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Canada – Une curieuse autorisation du riz OGM doré

Par Charlotte KRINKE

Publié le 25/04/2018

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En mars 2018, le ministère de la Santé du Canada a autorisé la mise sur le marché du controversé riz doré, génétiquement modifié pour produire du β-carotène que le corps humain transformera en vitamine A. L’Institut international de recherche sur le riz, à l’origine de cette demande, a déclaré que ce riz doré n’était pas destiné à la vente au Canada pour le moment. Une manière d’inciter les pays asiatiques à l’autoriser à leur tour ?

Le riz transgénique doré est présenté comme une solution aux problèmes de carence en vitamine A, principalement dans les pays d’Asie du Sud et du Sud-Est comme le Bangladesh et les Philippines. Ce sont donc ces pays qui sont les principaux marchés ciblés pour la culture et la vente du riz doré par l’Institut international de recherche sur le riz (International Rice Research Institute, Irri). Sauf que ces pays n’ont pas encore autorisé la culture commerciale ou la vente du riz doré… [1]

Autorisé mais pas vendu

Et avant même d’obtenir leur autorisation, l’Institut international de recherche sur le riz a sollicité et obtenu l’autorisation de vendre le riz transgénique au Canada, tout en affirmant qu’il ne serait pas vendu dans ce pays. Drôle de situation ! Comment expliquer que le Ministère de la Santé canadien (Santé Canada) n’ait pas refusé d’examiner la demande ? Et surtout, quel intérêt pour l’Irri d’obtenir une autorisation de mise sur le marché dans un pays où le riz doré ne sera pas vendu ?

Du côté du Santé Canada, la réponse est qu’elle est « légalement tenue (selon le règlement sur les aliments et les drogues) d’examiner toutes les demandes d’autorisation d’aliments nouveaux [NDLR. Les OGM sont considérés comme des aliments nouveaux en droit canadien] » [2].

Quant à l’Institut international de recherche sur le riz, il met en avant des raisons d’ordre commercial pour justifier sa demande d’autorisation de vendre le riz doré au Canada. L’Institut explique en effet qu’il est possible que des denrées alimentaires dérivées du riz doré entrent au Canada par inadvertance par le biais d’importations de pays producteurs [3]. Donc si le riz doré est autorisé au Canada, sa présence, fortuite, dans les importations canadiennes, n’aura pas d’impact sur les échanges internationaux : les importations ne seront pas suspendues. L’Institut a appliqué la même tactique en Australie et Nouvelle-Zélande, où le riz doré a été autorisé en décembre 2017 « car il est possible que le riz entre par inadvertance dans l’alimentation via les exportations de pays qui pourraient fournir des quantités significatives de riz blanchi à l’Australie ou la Nouvelle-Zélande » [4]. Pas plus qu’au Canada, le riz doré n’y est destiné à la commercialisation (ni pour la culture commerciale ni pour la vente intentionnelle dans l’alimentation). Autrement dit, le riz doré est approuvé au cas où il contaminerait les importations de riz [5]

Une pression sur les pays asiatiques ?

Mais au-delà de cette explication, il s’agit peut-être avant tout d’envoyer un message aux pays asiatiques ciblés en tant que marchés pour le riz doré. Solliciter des autorisations de mise sur le marché dans des pays où le riz doré ne sera pas vendu ni cultivé (et où l’efficacité du riz doré pour pallier les carences en vitamine A au sein des populations ciblées n’est pas prise en compte…) peut en effet se voir comme une stratégie pour exercer une pression sur les pays asiatiques qui n’ont pas encore donné leur feu vert à la culture commerciale du riz doré… et pour les inciter à prendre exemple sur les autorités d’évaluation canadiennes et australiennes/néo-zélandaises voire étasuniennes, une demande d’autorisation ayant également été déposée aux États-Unis.

