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BRESIL – Première autorisation mondiale d’eucalyptus OGM

Par Eric MEUNIER

Publié le 20/05/2015

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Le 9 avril 2015, le Brésil a autorisé la culture commerciale d’eucalyptus génétiquement modifiés [1]. Ces eucalyptus transgéniques, mis au point par l’entreprise brésilienne FuturaGene, ont comme « intérêt » de croître plus rapidement. Mais cette autorisation est largement controversée…

En janvier 2014, FuturaGene, filiale de l’entreprise brésilienne Suzano – une entreprise papetière – depuis 2010, déposait une demande d’autorisation pour la mise en culture commerciale d’eucalyptus génétiquement modifiés par trangénèse via l’insertion du gène CEL1 (issu de la plante Arabidopsis thaliana). Grâce à ce transgène, les cellules d’eucalyptus synthétisent l’enzyme endoglucanase qui induit un assouplissement des parois des cellules végétales, assouplissement permettant une croissance plus rapide selon FuturaGene. Une résistance aux antibiotiques par le biais de l’insertion du gène NPTII a également été transférée aux eucalyptus GM (pour sélectionner les cellules effectivement modifiées).

La CTNBio donne son feu vert

Dans son avis [2], la Commission technique nationale sur la biosécurité (CTNBio) souligne que l’eucalyptus n’étant pas une espèce indigène au Brésil, les eucalyptus génétiquement modifiés (GM) ne pourront pas se croiser sexuellement avec des parents sauvages. Cependant, le Brésil cultive déjà sur 4,8 millions d’hectares [3] des eucalyptus, « pour la pâte à papier et le charbon de bois » précise le Cirad [4]. La CTNBio considère par ailleurs que cette espèce n’est pas envahissante, et que les insectes pollinisateurs ne se déplacent pas sur de grandes distances, ce qui limite, de fait, le risque de dissémination du caractère transgénique. En bref, la CTNBio considère donc que ces eucalyptus ne présentent pas de dangers pour l’environnement ou la santé humaine, d’après les informations fournies par l’entreprise FuturaGene et la littérature scientifique existante. Si cette décision fait l’objet de plusieurs controverses (cf. plus loin, « Une évaluation dénoncée par certaines ONGs et ministères brésiliens »), les eucalyptus GM sont souvent considérés comme une espèce invasive et extrêmement gourmande en eau comme cela fut rappelé aux Etats-Unis, lors de débats sur des essais en champs d’eucalyptus GM [5].

FuturaGene se réjouit et expose ses plans

Dans un communiqué de presse daté du 9 avril, jour de l’autorisation [6], FuturaGene explique avoir mené des essais en champ depuis 2006 au Brésil avec ces arbres, essais qui « ont démontré une augmentation d’environ 20% du rendement comparé aux variétés conventionnelles ». Actuellement au Brésil, un eucalyptus conventionnel fournit 44 m³ de bois par an et par hectare. FuturaGene souligne qu’il s’agit de la première autorisation mondiale délivrée pour des eucalyptus GM, représentant « le début d’une nouvelle ère de la gestion durable des forêts en permettant la production de plus de fibres de bois tout en mobilisant moins de ressources ». Mais ce n’est pas la première autorisation pour une dissémination commerciale d’arbres GM : la Chine avait déjà mis en culture des peupliers transgéniques [7]. Selon l’entreprise, les cultures de ces arbres conduiront à des « bénéfices économiques, environnementaux et sociaux », précisant que les bénéfices environnementaux seront liés à « une utilisation moindre de terre pour produire plus de fibres, [et] une utilisation réduite d’intrants chimiques ». Un lot de promesses qui rejoint celui couramment mis en avant pour les plantes transgéniques, depuis l’émergence du débat, dans les années 90, sans pour autant que la réalité vienne confirmer ces affirmations (pour rappel, les études d’impacts socio-économiques sont controversées, certains pensant même qu’elles sont irréalisables) et qui est loin de convaincre comme nous allons le voir.

Concrètement, l’entreprise a annoncé « prévoir de mettre en cultures [ces eucalyptus GM] dans ses seuls terrains de plantations » mais en envisageant « de travailler avec des producteurs » [8]. Et elle entend mettre au point d’autres caractéristiques d’eucalyptus transgéniques : résistance à des parasites, tolérance à l’aluminium pour les cultiver dans des zones contaminées (en lien avec l’Embrapa, l’Inra brésilien) ou encore, utilisation plus efficace de l’azote (en lien avec Arcadia Biosciences).

Actuellement, les deux arbres qui sont les plus mobilisés par Suzano dans le cadre de travaux de transgenèse sont l’eucalyptus et le peuplier, en vue de mise en culture au Brésil mais également en Chine [9].

