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États-Unis : à nouveaux OGM, nouvelle définition

Par Charlotte KRINKE, Eric MEUNIER

Publié le 10/04/2017

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Pour la première fois depuis 1986, les États-Unis débattent d’un possible changement de la définition d’un OGM. Faisant écho au débat actuellement en cours dans l’Union européenne, trois ministères sont engagés dans une « modernisation » du cadre législatif actuel du fait de l’arrivée des nouvelles techniques de modification génétique. L’occasion pour le ministère de l’Agriculture de proposer une nouvelle définition d’un OGM, plus restrictive qu’aujourd’hui.

En 2015, l’administration étasunienne a engagé une révision de l’encadrement législatif « des produits issus des biotechnologies » [1]. Les ministères de l’Agriculture (USDA), de l’Environnement (EPA) et de l’Alimentation (FDA) devaient clarifier les rôles et responsabilités de chacun et proposer une stratégie pérenne d’évaluation des risques liés aux futurs produits issus des biotechnologies. Début 2017, deux des trois ministères, Agriculture et Environnement, ont soumis à la consultation publique plusieurs de leurs propositions. Ainsi le ministère de l’Agriculture souhaite connaître l’opinion des citoyens sur le changement de la définition même d’un OGM (consultation qui se terminera le 19 juin 2017 [2]). Une proposition sur laquelle Inf’OGM revient dans cet article puisqu’elle est à la base de l’ensemble du système qui pourra être mis en place demain dans ce pays.

OGM : trois ministères concernés

Aux États-Unis, il n’existe pas de loi fédérale spécifiquement applicable aux OGM, juste un cadre fédéral coordonné (voir ci-dessous). Ces derniers relèvent, tout comme les produits non OGM, de la législation de droit commun relative à la santé, la sécurité, ou l’environnement [3]. Cette absence de loi spéciale applicable aux OGM explique pourquoi plusieurs ministères fédéraux interviennent, chacun dans le cadre de son domaine de compétences.

Les produits issus des biotechnologies sont en effet encadrés depuis 1986 par le Cadre fédéral coordonné pour la réglementation des biotechnologies (Coordinated Federal Framework for Regulation of Biotechnology). Ce cadre désigne trois ministères compétents sur le dossier OGM : le ministère de l’Agriculture pour la culture de plantes génétiquement modifiées (PGM) (sur une surface supérieure à quatre hectares) à l’exception de celles ayant un agent protecteur incorporé comme une protéine insecticide (Plant Incorporated Protectants – dits PIP), le ministère de l’Environnement pour la culture des PIP et les animaux et micro-organismes GM et enfin le ministère de l’Alimentation pour les OGM destinés à l’alimentation humaine et animale.

Afin de bien comprendre cette proposition de modification, revenons sur les définitions actuelles en vigueur. Ainsi pour l’USDA, les OGM sont des organismes obtenus par ingénierie génétique qui consiste elle-même en « la modification génétique d’organismes par des techniques d’ADN recombinant » [4]. Sur cette base, l’USDA par exemple considère qu’un OGM doit être régulé dans les cas où « l’organisme donneur, l’organisme receveur ou le vecteur […] appartiennent à un genre ou taxon […] qui répond à la définition d’un parasite végétal ou s’il s’agit d’un organisme non classé » [5]. En fonction du cas de figure, l’USDA demandera donc de réguler ou de déréguler l’OGM en question.

Nouvelles techniques, nouvelle définition, et nouvelles exclusions

En janvier 2017, l’USDA a donc soumis au public une proposition de modifications des règles concernant la gestion des OGM [6] parmi lesquelles se trouve une pierre angulaire de tout le reste : la modification de la définition d’un OGM et des techniques donnant des OGM (regroupées sous le nom d’ingénierie génétique). Ainsi, selon la nouvelle définition proposée par l’USDA, l’ingénierie génétique serait une famille de « techniques utilisant des acides nucléiques recombinant ou synthétiques dans l’intention de créer ou altérer un génome ».

Premièrement, cette définition introduit le critère d’intentionnalité, qui n’est pas présent dans la définition actuelle. Deuxièmement, la définition proposée est plus restrictive dans la mesure où elle remplace la référence à des « techniques d’ADN recombinant » par « l’utilisation des acides nucléiques recombinant ou synthétique  » (voir l’encadré ci-dessous).

Et les propositions qui suivent cachent mal la volonté de l’USDA de moins encadrer les produits obtenus par biotechnologie. Car son approche consiste à élargir considérablement le champ des exclusions.

Seraient ainsi exclues de cette définition, d’une part les techniques « traditionnelles d’amélioration (incluant, mais pas de manière limitative, l’amélioration assistée par marqueurs et la mutagénèse chimique ou par irradiation, de même que la culture de tissus et de protoplastes, de cellules ou la fusion d’embryons) » [7]. Et d’autre part, les organismes « qui auraient pu être produits par l’amélioration traditionnelle ». L’USDA précise que ne seraient pas des OGM les organismes qui ont subi une modification génétique consistant en « une délétion de quelque taille que ce soit ou une substitution de paires de base qui pourraient être obtenues par l’utilisation de mutagénèse chimique ou par irradiation ;[… ou en l’introduction] de séquences d’acides nucléiques existant dans la nature en provenance d’une espèce sexuellement compatible qui pourrait également être croisée avec l’organisme receveur et produire une descendance viable par amélioration traditionnelle (incluant, mais pas de manière limitative, l’amélioration assistée par marqueurs et la mutagénèse chimique ou par irradiation, de même que la culture de tissus et de protoplastes, de cellules ou la fusion d’embryons) ».

