n°162 - janvier / mars 2021

« Ressource génétique » : une mauvaise expression

Par Christophe NOISETTE, Annick Bossu

Publié le 13/04/2021

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Que recouvre l’expression « ressources génétiques  » ? Certes, le mot génétique nous est connu et parle du génome des êtres vivants : son ADN ou « matériel » génétique, mais est-ce vraiment le sens actuel du mot ? Et pourquoi lui avoir adjoint le terme de « ressources » ? Il est question aussi de « numérisation des ressources génétiques  » ou d’«  information de séquençage numérique ». Tentative d’explication sur la base de textes législatifs…

Le mot « ressources », dans le domaine agricole, évoque les semences et les plants, ainsi que les animaux… Mais pas que cela ! Car il est évident qu’elles sont aussi liées aux savoirs paysans qui les ont produits, ainsi qu’à l’information qu’elles contiennent. Avec l’avènement de la génétique et du numérique, ces ressources auraient-elles changé de nature ?

« Ressources génétiques  » : une appellation récente

Le terme de « ressources génétiques » a été inventé en 1967 lors de la Conférence internationale sur l’exploration et la conservation des plantes cultivées, organisée par la FAO [1]. Ce terme a été repris lors du sommet de la Terre à Rio en 1992 par la Convention sur la diversité biologique (CDB) : une « ressource génétique » est, selon cette convention, « un matériel génétique ayant une valeur effective ou potentielle », le « matériel génétique » étant défini comme le matériel d’origine biologique contenant des unités fonctionnelles de l’hérédité (les gènes). La CDB a aussi élargi la notion de ressources génétiques aux « composants intangibles  » (comme les savoirs traditionnels), allant donc au-delà des seules caractéristiques physiques de la ressource [2].

Pour le Protocole de Nagoya [3], entré en vigueur en 2014 et qui dépend de cette même convention [4], ce que l’on entend par « ressources génétiques » porte sur la composition génétique et/ou biochimique d’un être vivant. Il définit en effet l’« utilisation des ressources génétiques » (Art. 2c) comme « les activités de recherche et de développement sur la composition génétique et/ou biochimique de ressources génétiques, notamment par l’application de la biotechnologie ». Une définition qui diffère, donc, de celle inscrite au sein de la CDB en 1992. En 2019, des chercheurs suisses affirment que « le futur des ressources génétiques pour l’alimentation et l’agriculture sera un hybride entre ressources physiques (semences, gamètes) et ressources numériques » [5].

Ainsi, sous le même vocable « ressources génétiques » se trouvent des ressources non génétiques et au fil des textes et de l’avancée des techniques, la distinction avec les «  ressources biologiques » [6] s’estompe peu à peu.

Pourquoi parler de « ressource » ?

L’expression « ressource » place le vivant dans une vision industrielle extractiviste [7]. La ressource est vue comme un bien matériel. Après le charbon, le pétrole et la biomasse, les gènes ou les composés biochimiques sont les nouveaux minerais à exploiter. Comme dans les autres exemples de l’extractivisme, la « ressource » se trouve dans des pays très riches en biodiversité, principalement sous les tropiques, ou dans les mers et son exploitation se fait par des industries des pays développés. On est loin de l’origine étymologique du mot « ressource » qui vient de « re-naître », «  ressusciter »…

Ainsi, le terme « ressource génétique » permet d’englober de façon univoque tout le vivant, les plantes, les animaux et les micro-organismes. Les gènes sont certes un élément commun au vivant mais le vivant ne se réduit pas aux gènes. De fait donc, l’expression « ressource génétique » tend vers un réductionnisme utilitariste qui permet de mieux modifier, breveter, s’approprier le vivant. Cette appropriation n’est pas nouvelle mais prend de nos jours une dimension planétaire du fait de l’amélioration des conditions de stockage des ressources physiques et de la possibilité de séquencer vite et à moindre frais les séquences génétiques, puis de les stocker dans des ordinateurs.

De même, le terme de « matériel » souvent employé dans les textes, tente de détruire la séparation pourtant primordiale entre la matière inerte et le vivant. Réduit à une séquence génétique, le vivant n’est plus vivant, mais juste un amas de molécules.

La « ressource génétique », c’est donc le vivant qui a une valeur : valeur en terme de biodiversité mais aussi en terme d’exploitation, valeur économique en somme.

Les ressources numériques et les DSI

« La numérisation et les techniques de séquençage à haut débit font rentrer les ressources génétiques dans l’aire des big data » [8]. Mais quelles sont ces données numérisées ? (voir encadré ci-dessous).

Ce sont d’abord des données à proprement parler « génétiques » des êtres vivants, c’est-à-dire des séquences d’acides nucléiques qui sont numérisées. Leur nombre augmente à un rythme rapide et exponentiel. À titre d’exemple, la base de données du NCBI [9] américain hébergeait, en août 2018, 1015 nucléotides de séquences [10] et d’ambitieux projets, tels que le Earth Biogenome Project, prévoient de séquencer et de rendre public l’ensemble des génomes des espèces eucaryotes dans les dix prochaines années [11] [12].

Depuis quelques années, apparaît un autre terme que l’on retrouve sous l’acronyme DSI – Digital Sequence Information – que l’on traduit par « information de séquençage numérique ». Le terme lui-même tout comme sa signification et le contenu de ce qu’il recouvre sont encore en discussion. Il pourrait ne pas s’agir seulement des séquences d’ADN ou d’ARN mais aussi d’informations génétiques informatisées : profils d’expression, évaluation de la biodiversité, analyse génétique (génotypage), des données épigénétiques comme l’état de méthylation de l’ADN, des métabolites ou même des données phénotypiques [13]. Certains leur adjoignent les connaissances traditionnelles qui leur sont liées.