Une lecture que partage le réseau asiatique Stop Golden Rice, dont fait partie l’organisation GRAIN [6]. Contactée par Inf’OGM, Kartini Samon, chargée de la coopération avec les partenaires de GRAIN en Asie, affirme que « la demande soumise en Australie/Nouvelle-Zélande, au Canada et aux États-Unis a pour but de faire pression pour accélérer la commercialisation dans les pays cibles ». Elle explique que les organisations membres du réseau Stop Golden Rice pensent que «  les autorisations de l’Australie/Nouvelle-Zélande et du Canada vont être utilisées pour contourner l’opposition publique et accélérer la dissémination du riz doré en Asie ».

C’est aussi ce que craint le Réseau canadien d’action sur les biotechnologies, qui demande à ce que Santé Canada n’évalue la sécurité d’un produit que si celui-ci est autorisé dans le ou les pays visés pour la commercialisation. Pour le Réseau, cela permettrait d’assurer que la procédure d’autorisation dans ces pays se déroule sans être entravée par l’influence potentielle de pays tels que le Canada [7].

L’humanitaire à la rescousse des OGM

La pression exercée sur les pays asiatiques n’est pas anodine vu le contexte. Les travaux sur le riz doré ont débuté dans les années 90 et les annonces de sa commercialisation sont récurrentes dans les médias depuis lors. Mais malgré cela, le riz doré n’est toujours pas cultivé à des fins commerciales dans les pays où il est censé lutter contre la carence en vitamine A. Une situation que 107 Prix Nobel – dont la plupart ne sont pas liés aux questions agronomiques – ont récemment attribuée aux campagnes menées par les organisations de la société civile, de défense des droits des agriculteurs et de protection de l’environnement, dont Greenpeace, accusée de crime contre l’humanité [8]. Ces organisations soutiennent à leur tour que le riz doré n’est pas au point et qu’il ne permettra pas de répondre aux problèmes de carence en vitamine A [9] [10] [11] [12], voire qu’il renforcera les problèmes liés à une monodiète de riz… Elles dénoncent une campagne de promotion des plantes génétiquement modifiées sous les habits d’un projet « humanitaire » reposant sur la « biofortification » [13]. Des résistances que l’Institut international de recherche sur le riz souhaiterait bien voir tomber…

[1Une procédure d’autorisation est en cours aux Philippines pour l’utilisation directe du riz doré dans l’alimentation humaine et animale et pour la transformation. La demande est présentée de manière conjointe par l’Institut international de recherche sur le riz et l’Institut philippin de recherche sur le riz.

[2Santé Canada, Lettre à l’adresse du Réseau canadien d’action sur les biotechnologies, avril 2018. Selon le règlement sur les aliments et les drogues, le fabricant ou l’importateur doit solliciter l’avis de Santé Canada avant la mise en vente de son produit (aliment nouveau/OGM).

[3En 2017, le Canada a importé pour plus de 373 millions de dollars canadiens (240 millions d’euros) de riz, farine de riz, gruaux et semoules de riz, sons, remoulages et autres résidus de riz (en provenance principalement des États-Unis, de la Thaïlande et de l’Inde). Source : Statistiques Canada.

[4Food Standards Australia New Zealand, Approval Report – Food derived from Provitamin A Rice Line GR2E, 20 décembre 2017.

[5Les autorisations données par l’Australie/Nouvelle Zélande et par le Canada ne font pas de distinction entre autorisation pour présence intentionnelle ou non intentionnelle : l’autorisation permet la vente ou l’utilisation dans les denrées alimentaires d’aliments dérivés du riz doré. De sorte que l’argument sur le risque de contamination des importations de riz semble avant tout un moyen pour l’Irri de justifier la sollicitation de l’autorisation dans des pays où le riz doré ne sera pas cultivé et a priori pas vendu.

[6Le réseau Stop Golden Rice réunit plus de 30 organisations (défense de l’environnement, d’agriculteurs etc.) de plusieurs pays d’Asie du Sud et du Sud-Est (Viêt Nam, Inde, Bangladesh, Philippines, Indonésie…). Voir Stop Golden Rice ! Network, Asia farmers’ network resounds strong call to Stop Golden Rice !, août 2017.

[12, « Les OGM ne nourriront pas le monde », Inf’OGM, 11 avril 2018

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