins mais refusé pour la betterave ».

L’analyse faite par le gouvernement français du dossier des nouvelles techniques de modification génétique apparaît donc en partie paradoxale. Le sentiment qui prédomine à sa lecture est que la main droite du gouvernement écrit parfois des arguments avec lesquels sa main gauche n’est pas d’accord, et inversement. Ce constat explique probablement pourquoi le gouvernement français appelle de ses voeux un encadrement réglementaire des produits obtenus par ces techniques qui soit adapté et proportionnel…

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