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Convention sur la diversité biologique : nouveaux OGM en débat

Par Eric MEUNIER

Publié le 08/11/2017, modifié le 01/12/2023

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Les États signataires de la Convention sur la diversité biologique (CDB) discutent actuellement de la définition de la biologie synthétique [1]. L’occasion pour les entreprises d’argumenter à nouveau que les nouvelles techniques de modifications génétiques, couvertes par la définition potentielle de la biologie synthétique, ne donnent pas des OGM. Analyse de leurs arguments.

La question du statut juridique des produits obtenus par de nouvelles techniques de modification du génome agite toutes les instances. Nous avons parlé des débats dans l’Union européenne [2] [3] et aux États-Unis [4] mais ces débats ont aussi lieu au sein d’instances internationales telles que la FAO, l’OCDE, le Codex Alimentarius (sous la double tutelle de l’OMS et de la FAO) ou la Convention sur la diversité biologique (CDB).

La Convention sur la diversité biologique définit les OGM

Adoptée en 1992 lors du Sommet de la Terre [5], la Convention sur la diversité biologique est un instrument juridique international visant à garantir la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique [6]. Au sein de cette convention, le Protocole de Cartagena a été adopté pour traiter spécifiquement de la question des organismes vivants modifiés (OVM, un sous-ensemble des OGM) définis comme « tout organisme vivant possédant une combinaison de matériel génétique inédite obtenue par recours à la biotechnologie moderne [elle-même définie comme notamment] l’application de techniques in vitro aux acides nucléiques [… qui] surmontent les barrières naturelles de la physiologie de la reproduction ou de la recombinaison et qui ne sont pas des techniques utilisées pour la reproduction et la sélection de type classique » [7]. De fait, cette définition s’applique donc à toutes techniques faisant appel aux cultures in vitro de cellules végétales ou animales. Ces cellules végétales ou animales ne survivent en effet pas et ne se multiplient pas naturellement dès lors qu’elles sont isolées de tout tissu végétal ou animal. Les multiplier in vitro constitue donc un franchissement des barrières naturelles de la physiologie de la reproduction. Une définition qui constitue un sacré caillou dans la chaussure des acteurs souhaitant que les produits issus des nouvelles techniques de modification du génome ne soient pas considérés comme des OGM. D’autant que cette définition s’impose, de fait, à tous les pays ayant ratifié le Protocole (dont l’Union européenne) et, en conséquence, à leurs partenaires commerciaux (dont les États-Unis).

La biologie synthétique donne-t-elle des OGM ?

Quand on parle de biologie synthétique, on a l’habitude de penser à une bactérie créée synthétiquement, à un code génétique composé de bases n’existant pas naturellement ou à la création de nouvelles voies métaboliques dans un organisme. Mais, de fait, aucune définition consensuelle n’existe, comme le montrait en 2009, le journal Nature Biotechnology [8]. Le législateur n’aimant pas trop discuter de domaine non défini, il a souhaité s’atteler à cette tâche.

En 2014, en Corée du Sud, les pays signataires de la CDB décidaient donc de constituer un groupe spécial d’experts composé de représentants des gouvernements signataires de la Convention, de représentants des communautés autochtones et locales et de toutes « parties prenantes concernées ». Sa mission ? « Établir une définition opérationnelle de la biologie synthétique ». Mais ne pouvant ignorer que le Protocole existe et qu’il définit les OVM, les pays ont également demandé au groupe de travail de fournir une analyse permettant d’établir « si les organismes vivants modifiés dérivés de la biologie synthétique relèvent du champ d’application du Protocole de Carthagène » [9]. Le groupe de travail a donc planché sur ce sujet, appuyé par un forum électronique auquel pouvait participer toute personne intéressée.

En 2016, une proposition de définition est fournie par le groupe de travail et discutée au Mexique lors d’une réunion des gouvernements signataires de la CDB. La biologie synthétique est présentée comme « un développement ultérieur et une nouvelle dimension de la biotechnologie moderne qui combine la science, la technologie et l’ingénierie pour faciliter et accélérer la compréhension, la conception, la restructuration, la fabrication et/ou la modification de matériel génétique, d’organismes vivants et de systèmes biologiques » [10], assez proche de la proposition discutée au sein de l’Union européenne [11]. Une définition qui, adoptée, aurait pour conséquence directe que tout OGM appartienne donc au domaine de la biologie synthétique. Mais cela ne convient pas aux acteurs souhaitant voir les produits issus des nouvelles techniques échapper à la règlementation OGM. Alors même qu’ils argumentent que ces produits ne doivent pas être soumis aux législations OGM, il ne faudrait pas qu’ils soient reconnus comme issus de biologie synthétique…