La dématérialisation des ressources génétiques et leur enregistrement dans des bases de données revient donc à constituer des bases de données informatiques de ressources génétiques dans lesquelles les entreprises espèrent pouvoir piocher les séquences liées à des fonctions biologiques. Les ingénieurs de la biologie de synthèse pourront aussi y faire leur marché.

On virtualise ainsi le vivant ou du moins une partie de celui-ci. On le déconnecte de tout ce qu’il peut avoir d’intégrité, de résistance, d’adaptation au réel et de capacité d’évolution : le gène prélevé, séquencé et conservé dans une banque de données aura-t-il encore la même fonction quand il s’agira de l’utiliser dans un autre être vivant ?

Le risque est réel qu’avec la numérisation, les peuples perdent leur souveraineté sur leurs richesses biologiques. Comme le dit justement le président du Forum Économique Mondial, la fusion de technologies « brouille les frontières entre le physique, le numérique et les sphères biologiques » [14]. La Nature sera alors dirigée, orientée par l’homme à une très grande échelle. Que deviendra ce qui n’est pas « ressource » ?

Quelles données sont numérisées ?


Les organismes dont certaines informations (les génomes par exemple) sont séquencées puis enregistrées dans des bases de données publiques ou privées, sont prélevés dans la nature ou dans les cultures, élevages et préparations des communautés humaines. La CDB estime qu’aujourd’hui, si la collecte aux champs est moins importante, elle pourrait changer de visage car « des individus pourront facilement, et à faible coût, séquencer des gènes à partir d’échantillons physiques n’importe où dans le monde et les envoyer via Internet » [15].

Une fois les prélèvements faits, l’ADN est extrait et séquencé. Mais la simplicité de cette phrase ne reflète pas la difficulté du séquençage. Plusieurs étapes « parasitent » en effet la fiabilité du résultat. Après l’extraction qui doit être sans contaminant, l’ADN est découpé en morceaux qui sont séquencés à l’aide de diverses plateformes et méthodes aux limites et fiabilité de résultats différentes. Les séquences obtenues sont alors remises bout à bout pour reconstituer, non sans difficulté, le génome en entier. Ces génomes sont ensuite comparés avec ceux désignés « de référence ». Chaque étape introduit ainsi des biais dans les résultats, biais accrus quand les génomes sont polyploïdes (plus de deux jeux de chromosomes) ou avec de nombreuses séquences répétées. Des articles scientifiques résument ces difficultés, comparant méthodes, plateformes et logiciels associés, discutant normes de référence et normes à mettre en place pour fiabiliser le processus complet [16]. Autant d’outils complexes à utiliser et ayant un coût important, réservant leur utilisation aux entités (pays, entreprises) « riches » [17].

Par ailleurs, l’ADN est plus qu’un simple enchaînement de bases. Dans une même séquence génétique identique, ces bases peuvent avoir un état chimique différent d’un organisme à un autre (méthylation). Enfin, d’autres molécules que l’ADN, comme les ARN, les ADN mitochondriaux, les protéines…, peuvent être séquencées. En conséquence, l’expression chapeau « information de séquençage numérique » a aujourd’hui autant de définitions que d’acteurs du dossier [18].

Eric Meunier

Numérisation des ressources génétiques pour l'alimentation et l'agriculture : les défis pour l'agriculture »
Numérisation des ressources génétiques pour l’alimentation et l’agriculture : les défis pour l’agriculture »
Schéma de S. Aubry, tiré de « Numérisation des ressources génétiques pour l’alimentation et l’agriculture : les défis pour l’agriculture », Aubry S., Eigenmann Ch., Recherche agronomique suisse 10 (3), 122–127, 2019 et reproduit avec son aimable autorisation.

Lecture : Des séquences d’être vivants sont numérisées dans des bases de données, analysées et utilisées avec divers outils de biotechnologies pour, par exemple, enregistrer de nouvelles variétés protégées.

[5« Numérisation des ressources génétiques pour l’alimentation et l’agriculture : les défis pour l’agriculture », Aubry S., Eigenmann Ch., Recherche agronomique suisse 10 (3), 122–127, 2019, www.agrarforschungschweiz.ch/fr/2019/03/numerisation-des-ressources-genetiques-pour-lalimentation-et-lagriculture-les-defis-pour-lagriculture/

[7Christophe Bonneuil, « Seeing nature as a « universal store of genes » : how biological diversity became « genetic resources », 1890-1940. Studies in history and phylosophy of science Part C, 2019

[8« Numérisation des ressources génétiques pour l’alimentation et l’agriculture : les défis pour l’agriculture », Aubry S., Eigenmann Ch., Recherche agronomique suisse 10 (3), 122–127, 2019, https://www.agrarforschungschweiz.ch/fr/2019/03/numerisation-des-ressources-genetiques-pour-lalimentation-et-lagriculture-les-defis-pour-lagriculture/

[11Lewin et al. 2018

[13« Numérisation des ressources génétiques pour l’alimentation et l’agriculture : les défis pour l’agriculture », article cité

[17Trois compagnies dominent le marché du séquençage d’ADN : Illumina, PacBIO et Oxford nanopore. Concentration à surveiller, si ces entreprises commencent à s’intéresser aux données, en plus de fournir les machines !

[18Sylvain Aubry, « The Future of Digital Sequence Information for Plant Genetic Resources for Food and Agriculture », Front. Plant Sci., août 2019, https://doi.org/10.3389/fpls.2019.01046

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