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OGM – La Commission européenne envisage de changer la législation

Par Eric MEUNIER, Frédéric PRAT

Publié le 29/04/2021

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Jeudi 29 avril, la Commission européenne a rendu publique son étude sur le statut des nouvelles techniques de modification génétique [1]. L’étude indique clairement que les organismes obtenus par les nouvelles techniques génomiques sont soumis à la législation sur les OGM. Mais elle « constate [aussi] que la législation actuelle sur les OGM, adoptée en 2001, n’est pas adaptée à ces technologies innovantes » [2]. Cette étude arrive dans un contexte d’intenses luttes d’influences à Bruxelles pour obtenir la déréglementation des nouveaux OGM. Alors que des discussions politiques plus formelles vont maintenant s’ouvrir, la directive 2001/18 continue pour le moment d’être applicable à tout OGM, même « nouveaux », comme l’a souligné en juillet 2018 l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne.

L’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 25 juillet 2018 a rappelé que toutes les techniques de modification génétique apparues ou principalement développées après 2001 donnent des OGM soumis à la législation OGM, car ces techniques n’ont pas d’historique d’utilisation sans risque. Les entreprises ont alors initié un intense lobby visant à obtenir la déréglementation de certains nouveaux OGM [3] [4]. En novembre 2019, le Conseil de l’Union européenne a demandé à la Commission une étude sur le statut juridique des « nouvelles techniques génomiques (…) à la lumière de l’arrêt de la Cour de justice », accompagnée éventuellement d’une « proposition » [5] avec une analyse d’impact ou accompagnée de mesures à mettre en place pour lever les ambiguïtés juridiques. Le Conseil estimait en effet que l’arrêt de la CJUE soulevait « des questions pratiques » parmi lesquelles celles de la traçabilité des nouveaux OGM ou de « l’égalité de traitement entre les produits importés et les produits originaires de l’Union » [6].

L’étude envisage une évolution de la législation sur les OGM

L’étude indique clairement que les organismes obtenus par les nouvelles techniques génomiques sont soumis à la législation sur les OGM. Mais elle souligne que « les développements de la biotechnologie, combinés à un manque de définitions (ou de clarté quant à la signification) des termes clés, donnent encore lieu à une ambiguïté dans l’interprétation de certains concepts, ce qui peut conduire à une incertitude réglementaire » [7]. L’étude décrit aussi les nombreux avantages, pour certains acteurs, apportés par les produits issus de ces nouvelles techniques : « plantes plus résistantes aux maladies et aux conditions environnementales ou aux effets du changement climatique en général, caractéristiques agronomiques ou nutritionnelles améliorées, utilisation réduite des intrants agricoles (y compris les produits phytosanitaires) et sélection végétale plus rapide ». Mais l’étude souligne aussi que certaines parties prenantes considèrent que ces avantages ne sont qu’hypothétiques et qu’ils pourraient être atteints par d’autres voies [8]. Concernant les risques, cette étude s’appuie sur les publications de l’EFSA et préconise d’étudier les nouvelles techniques de modification génétique au cas par cas, tout en les comparant à la sélection conventionnelle : « la même altération aurait pu être obtenue par sélection conventionnelle, qui n’est pas soumise à la législation sur les OGM« .

Au final, ce document de 117 pages mis en ligne sur le site de la Commission européenne [9], sur lequel Inf’OGM reviendra plus en détail dans un prochain article, ne formule aucune proposition précise alors que le Conseil avait autorisé la Commission à le faire. Il s’agit plutôt d’une synthèse des réponses reçues des États membres et des «  parties prenantes » à un questionnaire que la Commission leur avait adressé.

On peut néanmoins noter dès à présent que la Commission européenne a interprété à sa façon la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne. L’étude de la Commission est en effet présentée comme s’intéressant aux nouvelles techniques apparues strictement après l’adoption de la directive 2001/18. Mais cette chronologie n’est pas celle de la CJUE qui de son côté, avait rendu un arrêt exposant que les OGM obtenus par des « techniques/méthodes nouvelles de mutagénèse qui sont apparues ou se sont principalement développées depuis l’adoption » de la 2001/18 donnent des OGM réglementés. En oubliant le « principalement », la Commission européenne se trompe donc (volontairement ?) sur la décision de la CJUE… Quelle est la différence ? Elle exclut de son étude les techniques qui sont apparues peu avant 2001 et n’ont été développées qu’après cette date, notamment « les techniques de mutagénèse in vitro consistant à soumettre des cellules végétales cultivées in vitro à des agents mutagènes chimiques ou physique » identifiées par le Conseil d’État français comme produisant des OGM soumis aux obligations de la réglementation européenne. Ces techniques ne sont donc pas (complètement) développées en 2001, mais sont principalement développées depuis 2001. La Commission les exclut alors que la CJUE les inclut.