Comment faire d’un risque une opportunité

Et ce risque pourrait bien avoir été pris en compte car, si dans sa proposition de définition [12], le groupe spécial affirmait que « les organismes vivants issus des applications actuelles et futures de la biologie synthétique sont semblables aux organismes vivants modifiés tels que définis dans le Protocole de Cartagena », il relativisait cette position dès la phrase suivante en indiquant que, concernant certains futurs organismes obtenus par biologie synthétique semblables donc aux OVM, il existe un flou quant à savoir s’ils sont couverts par… « la définition des OVM telle que fournie par le Protocole de Cartagena » ! Reprenant ce doute, les pays signataires de la convention réunis au Mexique en décembre 2016 ont prorogé le mandat du groupe de travail (et du forum en ligne) pour qu’il identifie « tous les organismes vivants déjà créés, ou qui font actuellement l’objet de recherche et de développement, au moyen des techniques de la biologie synthétique qui ne relèvent pas de la définition d’organismes vivants modifiés au titre du Protocole de Cartagena ». Un mandat qui couvre donc à la fois les futurs organismes obtenus par biologie synthétique pour lesquels existerait un doute selon le groupe de travail, mais également ceux déjà créés pour lesquels le groupe de travail n’a fait part d’aucun doute !

La réponse est attendue pour décembre 2017 avec une réunion du groupe de travail au Canada [13]. Mais le forum en ligne vient lui de terminer et une synthèse des 32 commentaires reçus principalement en provenance d’individus mais également d’organisations (ONG, entreprises, universités) a été publiée ainsi que les contributions elles-mêmes [14]. Et sans surprise, si « il y a un accord général pour dire que la plupart – sinon tous – des organismes vivants développés ou en cours de développement par des techniques de biologie synthétique sont couverts par la définition des OVM selon le Protocole de Cartagena », il y a des désaccords concernant les produits obtenus par des techniques de modification génétique.

Pour certains contributeurs, de tels produits sont couverts par la définition des OVM du Protocole puisque obtenus par l’utilisation de biotechnologie moderne pour produire des organismes ayant une nouvelle combinaison de matériel génétique. Pour d’autres, de tels organismes ne doivent pas être considérés comme OVM car pouvant également être obtenus par des techniques d’amélioration végétale traditionnelles. Et certains participants en profitent pour essayer d’exclure la cisgénèse de la définition des OVM puisque ne surmontant pas, selon eux, « les barrières naturelles de la physiologie de la reproduction ou de la recombinaison », critère transversal du Protocole de Cartagena (une position étonnante si on considère que la technique est mise en œuvre sur cultures cellulaires in vitro !).

De son côté, l’entreprise Bayer (qui est en train de racheter Monsanto) a fourni une contribution succincte mais parlante quant à sa stratégie. Pour elle, les techniques de modification du génome ne sont pas de la biologie synthétique en tant que telle mais de nouveaux outils à la disposition des sélectionneurs. Surtout, l’entreprise explique que la question de la définition juridique doit être examinée avec la question des risques associés, rappelant malicieusement que le Protocole de Carthagène s’applique « aux mouvements transfrontières, au transit, à la manipulation et à l’utilisation de tout organisme vivant modifié qui pourrait avoir des effets défavorables sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique, compte tenu également des risques pour la santé humaine ». Pour Bayer, tous les OVM ne sont donc pas concernés par le Protocole puisque « il faut une évaluation du risque montrant qu’ils pourraient “avoir des effets défavorables sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique” ». L’entreprise amalgame autorisation commerciale et absence de risque. Or, l’Union européenne, par exemple, dispose de plans de surveillance de l’environnement après commercialisation pour surveiller… les risques ! Bayer semble en tout cas plus préoccupée par le statut juridique des produits issus des nouvelles techniques de modification génétique que par la biologie synthétique. Une préoccupation que l’on retrouve dans la position de la Coalition Global des Industries (GIC) qui a adressé sa contribution directement au Secrétariat de la CDB [15] dans laquelle est clairement stipulé que « cette contribution focalise en premier lieu sur [les OVM] puisqu’ils sont le sujet prédominant des discussions ». Et d’argumenter au fil des pages sur les « bénéfices environnementaux » liés aux produits issus des biotechnologies ou sur l’inutilité d’un encadrement juridique international spécifique aux produits issus de biologie synthétique du fait des législations internationales, nationales et/ou régionales existantes et qui s’occupent de biotechnologie, des OGM, de sécurité sanitaire, environnementale… et qui seraient déjà adaptées pour gérer les produits de biologie synthétique.