Une évaluation dénoncée par certaines ONG et ministères brésiliens

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Si l’opposition aux OGM et aux eucalyptus GM n’est pas récente, une audition publique organisée par la CTNBio en septembre 2014 a permis de synthétiser les points controversés de la demande d’autorisation déposée par FuturaGene. L’association Greenpeace [10] rapporte que les lacunes dans l’évaluation des risques, n’ont pas été dénoncées exclusivement par la société civile. Ainsi, le ministère brésilien de l’Environnement a souligné l’absence d’études d’impacts à long terme et a rappelé que la Convention sur la Diversité Biologique recommande la prudence concernant les arbres génétiquement modifiés. Cette critique fait écho à Greenpeace qui rappelle que « les arbres vivent plus longtemps [que les maïs, colza, sojas…] et sont partie intégrante de la chaîne alimentaire naturelle et des écosystèmes complexes, et [les arbres GM] représentent donc une menace environnementale sur le long terme pour les écosystèmes ». Le ministère brésilien du Développement agraire a, de son côté, souligné les lacunes des évaluations d’impacts nutritionnels de ces eucalyptus sur le miel produit par les abeilles ayant butiné leurs fleurs, lacunes dues au fait que l’entreprise a conduit ces évaluations « sur cinq ruches en un seul endroit » et alors même que 25 % de la production de miel au Brésil vient d’eucalyptus. Il a également été souligné que l’entreprise n’a conduit aucun test de toxicité ou d’allergénicité sur le pollen de cet eucalyptus transgénique. L’Association brésilienne des exportateurs de miel s’est déclarée inquiète du fait que ces eucalyptus GM ne soient autorisés nulle part ailleurs, exposant leurs exportations à des restrictions potentielles. Enfin, le World RainForest Movement (WRM) souligne qu’au cours des dernières décennies, les eucalyptus cultivés industriellement ont eu un rendement augmenté de 60 % depuis les années 80, passant de 27 m3/ha/an à 44 m3/ha/an [11]. Et cette même organisation de dénoncer le bénéfice environnemental supposé de ces arbres GM, présentés par Suzano comme permettant d’utiliser moins de terre, car « une meilleure productivité a donné aux entreprises un tel avantage qu’elles ont étendu leurs plantations encore et encore, augmentant leurs profits ». Une augmentation de surfaces qui, se faisant au dépend des communautés locales, a conduit à plusieurs conflits comme le rappelle le WRM.

Mais ces critiques n’ont pas été retenues par la CTNBio, qu’elles émanent d’organisations de la société civile ou de ministères. Mais comment une autorisation peut être donnée alors que des ministères soulignent des lacunes d’évaluation ? Ce paradoxe brésilien s’explique par la loi de biosécurité de 2005 qui rend de fait la CTNBio seule décisionnaire finale, pas le gouvernement [12].

Une société civile très mobilisée

La contestation contre ces arbres est une longue histoire. Sans remonter aux origines du mouvement, notons qu’en novembre 2014, une conférence au Paraguay avait réuni scientifiques, forestiers, agronomes et peuples indigènes. Cette réunion avait accouché de la déclaration d’Asunción qui demandaient explicitement le rejet de ces eucalyptus GM. La contestation s’est ensuite accélérée.

En mars 2015, de nombreuses manifestations avaient eu lieu devant les consulats et ambassades brésiliennes de plusieurs pays pour demander le rejet de l’autorisation [13]. Le 5 mars plus de trois cents paysans membres de la Via Campesina avaient manifesté à Brasilia devant le siège de la CTNBio : la manifestation avait réussi à interrompre la séance de la CTNBio qui devait alors discuter de la décision finale d’autoriser ou non ces eucalyptus GM. En parallèle, un millier de femmes du mouvement des travailleurs sans terre (MST) avaient occupé un site de FuturaGene pour dénoncer « un modèle d’agribusiness mortel [et] défendre un modèle de vie, une souveraineté alimentaire et une réforme agraire ». Aujourd’hui, les organisations brésiliennes pensent contester en justice la décision d’autorisation, qui selon elles violerait la législation brésilienne sur la biosécurité [14].

Des eucalyptus GM bientôt aussi aux États-Unis ?

Aux États-Unis, c’est l’entreprise ArborGen qui a déposé, en 2011, une demande de dérégulation pour des eucalyptus GM. Mais cette fois, il n’est pas question de croissance plus rapide mais de résistance au froid [15]. Publiée au journal officiel en février 2013, cette demande de dérégulation concerne deux lignées : FT427 et FT435. Mais sur son site Internet, ArborGen ne mentionne plus que la première lignée [16]. Après vérification, ce sont bien les deux lignées qui sont l’objet de la demande de dérégulation, ArborGen nous précisant que « lorsque nous avons rempli la demande, nous avons inclus les deux meilleures lignées développées, mais AGEH427 [FT427] a eu les meilleures performances dans le temps et est donc devenue notre principal candidat pour la commercialisation ». Cette demande de dérégulation, si elle devait aboutir favorablement pour ArborGen, irait à l’encontre de l’opinion publique étasunienne, comme l’avait montré la consultation publique organisée en 2013 par le ministère de l’agriculture qui avait permis de constater que « 99,99% des commentaires reçus par l’USDA expriment un rejet de cette culture, jugée trop risquée d’un point de vue environnemental et économiquement inintéressante » [17].

[6Communiqué de presse de FuturaGene, 9 avril 2015, http://www.futuragene.com/FuturaGene-eucalyptus-approved-for-commercial-use.pdf

[9cf. note 8

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