L’USDA suppose que les organismes obtenus par les techniques d’ingénierie génétique et ceux obtenus par les techniques traditionnelles d’amélioration ou par mutagénèse chimique / par irradiation peuvent « avoir de petites différences génétiques [mais que ces différences] ne sont pas observables phénotypiquement et peuvent avoir lieu naturellement » (Inf’OGM rappelle que les effets peuvent également être épigénétiques et non génétiques et que la toxicité chronique d’un aliment par exemple n’est pas, la plupart du temps, une caractéristique « observable phénotypiquement »). Enfin, troisième exclusion : les organismes descendant d’OGM mais n’ayant plus de trace de l’ADN inséré sont également exclus de la nouvelle définition des produits issus de l’ingénierie génétique, et par conséquent, de la réglementation applicable.

Il est intéressant de noter qu’entre 2016 et 2017, l’USDA a changé sa proposition de modification de définition. Comme il le rappelle dans son document publié début janvier 2017 [8]), le ministère proposait l’année dernière que les produits régulés soient définis comme « les organismes obtenus par utilisation de biotechnologie et présentant des risques phytosanitaires ou de végétaux nuisibles ». Et d’ajouter que le terme biotechnologie se définit comme « techniques de laboratoire créant ou modifiant un génome et résultant en un organisme viable possédant un phénotype volontairement altéré. Des telles techniques incluent, mais ne sont pas limitées à, la délétion de fragments spécifiques du génome, l’addition de segments au génome, la modification ciblée du génome, la création de génome additionnel ou l’injection directe et la fusion cellulaire au-delà de la famille taxonomique qui surpasse les barrières physiologiques naturelles de la reproduction et de la recombinaison […] Cette définition n’inclut pas l’amélioration traditionnelle, l’amélioration assistée par marqueurs ou la mutagénèse chimique ou par irradiation ».

Mais la définition proposée en 2016 avait été commentée négativement. Comme le rapporte l’USDA, un certain nombre de parties prenantes « ont exprimé leurs craintes quant à la définition proposée pour la biotechnologie. Ils ont rappelé que l’amélioration traditionnelle utilise certaines techniques de laboratoire, comme la culture de tissus ou le sauvetage embryonnaire, pour créer ou modifier un génome et que la mutagénèse par irradiation qui modifie le génome est souvent mise en œuvre en laboratoire. Les parties prenantes ont souligné leur inquiétude que cette définition puisse donner lieu à une confusion croissante pour ce qui est de savoir quelles techniques de laboratoire modifiant le génome sont considérées comme biotechnologie et quelles techniques ne le sont pas ». Et pour cause…

Une nouvelle définition… illégale ?

La confusion que craignent certaines parties prenantes aux États-Unis n’existe pas au niveau international ou européen. Le protocole de Cartagena définit les organismes vivants modifiés (OVM) comme étant issus de « l’application de techniques in vitro aux acides nucléiques » [9]. La Commission du Codex alimentarius, un organe des Nations-Unis de référence en cas de différends à l’OMC, dispose de deux textes de référence ayant trait aux « aliments (pour l’humain) issus des biotechnologies modernes » [10] et aux « aliments (pour l’humain) issus des plantes à ADN recombinant [11] ». Ces deux textes reprennent la définition du Protocole de Cartagena puisque dans les deux cas, le matériel génétique a été modifié par application « de techniques in vitro aux acides nucléiques, y compris la recombinaison de l’acide désoxyribonucléique (ADN) et l’introduction directe d’acides nucléiques dans les cellules ou les organites ».

L’OCDE de son côté énonce simplement, dans une définition de 1997, que les OGM sont « des plantes, animaux, micro-organismes ou virus ayant été modifiés […] génétiquement », l’OCDE précisant que l’ingénierie génétique consiste en un « procédé d’insertion d’une nouvelle information génétique dans une cellule avec pour objectif de modifier une des caractéristiques de l’organisme » [12].

Dès lors que le cadre législatif international définit les OGM comme des organismes issus de techniques de modification génétique mises en œuvre in vitro de manière générale, sans les limiter à l’insertion de matériel génétique, comment comprendre cette proposition du ministère de l’Agriculture ? Sa définition restreint en effet de facto le champ des organismes définis comme OGM et mettrait les États-Unis en porte-à-faux avec la législation internationale. On rappelle en effet que si les États-Unis ne sont pas parties au Protocole de Cartagena et ne sont donc pas soumis à ses obligations, la définition que ce dernier donne des OGM est reprise dans divers instruments internationaux non juridiquement contraignants (lignes directrices de l’OCDE et du Codex alimentarius) qui servent de référence dans le cadre de l’OMC [13].