Pour les États-Unis, de nouvelles réglementations sont inutiles

Un rappel des législations existantes que l’on retrouve également dans la position des États-Unis [16] et plus particulièrement dans leur opinion concernant les « Règlementations, politiques et lignes directrices existantes ou en cours d’élaboration qui sont pertinentes pour la biologie synthétique ». Les États-Unis expliquent que de nouveaux cadres internationaux sont inutiles au vu de ceux existants : le Codex Alimentarius, la Convention Internationale pour la protection des végétaux (CIPV), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Un rappel qui suggère que la Convention n’est pas la seule instance à faire force de loi, d’autant que les États-Unis expliquent ensuite, dans une formule toute en sous-entendus, qu’il « est de la responsabilité de chaque pays de déterminer, en accord avec ses obligations internationales, comment encadrer les organismes, composants ou produits obtenus par ingénierie biologique, dont la biologie synthétique »… Et d’affirmer que Codex Alimentarius et OCDE ne prennent pas en considération la technique utilisée mais seulement la nature du produit et son utilisation envisagée. Or, Codex Alimentarius et OCDE, comme l’a déjà indiqué Inf’OGM, prennent justement en compte la technique utilisée et non le seul produit final [17], le Codex Alimentarius reprenant même textuellement la définition du Protocole de Carthagène…

Les discussions quant au statut juridique international continuent donc au sein de la Convention sur la diversité biologique. Prochaine réunion du groupe de travail : du 5 au 8 décembre 2017 à Montréal. Une réunion importante puisqu’elle devrait aboutir à des recommandations pour la prochaine réunion de la Convention sur la diversité biologique annoncée, elle, du 10 au 22 novembre 2018 en Égypte. L’occasion de voir plus avant si la définition même de biotechnologie moderne fera l’objet de modification… ou pas.

[1Si Inf’OGM a pris l’habitude de parler de biologie de synthèse, les documents de la Convention sur la diversité biologique parlent, eux, de biologie synthétique. Ce vocable est conservé dans cet article pour ne pas créer de confusion entre le texte de l’article d’Inf’OGM et les citations de la Convention.

[5Le Sommet de la Terre de Rio est le surnom attribué à la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement de 1992.

[7http://bch.cbd.int/protocol et plus particulièrement les articles 3g et 3i.

[8« What’s in a name ? », Nature Biotechnology 27, 1071 – 1073 (2009).

[9Douzième réunion Pyeongchang (République de Corée), 13-17 octobre 2014, Point 24 de l’ordre du jour, Décision adoptée par la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique XII/24. Questions nouvelles et émergentes : biologie synthétique.

[10Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique, Treizième réunion, Cancun, Mexique, 4-17 décembre 2016, Point 17 de l’ordre du jour, Décision adoptée par la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique XIII/17. Biologie synthétique.

[11Mandatés par la Commission européenne, trois comités d’experts ont proposé en 2014 de définir la biologie synthétique comme « l’utilisation de la science, de la technologie et de l’ingénierie pour faciliter et accélérer la conception, la fabrication et/ou la modification des matériels génétiques des organismes vivants », http://ec.europa.eu/health/scientific_committees/emerging/docs/scenihr_o_044.pdf

[12Meeting of the Ad Hoc Technical Expert Group on Synthetic Biology, 21 – 25 September 2015 – Montreal, Canada.

[13Meeting of the Ad Hoc Technical Expert Group on Synthetic Biology, 5 – 8 December 2017 – Montreal, Canada.

[15Global Industry Coalition

Submission of Information on Synthetic Biology, 16-June-2017

[16Outre le forum électronique, toute partie à la convention ou organisation « pertinente » peut soumettre directement au Secrétariat de la Convention une contribution rendue publique : http://bch.cbd.int/synbio/submissions/2017-2018.shtml. Ce qu’a fait le GIC, comme nous l’avons vu, ou la France qui a adressé l’avis du Haut Conseil des Biotechnologies sur les moustiques GM.

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