n°162 - janvier / mars 2021

La biodiversité : entre open source et États souverains

Par Eric MEUNIER

Publié le 13/04/2021

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Les conditions d’accès et d’utilisation des informations enregistrées dans des bases de données font l’objet d’âpres discussions internationales. Pour les uns, l’enjeu est de « protéger » leurs ressources nationales en matière de biodiversité. Pour les autres, il s’agit d’échapper à la réglementation en place. La capacité à breveter le vivant en masse vit ici une partie décisive qui se joue, pour l’instant, sans les communautés locales.

Plantes, animaux, microbes sont définis comme des ressources génétiques par les législateurs. Savoir ce que recouvre précisément cette notion de ressources génétiques, discutée sur le seul plan sémantique dans un précédent article [1], fait l’objet de discussions intenses. L’objectif est de décider si ce terme de « ressource génétique  » (un maïs, une vache, un virus…) recouvre le seul organisme physique ou également sa séquence d’ADN numérisée. L’enjeu ? Permettre ou non d’accéder à une plus vaste biodiversité sans l’accord préalable de ceux qui l’ont conservée et sans avoir à partager les avantages de son exploitation. Les débats sont donc lancés sur ce qui est pour l’instant appelé les « informations de séquençage numérique ».

DSI : un thème très international…

Six enceintes internationales en parlent : la Convention sur la Diversité Biologique (CDB), le Tirpaa de la FAO, la Commission des ressources génétiques de la FAO, le Cadre PIP de l’OMS (sur la grippe), la Convention sur la loi de la mer (UNCLOS) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle [2].

La CDB est à ce jour le lieu où les positions politiques sont rendues le plus visibles. Depuis plusieurs années, les discussions vont bon train, à l’instar de celles qui ont lieu dans un groupe de travail spécialement monté en 2018 pour cela [3]. En 2019, les pays qui le souhaitaient ont communiqué leur analyse sur le statut de ces DSI. Les documents accessibles au public permettent de brosser un tableau assez binaire des positions [4] avec un premier groupe de pays, composé de l’Union européenne (cf. encadré ci- dessous), les États-Unis, le Canada et le Japon qui estiment que les DSI devraient être considérées comme non équivalentes aux ressources génétiques. Et un second groupe avec l’Argentine, le Brésil, l’Inde, l’Éthiopie, la Colombie, l’Iran et quelques pays du continent africain qui estiment au contraire que les DSI sont déjà couvertes par la définition des ressources génétiques.

Pour les premiers, le terme DSI ne convient pas et les expressions « données de séquence génétique » ou « séquences génétiques » seraient plus adaptées. Ils estiment surtout, comme le détaille l’Union européenne (cf. encadré) par exemple, que les « DSI ne sont pas équivalentes aux ressources génétiques » [5]. Accéder et utiliser ces DSI ne serait donc pas soumis au Protocole de Nagoya et au consentement préalable obligatoire dans le cadre du partage des avantages. D’autant que, l’accord de transfert signé pour l’utilisation d’une ressource génétique peut suffire pour conditionner le droit ou non d’utiliser cette ressource et les DSI qui en sont tirées sur le plan commercial. Dans le cas de l’Union européenne, cette position de distinguer DSI et ressources génétiques est paradoxale car sa propre législation sur les brevets a au contraire pris soin de lier les deux. Comme Inf’OGM l’a déjà rapporté [6], la directive 98/44 de 1998 précise en effet que la protection conférée par un brevet sur une information génétique « s’étend à toute matière, (…) dans laquelle l’information génétique est contenue et exerce sa fonction » !

La position de ces pays refusant de soumettre à l’accord préalable et au partage des avantages les DSI se retrouve dans une notion plus vaste. Comme l’écrivent les États-Unis [7], les DSI seraient l’outil de travail de la recherche. Ce travail, lorsqu’il résulte en la production de DSI librement accessibles, serait une forme de « partage des avantages qui crée d’autres bénéfices non monétaires » !

Le second groupe a une position opposée, considérant que l’accord préalable et le partage des avantages doit s’appliquer aux DSI. L’Argentine explique considérer que l’expression « information numérique sur les séquences de ressources génétiques » inclut en elle-même l’idée que l’information est une composante de la «  ressource génétique » [8]. Ce pays rappelle qu’en 1990, dans le cadre des travaux préparatoires de la CDB, les États avaient convenu que « la référence à l’accès aux informations et aux données sur les ressources génétiques est un élément important pour la conservation et l’utilisation durable, garantissant un bénéfice mutuel de l’utilisation des ressources » [9]. L’Inde argumente que CDB et Protocole de Nagoya « reconnaissent aussi bien les éléments tangibles qu’intangibles du matériel génétique, à savoir le matériel physique comme la valeur qu’il contient ». Une valeur du matériel génétique qui se trouve « dans l’information génétique qu’il contient, sous sa forme actuelle ou potentielle » [10]. Pour le Brésil enfin, que les DSI soient reconnues comme ressources génétiques ou pas, « une interprétation systémique de la CDB et du Protocole de Nagoya ne laissent aucune place au doute que l’utilisation de cette information soit soumise au partage des avantages » [11].