L’adoption de cette définition restrictive d’un OGM mettrait par ailleurs les États-Unis en porte-à-faux avec la législation d’un des principaux partenaires commerciaux : l’Union européenne. Un porte-à-faux mal venu dans le cadre de la négociation du traité bilatéral avec l’Union européenne. Une telle proposition se comprend mieux si elle est vue comme une première étape nationale expliquant le lobby en cours que les États-Unis ont mis en place vis-à-vis de l’Union européenne [14].

Quelle définition de l’ADN recombinant ?


Cela n’a l’air de rien bien évidemment, mais c’est fondamental. Car le débat actuel sur les nouvelles techniques fait apparaître une lecture restrictive des législations, notamment européenne, promue par les entreprises : les techniques à ADN recombinant se réduiraient à l’introduction d’acide nucléique dans la cellule pour que cet acide nucléique recombine avec le génome afin d’y demeurer de manière stable. Une approche qui ne cadre pas avec la définition fournie par le Codex alimentarius d’une part et l’interprétation à avoir de la législation actuellement en cours aux États-Unis à bien lire le ministère de l’Agriculture de ce pays, d’autre part.

Selon le Codex, comme nous l’avons vu, une plante modifiée par un ADN recombinant est « une plante dans laquelle le matériel génétique a été modifié au moyen de techniques de manipulation in vitro des acides nucléiques, y compris la recombinaison de l’acide désoxyribonucléique (ADN) et l’introduction directe d’acides nucléiques dans les cellules ou les organites ». Le « y compris » indique clairement que la recombinaison d’un ADN (insertion stable) introduit n’est pas le seul cas de figure de techniques à ADN recombinant. Le cadre général est bien celui de modifications du génome provoquées par application de « techniques in vitro aux acides nucléiques ». Et en constatant la similarité des deux définitions utilisées par le Codex concernant d’une part la biotechnologie moderne et d’autre part, les plantes à ADN recombinant (cf. paragraphe « Une nouvelle définition… illégale ? »), on constate que pour le Codex, les plantes à ADN recombinant équivalent aux plantes obtenues par biotechnologie moderne.

Du côté du ministère étasunien de l’Agriculture, la définition est fournie en creux. Il propose en effet, également de remplacer la définition actuelle du génie génétique (« la modification génétique des organismes par des techniques d’ADN recombinant ») par la définition suivante : « techniques qui utilisent des acides nucléiques recombinants ou synthétiques dans l’intention de créer ou de modifier un génome ». Parler d’utiliser des « acides nucléiques recombinants » n’est pas la même chose que parler de « techniques d’ADN recombinant ». Et si le ministère considère qu’une telle précision est nécessaire, c’est bel et bien que la définition actuelle ne lui convient pas, très probablement car trop large puisque embrassant toutes les techniques mises en œuvre in vitro comme le définit le Codex.

[2Federal Register/Vol. 82, No. 12, Thursday, January 19, 2017, Proposed Rules, Department of agriculture, Animal and Plant Health Inspection Service, 7 CFR Part 340 [Docket No. APHIS–2015–0057] RIN 0579–AE1.

[3Un certain nombre de facteurs détermine quelle législation sera applicable à l’OGM ou au produit qui en est dérivé : nature de l’organisme – plante, animal ou micro-organisme – usages envisagés, nature du dommage potentiel, stade de développement – laboratoire, prêt pour un essai en champ, prêt à être commercialisé.

[4USDA, Code des réglementations fédérales « 7 CFR Part340 », partie 1 Définitions

[5Selon la définition actuelle, le parasite végétal correspond à « tout stade d’insectes, mites, nématodes, limaces, escargots, protozoaires, ou autres animaux invertébrés, bactéries, champignons, autres plantes parasites ou parties reproductives de ces plantes ; virus ; […] ou tout agent ou substance infectieux qui peut directement ou indirectement nuire ou causer une maladie ou un dommage dans ou à toute plante ou partie de plante, ou à tout produit de plante transformé, manufacturé ou autre ».

[6Federal Register/Vol. 82, No.12.

[7Si l’USDA propose in fine cette définition, on notera que dans son document, elle oscille entre deux constructions syntaxiques : celle conduisant à différencier la mutagénèse chimique ou par irradiation des techniques traditionnelles d’amélioration ; et celle conduisant à considérer cette mutagénèse comme une technique traditionnelle d’amélioration

[8USDA, Code des réglementations fédérales, page 7029

[9Protocole de Cartagena, article 3 point g) et i).

[10CAC/GL 44-2003, modifiée en 2011.

[11CAC/GL 45-2003, modifiée en 2008.

[12Agricultural Policies in OECD Countries : Monitoring and Evaluation 2000 : Glossary of Agricultural Policy Terms, OECD et Glossary of Environment Statistics, Studies in Methods, Series F, No. 67, United Nations, New York, 1997.

[13C’est le cas en particulier de l’accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, qui rend obligatoire le recours aux normes du Codex alimentarius pour l’établissement de normes en matière sanitaire ou phytosanitaire régissant l’importation ou l’exportation de denrées alimentaires.

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