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UE – Les entreprises, nouvelles interlocutrices des États membres pour la culture de leurs OGM ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 02/06/2014

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Comment interdire les plantes génétiquement modifiées (PGM) sur son territoire national ? Quatre ans après une première proposition de la Commission européenne, la discussion continue sur une troisième procédure présentée comme complémentaire des deux existantes (clauses de sauvegarde et mesures d’urgence). La présidence grecque avait annoncé en janvier 2014 que ce débat serait tranché avant la fin de son mandat. Elle a soumis aux autres États membres une nouvelle proposition… qui reprend la proposition d’une précédente présidence, celle du Danemark : chaque État membre pourrait négocier, dans un premier temps, avec l’entreprise qui désire commercialiser son OGM, l’exclusion de son territoire de la demande d’autorisation [1]. Le pays pourra néanmoins passer outre le possible refus de l’entreprise mais via une procédure jugée fragile juridiquement. Un vote avec discussion orale est prévu lors de la réunion du Conseil des ministres de l’environnement, le 12 juin 2014. Cependant, ce vote ne mettra pas un point final sur ce débat. Le Parlement et la Commission devront, à leur tour, eux aussi, se prononcer sur cette proposition de décision.

Vendredi 2 mai, les États membres ont continué leurs discussions en vue d’une potentielle décision finale courant juin [2]. Le 29 avril, Stéphane Le Foll expliquait que l’objectif de la France est « qu’un accord soit trouvé avant la fin de la présidence grecque » [3]. De son côté, Ségolène Royal annonçait le 26 avril qu’elle allait proposer « au nom de la France, au mois de juin, des améliorations au projet de directive pour offrir aux États membres toute la sécurité juridique nécessaire pour l’interdiction des OGM sur les territoires et pour renforcer leur évaluation environnementale » [4].

Les entreprises intègrent la procédure d’autorisation

La proposition discutée modifierait substantiellement la procédure d’autorisation. Elle vise en effet à introduire dans le droit européen l’obligation, pour un État membre qui souhaite interdire la mise en culture d’une PGM, de négocier avec l’entreprise qui a déposé une demande d’autorisation : soit l’État obtient de l’entreprise que l’autorisation en discussion ne concerne pas son territoire, soit, en cas de refus de l’entreprise et une fois l’autorisation donnée (si tel est le cas), l’État aura la possibilité d’interdire nationalement cette culture sur la base de considérations socio-économiques, éthiques ou autres. A noter qu’il ne s’agit ni d’une clause de sauvegarde, ni d’une mesure d’urgence, qui, elles, se fondent sur des considérations sanitaires et environnementales. De fait, la négociation avec les entreprises revêt un caractère obligatoire en amont de l’autorisation si l’État membre veut prendre une décision d’interdiction. Certains États membres, dont la France, souhaitent que cette même procédure puisse être initiée également après que l’autorisation aura été donnée. Par ailleurs, la France souhaite que la Commission européenne joue le rôle d’intermédiaire entre un État membre et une entreprise « afin de limiter le caractère de négociation directe », nous a indiqué une source proche du dossier.

Dans la procédure d’autorisation actuelle, les entreprises sont déjà responsables de l’évaluation des risques liés à leur PGM. Avec cette proposition, elles deviendraient un acteur obligatoire des procédures d’interdiction nationale, les États devant les négocier avec elles.

Les Amis de la Terre dénoncent un recul législatif

Quelques jours avant la réunion du 2 mai, les Amis de la terre Europe qualifiaient ce texte de « calice empoisonné ». Pour cette association, outre la perte de souveraineté nationale que représente l’obligation de négociation, le texte est juridiquement faible et ouvrira ainsi la voie à de nombreux contentieux en justice portés par des États souhaitant défendre « leurs » entreprises. Car dans les faits, en cas de refus d’une entreprise d’accéder à la demande d’un pays d’être exclu de l’autorisation finale, ce pays pourra malgré tout décider une telle interdiction en se basant obligatoirement sur des arguments non scientifiques. Or, c’est justement le caractère non scientifique de ces arguments qui pose problème. L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) reconnaît, en effet, comme valides les seules décisions nationales basées sur des arguments scientifiques. Dès lors, avec cette procédure, des contentieux pourraient être initiés, qui se baseraient sur ce non respect des règles de l’OMC. Un constat, rappelle les Amis de la Terre Europe, porté par le service juridique du Conseil de l’Union européenne dès avril 2011 [5]