… dans de nombreuses enceintes

La diversité biologique marine est également au centre de toutes les attentions. Les Nations unies ont initié en 2017 un travail sur un futur texte visant à prendre des mesures sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine [12]. Discuté dans le cadre de la Convention des Nations unies sur la loi de la mer (UNCLOS), ce futur texte concerne la diversité marine dans les eaux internationales, hors des juridictions nationales. Il aborde évidemment la question des DSI. Les documents préparatoires d’une réunion prévue en 2020 mais repoussée, permettent d’avoir accès au projet de texte réglementaire avec les commentaires, article par article, des pays [13]. Ainsi, les articles traitant des définitions (article 1) ou du champ d’application de l’éventuelle future loi sont commentés afin de faire apparaître une référence aux DSI ou au contraire la faire disparaître. Géographiquement, les mêmes deux blocs de pays apparaissent : États-Unis, Union européenne, Corée du Sud… d’un côté et pays d’Amérique latine, Indonésie, Israël, Kenya, Philippines, Sénégal… de l’autre. Pour l’instant, les discussions sont en suspens. Pourtant, il y a urgence, au vu du nombre croissant de brevets déposés sur les séquences génétiques des espèces marines [14].

L’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) voit les mêmes deux camps en désaccord. En son sein, des pays d’Asie, Afrique ou Amérique du Sud demandent à ce que la délivrance de brevets sur des ressources génétiques soit plus encadrée au niveau international, via l’OMPI. Ils exigent notamment que l’origine géographique du matériel utilisé pour mettre au point « l’invention » soit déclarée. Face à eux, les mêmes pays s’opposant à une telle déclaration obligatoire de l’origine du matériel sont ceux s’opposant à soumettre les DSI aux règles de l’accord préalable et du partage des avantages [15].

Comment l’Union européenne a-t-elle élaboré sa contribution ?

Le 29 avril 2019, l’Union européenne adressait une contribution au débat sur les DSI à la Convention sur Diversité Biologique. Rédigée au nom de l’Union européenne et de ses États membres, cette contribution apparaît donc comme une position commune au 27 États membres de l’Union européenne. Etonné par un tel consensus, Inf’OGM a interrogé le Conseil de l’Union européenne qui était en charge de produire ce document. Selon une source européenne, une proposition de contribution fut soumise par la Présidence roumaine du Conseil le 17 avril 2019. Après discussion, un seul amendement fut proposé par la Présidence roumaine elle-même. La contribution fut ensuite adoptée selon une procédure dite « de silence  ». Lorsque une proposition de texte est considérée stable, « la procédure informelle de silence démarre ». Si aucune objection n’est faite dans un temps donné, le texte est considéré comme adopté et envoyé aux instances internationales destinataires.

Une des notions clés oubliée dans ces discussions concerne les savoirs traditionnels associés à telle ou telle plante, animal ou micro-organisme. Si certains pays comme le Mexique, le Brésil ou l’Afrique du Sud rappellent que le cadre international sur les ressources génétiques inclut ces savoirs traditionnels, ces derniers sont peu voire pas évoqués dans les discussions sur les DSI. À tel point que le Mexique a tenu à souligner dans sa contribution de 2019 à la CDB [16] « le manque de travail (…) qui permettraient aux peuples autochtones de participer plus activement aux discussions et aux décisions sur l’information sur les séquences numériques (…) ainsi qu’aux processus et aux décisions qui sous-tendent les mécanismes visant à assurer le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques »…

[5Contribution de l’Union européenne à la CDB

[7Contribution des USA à la CDB

[8Contribution de l’Argentine à la CDB

[9Rapport du groupe de travail ad hoc sur les travaux de sa deuxième session en vue de l’élaboration d’un instrument juridique sur la diversité biologique de la planète, UNEP/BIO.DIV.2/3 – 23 Février 1990

[10Contribution de l’Inde à la CDB

[11Contribution du Brésil à la CDB

[14« Corporate control and global governance of marine genetic resources », Blasiak et al., Sci. Adv. 2018 ;4 : eaar5237, 6 June 2018. et p.13

[15Questions essentielles sur les exigences de divulgation en matière de brevets concernant les ressources génétiques et les savoirs traditionnels, 2020, Deuxième édition, OMPI

[16Contribution du Mexique à la CDB

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