Un processus de consultation déséquilibré

Un questionnaire préliminaire à l’étude de la Commission a été soumis aux États membres afin de connaître leurs opinions, analyses et informations sur la traçabilité des nouveaux OGM, les risques ou avantages à les utiliser ainsi que les risques ou avantages liés aux brevets inhérents à ces techniques. Si Inf’OGM a déjà rendu compte du contenu de la réponse française [10] [11] [12], l’étude publiée ce jour par la Commission est l’occasion d’avoir accès aux réponses des autres États membres.

Outre les États membres, la Commission a également consulté certaines parties prenantes. 107 organisations européennes, allant d’associations environnementalistes (telles Amis de la Terre Europe, Greenpeace…) aux représentants des entreprises de biotechnologie (comme EuropaBio), en passant par des associations de producteurs ou de consommateurs, avaient ainsi pu faire part de leur position. Mais cela ne fut pas sans peine pour les organisations de la société civile dont certaines ont dû se bagarrer pour être ajoutées à la liste initiale de 94 acteurs dont 70% étaient des entreprises et 12% des ONG [13]. Et cette participation de la société civile a porté ses fruits : elles ont en effet obtenu que le questionnaire soit complété de questions sur les risques et inconvénients qui avaient été oubliés. Ces thèmes ne faisaient en effet l’objet que de trois questions sur les 29 posées initialement.

La discussion est ouverte

La Commission présente ce jour même son étude à la présidence portugaise, accompagnée d’une lettre qui détaille que la législation actuelle « n’est pas adaptée à certaines NGT et à leurs produits et qu’elle doit être adaptée aux progrès scientifiques et technologiques. L’étude a noté que les actions de suivi devraient examiner si, comment et par quels instruments politiques cette adaptation devrait être fournie, afin que la législation soit résiliente, à l’épreuve du temps et appliquée uniformément, et qu’elle contribue aux objectifs de durabilité ».

Elle sera ensuite présentée aux États membres, qui en discuteront lors du Comité permanent des semences et plants le 6 mai. Les fonctionnaires feront une présentation du rapport lors d’une réunion du groupe de travail conjoint sur les « nouvelles techniques génomiques  » (NGT, selon le terme de la Commission) le 7 mai [14]. Ce texte devait être à l’ordre du jour du Conseil Agriculture à la fin du mois prochain (31 mai), mais la présidence semble vouloir avancer cette réunion aux 26 et 27 mai pour qu’elle coïncide avec un autre « super trilogue » sur la réforme de la PAC [15].

Le débat est loin d’être fini, dans une Union européenne qui a vu les activités de lobby se multiplier de manière impressionnante ces derniers mois comme CEO l’a rapporté en mars dernier [16]. De leur côté, les organisations de la société civile française ont effectué de nombreuses actions ces dernières semaines pour alerter l’opinion publique [17] [18] sur ce qui sera un enjeu majeur dans les mois ou années à venir : la législation européenne sur les OGM assurant leur étiquetage par exemple sera-t-elle pleinement appliquée ou au contraire modifiée sinon remplacée pour ne plus imposer l’étiquetage et autres évaluations des risques ? L’éventuelle adaptation de la législation européenne sur les OGM, si elle était définitivement actée, prendra du temps [19]. Un temps que, n’en doutons pas, mettront à profit tous les acteurs pour faire pencher la balance dans leur sens. Mais un temps aussi au cours duquel la directive 2001/18 continuera à être d’application… pour tous les OGM, indépendamment des résultats de cette étude de la Commission ou de la position de certains États membres.

[3Derailing EU rules on new GMOs, CRISPR-Files expose lobbying tactics to deregulate new GMOs, 29.03.2021

[5Sans détailler si la proposition doit être législative ou juste d’interprétation de l’arrêt de la CJUE par exemple…

[8Ibid.

[14Ces nouvelles techniques concernent trois directives liées aux OGM : 2001/18 (dissémination), 1829/2003 (alimentation) et 2009/41 (microorganismes).

[15Les trilogues sont les négociations tripartites avec la Commission, le Parlement et les États membres.

[18Actions en supermarché de Faucheurs Volontaires (ici aussi), ou de Greenpeace devant le Ministère de la Transition écologique et solidaire, et article Inf’OGM à paraître.

[19Sabine Julicher, de la DG Santé, a affirmé dans la conférence de presse qui a suivi la présentation de l’étude qu’aucun calendrier précis n’était fixé, mais que la Commission souhaitait terminer ce dossier avant la fin de son mandat.

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