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Changement climatique et pesticides : un alibi pour dérèglementer les OGM ?

Par Zoé JACQUINOT, Eric MEUNIER

Publié le 24/09/2019

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Les lettres de mission des futurs commissaires et le programme de travail de la Commission européenne, présidée par Ursula von der Leyen, sont publics. Et malgré un intense lobby industriel exercé depuis plusieurs mois pour que la législation sur les OGM soit modifiée, ce dossier n’est pas nommément cité dans ces documents. Pourtant, il devrait bien être au programme, « caché » dans des objectifs louables comme la réduction de l’utilisation des pesticides et la lutte contre le changement climatique.

Le choix des mots est important en politique. En cela, le programme présenté par Ursula Von Der Leyen en tant que prochaine Présidente de la Commission européenne est parlant. Daté du 16 juillet 2019, il ne contient aucune expression comme « organismes génétiquement modifiés », ou « génétiquement édités » – cette dernière expression pourtant adoptée par l’ancienne Commission européenne pour parler des nouvelles techniques de modification génétique – ni même le mot « biotechnologie ». Une absence qui se retrouve dans les lettres de mission adressées le 10 septembre 2019 aux potentiels futurs Commissaires, lettres qu’Inf’OGM a déjà présentées dans un précédent article [1].

Un « Pacte vert pour l’Europe » : les OGM en toile de fond ?

Ursula Von Der Leyen a présenté en juillet dernier six priorités qui orienteront l’action politique de la Commission pour la période 2019 – 2024. La première d’entre elles est un « Pacte vert pour l’Europe  » qui vise à faire de l’Europe « le premier continent climatiquement neutre  » [2]. Un pacte qui sera discuté, selon Ursula Von Der Leyen, dans les cent premiers jours de son mandat, mais dont les grandes lignes sont déjà décrites. On peut ainsi lire que « changement climatique, biodiversité, sécurité alimentaire, déforestation et détérioration des sols » sont des sujets qui vont de pair et qu’il est nécessaire de « changer la manière dont nous produisons, dont nous consommons et dont nous commerçons (…) [et de] fixer de nouvelles normes de biodiversité qui s’appliquent horizontalement dans le commerce, l’industrie, l’agriculture et la politique économique ».

Plusieurs programmes composent ce Pacte vert. La Présidente de la Commission propose ainsi une stratégie en matière de biodiversité à l’horizon 2030 avec notamment comme objectif que « l’Europe soit en pointe à la Conférence des parties (COP) à la convention sur la diversité biologique de 2020 ». Si Ursula Von Der Leyen ne donne pas plus d’indication, il faut se rappeler qu’en 2018, à Charm El Cheikh [3], la COP avait justement discuté des nouvelles techniques de modification génétique, de la biologie de synthèse ou encore de la numérisation des ressources génétiques. Des discussions qui devraient en toute logique reprendre en 2020 et sur lesquelles l’Europe devra avoir donc des propositions si elle ambitionne d’être «  à la pointe » de la COP…

Un autre programme pourrait concerner le dossier OGM, celui d’une stratégie pour l’agriculture, nommée « de la ferme à l’assiette  ». Ce dernier a comme ambition «  une alimentation durable à tous les stades de la chaîne de valeur » qui vise à « protéger le travail essentiel que réalisent nos agriculteurs pour fournir aux Européens une alimentation riche, abordable et saine ». Si la production biologique est mentionnée à titre d’exemple dans la lettre de mission adressée au Commissaire à l’agriculture pour que « le secteur agro-alimentaire améliore la durabilité de la production alimentaire  » [4], le cadre de travail annoncé vise surtout à ce que « dans les cinq années à venir, [la tâche du Commissaire soit] d’assurer que le secteur agricole continue à tenir ses engagements tout en l’appuyant pour qu’il s’adapte aux changements climatiques, démographiques et technologiques ».

Dernier programme qui peut avoir recours aux OGM, une stratégie qui sera proposée par la Présidente de la Commission dans l’objectif d’arrêter progressivement toute pollution, avec notamment une attention particulière pour contrôler « les produits chimiques dangereux, les émissions industrielles, les pesticides et les perturbateurs endocriniens ». Quand on se rappelle que les OGM transgéniques furent de longue date promus comme permettant de réduire l’utilisation de pesticides – sans que cela ne soit concrètement avéré dans un pays comme les États-Unis par exemple [5] -, un tel objectif pourrait de même servir à promouvoir un besoin de déréglementer les produits issus des nouvelles techniques de modification génétique.

Le numérique concerne l’agriculture

Outre la priorité d’un pacte vert pour l’Europe, une autre des six priorités affichées par Ursula Von Der Leyen concerne également l’agriculture, celle d’une « Europe adaptée à l’ère du numérique  ». Concernant cet objectif, il est en effet annoncé que « les données et l’intelligence artificielle sont les ingrédients de l’innovation qui peuvent nous aider à trouver des solutions aux enjeux sociétaux actuels, que ce soit dans le domaine de la santé ou de l’agriculture… ». La numérisation des génomes serait-elle concernée ? Les pays signataires de la Convention sur la Diversité Biologique ont en tout cas déjà abordé ce sujet en 2018 à Charm El Cheikh [6] et devraient continuer leurs discussions en 2020.

