Actualités

La société civile sera-t-elle bientôt exclue de l’évaluation des OGM ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 19/11/2020

Partager

Le 31 décembre 2020, le mandat des membres du Haut Conseil des biotechnologies sera terminé. À ce jour, il est difficile de savoir si cette instance sera renouvelée, même temporairement. Une piste ? Le 27 octobre dernier, le gouvernement a rendu public son projet de remplacement de l’évaluation française des dossiers OGM par divers avis d’experts. S’il se concrétisait, plusieurs organisations de la société civile seraient alors exclues de l’évaluation des OGM…

Créé en 2008 pour prendre la suite de la Commission du Génie Biomoléculaire, le Haut Conseil des biotechnologies a une particularité dans le monde des comités d’évaluation sur les OGM : il est en effet composé d’un comité scientifique (CS), chargé de l’évaluation des risques environnementaux (les risques sanitaires étant évalués par l’Anses) et d’un comité économique, éthique et social (CEES). Ce second comité, particularité de l’évaluation française des OGM, prend en compte les questions économiques, éthiques et sociales pour aboutir ainsi à une évaluation globale ne se réduisant pas aux seuls avis d’experts scientifiques. Il place pour cela autour de la table des acteurs représentant aussi bien les industries semencières que des syndicats agricoles, des organisations de défense de l’environnement, de représentants des malades, d’experts juridiques… Autant de personnes qui ont rarement une chaise dans un comité d’évaluation. Après deux mandats de cinq années chacun, les membres qui étaient en place le 12 décembre 2019 ont vu leur mandat renouvelé pour une année, jusqu’au 13 décembre 2020 [1]. Après avoir été décrit comme une instance ayant « vocation à être supprimée » dans un document annexe du projet de loi de finances 2020 [2], quel avenir est prévu pour le HCB au-delà du 1er janvier 2021 ?

Le HCB, une instance qui « a montré des difficultés importantes »

La loi de programmation annuelle de la recherche aborde justement l’organisation future que le gouvernement souhaite donner à l’expertise française sur les OGM. Adoptée en Conseil des ministres le 22 juillet 2020, cette loi est en cours de discussion au sein du Parlement français qui l’a déjà adoptée en commission paritaire le 9 novembre dernier (et sera définitivement adoptée dans les « semaines à venir« ). Le texte tel qu’actuellement discuté [3] fait apparaître dans son article 22 que le gouvernement serait habilité à décider par ordonnance pour « redéfinir les modalités selon lesquelles les avis et recommandations relatifs aux biotechnologies sont élaborés ». Pour cela, il mettra en place une organisation « qui s’appuiera notamment, pour les missions d’évaluation des risques et l’analyse socio-économique, sur l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail » (Anses). Cette future organisation de l’expertise devra également viser à « améliorer les conditions de mise en œuvre du débat public ainsi que la prise en compte des questions éthiques ». L’absence de mention du HCB actuel au profit de l’Anses, qui intervient déjà dans le dossier OGM en fournissant des avis sur les risques sanitaires, est parlante. Mais pour connaître plus précisément les projets du gouvernement, un amendement déposé par ce dernier le 27 octobre dernier est encore plus explicite [4]. Le gouvernement y détaille en effet comment il envisage d’organiser l’expertise sur le dossier OGM. 

Pour lui, le HCB est une instance qui « a montré des difficultés importantes à fonctionner depuis sa création, et notamment des difficultés à conduire sereinement les débats entre les parties prenantes. Des vagues de démissions ont, à plusieurs reprises, entraîné le blocage de son comité économique, éthique et social, et fragilisé son comité scientifique ». Considérant que ces difficultés fragilisent l’évaluation des demandes d’autorisation d’OGM, le gouvernement souhaite « s’assurer d’une évaluation des risques rigoureuse, indépendante et de qualité (…), confier à des experts une analyse économique des bénéfices sociaux des biotechnologies amenées à être développées, (…) aborder avec compétence les questions éthiques et (…) donner sa place à un vrai débat public où toutes les composantes de la société puissent s’exprimer ». Le devenir du HCB devient clair puisque le gouvernement « envisage donc de transférer les missions actuelles du HCB à différentes instances déjà existantes, robustes et reconnues, et en capacité d’intégrer ces nouvelles missions dans leur fonctionnement ».

Évaluation des OGM : exit la société civile ?

Il est ainsi prévu par le gouvernement que l’Anses, outre l’évaluation des risques sanitaires qu’elle conduit déjà, récupère la mission d’évaluation des risques environnementaux liés à la dissémination d’OGM qui relève du CS du HCB jusqu’au 31 décembre 2020. Mais qu’en sera-t-il des missions d’évaluation globale économique, éthique et sociale qui étaient prises en main par le CEES du HCB ? Seront-elles remplacées par la juxtaposition de divers avis d’experts ?

Le gouvernement détaille que l’Anses « se verra également confier la mission d’analyse socio-économique, et mettra à ce titre en place un nouveau comité d’experts spécialisés dans ce domaine ». Pour ce qui relève des questions éthiques, le gouvernement souhaiterait la confier au Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE). Par ailleurs, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) pourrait devenir « le siège du débat public sur les biotechnologies » et le ministère de la recherche récupèrerait, lui, l’évaluation des demandes d’autorisation d’utilisation d’OGM en milieu confiné.

Concrètement, qu’en est-il aujourd’hui pour le HCB ? Le HCB déclare à Inf’OGM ne pas avoir reçu à ce jour « d’information officielle quant à ses possibles évolutions de la part des ministères de tutelle« . En attendant, « et à l’approche de la fin du mandat actuel, le bureau valide essentiellement les saisines ayant trait au confiné, qui comprennent notamment les recherches SARS-CoV2, et n’a pas validé de saisine autre. Les réunions du bureau [dont] les PV seront prochainement déposés sur le site, ont été tenues par téléphone« . Une mise en ligne sur Internet qui en effet tarde car l’agenda du HCB ne fait apparaître aucune réunion de cette instance, qui se réunissait mensuellement, depuis le 27 juillet 2020 et encore moins de procès-verbaux publiés. De même, le décret du 12 décembre 2019 ayant renouvelé le mandat de ses membres pour un an n’est pas mentionné contrairement à tous les décrets précédents. Enfin, les procès-verbaux des réunions du comité scientifique ne sont plus mis en ligne depuis le 23 janvier 2020 contrairement à la pratique habituelle du HCB jusqu’alors.

Face à cette future disparition du HCB, la question qui se pose est donc celle du rôle des acteurs aujourd’hui membres du Comité économique, éthique et social et dont certains y sont revenus en juin dernier après trois années d’absence [5]. Une chose est certaine, les industries semencières, syndicats agricoles et autres ONG de défense de l’environnement n’auraient plus de recommandation à produire sur les demandes d’autorisation d’OGM si le gouvernement se voyait confier ce droit à décider par ordonnance.

Fin d’une particularité française ?

La loi de programmation pluriannuelle de la recherche est en cours de discussion au Parlement dans le cadre d’une procédure accélérée. L’Assemblée nationale a de son côté repris ses discussions le 17 novembre dernier. Au 31 décembre prochain, fin prévue du mandat du HCB, il se pourrait que le gouvernement n’ait donc pas encore pris les ordonnances relatives à l’évaluation des OGM. Après avoir passé douze ans avec une innovation en y intégrant les dimensions éthiques, sociales et économiques, la France pourrait rejoindre les autres États membres en réduisant l’évaluation des OGM aux seuls avis des experts de l’Anses pour les risques sanitaires et environnementaux !

Actualités
Faq
A lire également