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Grande-Bretagne – Un blé OGM « bon pour la santé » bientôt expérimenté

Par Christophe NOISETTE

Publié le 11/05/2021, modifié le 01/12/2023

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Le 26 février 2021, Nigel Halford, biologiste au Rothamsted Research à Harpenden (au Royaume-Uni), a modifié génétiquement un blé en utilisant la biotechnologie Crispr. Ce blé est censé contenir moins d’asparagine, un acide aminé pouvant servir de précurseur à l’acrylamide, substance considérée comme cancérigène.

Le blé GM mis au point par l’Institut Rothamsted est censé contenir moins d’asparagine, un acide aminé qui, en lien avec certains sucres et une certaine température, produit de l’acrylamide. L’acrylamide est classé comme cancérigène par l’OMS. Ce blé n’a pas encore été testé en champs mais, du fait du Brexit, la procédure sera simplifiée par rapport à celle de l’Union européenne.

Quelques années auparavant, en 2014, Simplot avait obtenu une autorisation commerciale aux États-Unis pour des pommes de terre transgéniques avec les mêmes facultés d’éliminer l’acrylamide [1]. Inf’OGM rappelait à cette occasion la position de la Société Américaine contre le Cancer (American Cancer Society) : « Une alimentation riche en fruits et légumes permet de réduire considérablement les risques liés à l’acrylamide. (…) Ce régime sera bénéfique pour la santé au-delà du simple abaissement des niveaux d’acrylamide » [2].

La teneur en acrylamide dépend de plusieurs facteurs

Tout d’abord, on retrouve plus d’acrylamide dans la croûte que dans la mie, puisque la mie passe difficilement les 100°C tant qu’elle contient de l’eau et que la croûte subit des températures avoisinant ces 120°C. Ce n’est donc pas étonnant que la question de l’acrylamide ait été soulevée par les Suédois dont le pain classique, le knäckebröd, est principalement constitué de croûte.

Réduire l’asparagine dans le blé est peut être vertueux, mais le blé est loin d’être la seule source d’asparagine. Et ces aliments deviennent de plus en plus néfastes en fonction de la température de cuisson. Alors, du blé OGM ou abandonner son grille-pain ? Des patates OGM ou réduire sa consommation de chips et de frites ?

Le Dr Jacques Fradin, de l’Institut Environnemental de Paris, estime que plus la quantité de gluten est élevée dans les céréales, plus la quantité d’acrylamide est également élevée. Ce propos est corroboré par un article de 2006 [3] qui détaille que l’acrylamide se forme à partir des protéines du gluten purifié. Ce sont a priori donc dans les protéines du gluten que résident les excès de l’acide aminé asparagine. Par ailleurs, il semblerait acquis que les variétés de blé anciennes et paysannes sont moins riches en gluten. Le gluten s’est accumulé dans les blés au fur et à mesure des sélections pour adapter cette céréale aux pratiques industrielles. Cette analyse ne fait pas l’unanimité. Marc Dewalque, boulanger et chercheur [4], par exemple, interrogé par Inf’OGM, ne pense pas que le lien entre gluten et asparagine soit pertinent.

Par ailleurs, Claire Micheaux, ingénieure pour l’entreprise Lesaffre, met en évidence dans un article publié dans la revue Industrie des Céréales [5] la dégradation de l’asparagine par le levain de panification. Elle estime que cette réduction peut être de 20 à 70% suivant les microorganismes vivant dans le levain. Ce que nous confirme Marc Dewalque. Dans son livre à paraître [6], il écrit que « la fermentation des bactéries lactiques surtout les homofermentaires [NDLR : processus impliquant une seule enzyme)] réduisent la présence de l’asparagine en dégradant cette molécule d’acide aminés ». Il souligne également qu’il n’existe « aucune étude actuellement sur un type d’action semblable par les levures ».

Enfin l’agronomie aussi joue. Les variétés de blé n’ont pas toutes les mêmes teneur en asparagine. Dans un document publié par FoodDrinkEurope [7], on apprend que « la baisse de soufre dans le sol a pour conséquence d’augmenter la concentration en asparagine des cultures céréalières ». Cela est aussi évoqué dans un article scientifique publié en 2006 par le Rothamsted Research Institute [8].

Le journal Nature et l’industrie biotech : même combat ?

Le journal Nature [9] évoque dans un édito ce projet de blé OGM… Quelle ne fut pas notre surprise de lire dans cette prestigieuse revue que « historiquement, les définitions de la technologie GM dans l’agriculture ont fait référence à la transgenèse, l’insertion de gènes étrangers dans les cellules végétales, souvent sans aucun contrôle sur l’emplacement de ces gènes dans le génome. C’est l’une des raisons pour lesquelles la commercialisation de la technologie GM est effectivement interdite dans l’UE. Mais de nombreux chercheurs affirment que la plupart des applications actuelles de l’édition de gènes à l’aide de Crispr produisent le type de changement qui aurait pu être obtenu par la sélection conventionnelle, mais de manière beaucoup plus efficace ». La revue semble délibérément se faire la porte-parole de l’industrie qui demande de changer la législation pour exempter les nouveaux OGM, à l’instar de ce blé, de la réglementation européenne. Et pour se faire, la revue ment donc délibérément car la définition d’un OGM, au niveau mondial (Protocole de Cartagena) ou européen (directive 2001/18) ne fait pas référence à l’insertion de séquences génétiques exogènes ou à la transgenèse.

L’édito va plus loin encore. Son auteur précise en effet : « En cherchant à reclasser l’édition de gènes, le Royaume-Uni doit également tirer les leçons de ses propres expériences passées. L’une des raisons pour lesquelles l’Europe a, jusqu’à présent, résisté à la commercialisation des technologies génétiques dans l’alimentation est que les technologies génétiques ont suscité l’inquiétude du public quant à la sécurité et à l’impact environnemental. Cela signifie à tout le moins que le gouvernement britannique doit éviter de donner l’impression que le changement a pour but de réduire la paperasserie ou d’accélérer la réglementation, car cela pourrait suggérer que la sécurité et les autres préoccupations ne sont pas prises au sérieux. Un tel discours pourrait, à son tour, entraver la recherche, le développement et l’évaluation d’une nouvelle technologie importante ».

Cet édito de Nature arrive dans un fort contexte de lobby pour inciter la Commission européenne à changer la législation sur les nouvelles techniques de modification génétique [10]. Un lobby qui semble avoir fonctionné au regard de l’étude que la Commission a publiée le 29 avril 2021 [11].

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