En parallèle, les entreprises semencières, elles, ont multiplié leur lobby auprès de la précédente Commission européenne pour demander une révision de la législation européenne sur les OGM. Un lobby intense organisé dès le lendemain de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne qui arrêtait que les produits issus des nouvelles techniques de mutagénèse devaient être encadrés comme les OGM transgéniques [7].

Le travail semble avoir porté ses fruits, au moins pour ce qui est de la précédente Commission européenne. Avant l’été, cette dernière appelait en effet de ses vœux un débat et des propositions législatives sur le sujet [8]. Or la notion même de débat induit que cette Commission envisageait une évolution législative, bien que ne pouvant l’initier puisqu’elle était en fin de mandat. Selon nos informations, cette précédente Commission européenne a souligné début 2019, et à plusieurs reprises, son vif intérêt pour un débat sur les nouvelles techniques de modification génétique qui ne se limiterait pas à la seule question du statut réglementaire des nouveaux OGM. La Commission souhaitait également que le débat se concentre sur la manière dont les nouveaux produits pourraient contribuer à relever les défis sociétaux, tels que le changement climatique ou la réduction de l’utilisation des pesticides, sans conséquences négatives pour la santé et la protection de l’environnement. Une sémantique qui renvoie aujourd’hui aux orientations politiques de la future Commission européenne.

La précédente Commission européenne n’est pas la seule à faire un lien entre les dossiers « changement climatique », « réduction de l’utilisation des pesticides » et le dossier OGM. En février 2019, toujours selon nos informations, la Commission européenne a rencontré des représentants des producteurs de maïs et de betteraves. Ces organisations professionnelles ont informé la Commission sortante de la création d’une plate-forme « Agriculture et progrès » annoncée comme ayant été mise en place suite aux décisions de réduction et interdiction de certains pesticides en agriculture. Le lien avec le dossier OGM ? Ces acteurs ont partagé avec la Commission leur inquiétude au sujet de l’arrêt de la Cour de justice de 2018 : pour eux, si leurs produits sont soumis à la législation sur les OGM, ces nouvelles techniques ne seront pas utilisées.

Les nouveaux OGM au service de l’écologie ?

Quatre mois plus tard, en juin 2019, la Confédération européenne de la production de maïs (CEPM, une structure du groupe Maiz’Europe) expliquait d’ailleurs sur son site internet s’être « engagée dans la plate-forme Agriculture et Progrès aux côtés de la CIBE (betteraviers européens) et du CEFS (sucriers européens) afin de sensibiliser les autorités européennes à l’importance stratégique de l’accès aux techniques d’aujourd’hui, tels que les traitements de semences, et de demain telle que l’innovation variétale ou génétique  » [9]. Un « accès aux techniques  » qui semble bien couvrir les produits obtenus par les nouvelles techniques de modification génétique qu’elles considèrent comme devant être exemptées des obligations des directives sur les OGM. Jean-Philippe Garnot, de l’association interprofessionnelle de la betterave et du sucre (AIBS), s’est montré très clair sur ce point lors d’une audition au Sénat en juillet 2019 consacrée à l’accord avec le Mercosur. À cette occasion, il a affirmé que l’utilisation des variétés tolérantes aux herbicides qui sont obtenues par mutagénèse permettent de répondre aux questions environnementales. Mais de préciser qu’on « est en train d’associer tout ça à des OGM. Il faut arrêter ça ! » » [10].

Au regard des orientations de la prochaine Commission européenne et de l’intense lobby des agro-industriels, les éventuelles propositions de dérèglementation des nouveaux OGM pourraient bien être faites au nom d’une politique écologiste de lutte contre le changement climatique ou de réduction de l’utilisation des pesticides. La lettre adressée par 29 organisations aux députés français, et dont Inf’OGM a rapporté le contenu [11], en est d’ailleurs la dernière illustration en date. Parlant de l’arrêt de la Cour de justice de juillet 2018 qui entraverait la recherche et l’innovation, les 29 organisations signataires écrivent que « l’amélioration génétique est un levier majeur pour la transition écologique en développant des plantes […] plus résilientes aux effets du changement climatique mais aussi compatibles et mieux adaptées à de nouvelles méthodes culturales ». On ne pourrait être plus clair…

[9« Rendre leur maïs aux citoyens européens  », CEPM, communiqué du 28 juin 2019. Une communication qui précisait d’ailleurs que « Au côté du principe de précaution, le principe d’innovation doit aussi prendre tout son sens car l’avenir de l’agriculture européenne en dépend. Les innovations d’hier et d’aujourd’hui sont nécessaires pour mettre au point celles de demain ».

[10Commission des affaires économiques du Sénat, Groupe de travail « Agriculture et alimentation« , auditions sur les enjeux du traité Mercosur / UE dans le domaine agricole, audition du 17 juillet 2019.

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