Pour l’association, ce texte est à l’opposé de celui adopté par le Parlement européen en juillet 2011 qui proposait, entre autres, d’abord de changer la base juridique du texte (actuellement l’article 114 du Traité européen instituant l’harmonisation du marché intérieur) pour le placer sous l’égide de l’article 192 du Traité européen traitant de la protection de l’environnement ; et ensuite de permettre le recours à des arguments environnementaux [6]. Les Amis de la Terre Europe demandent donc aux États membres de revenir sur leur décision et de retirer aux entreprises leur droit de négociation. L’association recommande qu’un rapprochement avec le texte du Parlement européen soit opéré et que l’évaluation des OGM soit renforcée.

Des situations rocambolesques à venir

Outre la place donnée aux entreprises et les incertitudes juridiques de la légalité de ces décisions nationales d’interdiction, le texte discuté pourrait conduire à des situations pour le moins paradoxales. Le succès d’une négociation entre un État et une entreprise n’enlèverait en effet pas à l’État son rôle dans le vote final sur les autorisations. Ainsi, à imaginer que la Hongrie obtienne d’une entreprise de ne pas mettre en culture sa PGM en instance d’autorisation, cette même Hongrie devra se prononcer lors de l’autorisation finale. Et on peut supposer qu’en toute logique, elle ne s’opposera pas à l’autorisation puisque ayant obtenu gain de cause : elle respecterait ainsi l’esprit du texte voulu par la Commission européenne en 2010 qui souhaitait trouver une solution aux abstentions systématiques du Conseil sur les demandes d’autorisation. Il lui restera dès lors à voter pour ou s’abstenir. Deux votes qui, du fait de la procédure de comitologie, reviennent au même : une autorisation. Les pays n’ayant pas obtenu gain de cause face aux entreprises perdront donc un allié dans le cadre d’un vote contre. Un morcellement de l’opposition aux OGM qui pourrait bien avoir été l’objectif initial des discussions sur ce texte…

Il est également possible que l’adoption d’une telle procédure d’autorisation fragilise à court ou moyen termes les clauses de sauvegarde ou mesures d’urgence existantes. Ces deux procédures permettent à un État membre d’interdire nationalement la commercialisation d’une PGM pour des raisons scientifiques (sanitaires et/ou environnementales). Pour les entreprises, le texte en discussion représenterait donc une troisième voie d’interdiction nationale d’une PGM. Mais ces dernières, à l’instar d’EuropaBio, demandent depuis longtemps que l’évaluation des risques soit conduite uniquement au niveau européen : il est donc possible que leur prochaine étape soit d’obtenir l’annulation des possibilités de clauses de sauvegarde ou mesures d’urgence. Certes, cela nécessiterait de modifier la législation européenne, mais l’on connaît la puissance des lobbies…

Le 12 juin, les États membres avaliseront-ils la proposition grecque ?

Le 28 mai 2014, les États membres de l’Union européenne ont discuté une dernière fois de la proposition grecque, au sein du Coreper (réunion de préparation des Conseils des ministres). S’ils sont tombés d’accord pour que les ministres de l’Environnement discutent de la proposition de règlement le 12 juin, la possibilité d’un accord politique n’est pas encore formellement connue avec certitude, même si le Conseil de l’Union européenne se dit  » assez confiant «  [7]. En effet, selon nos informations, tous les États membres ne se sont pas exprimés sur le sujet et d’autres ont fait savoir qu’ils devaient encore vérifier leur position. Enfin, la Belgique s’est, elle, abstenue. Il est à noter que pour le Conseil de l’Union européenne [8], le risque que cette nouvelle procédure supplante les clauses de sauvegarde et mesures d’urgence existantes n’existe pas car « elles couvrent des buts différents. Par ailleurs, les conditions de leur utilisation sont différentes. Il n’y a aucune obligation de se prévaloir de la nouvelle procédure avant d’adopter des mesures de co-existence ou de sauvegarde ».

De son côté, la Commission européenne a indiqué à Inf’OGM avoir «  participé très étroitement aux discussions entre États membres » et être « raisonnablement optimiste quant à un accord politique des ministres au Conseil Environnement » Les Amis de la Terre ou le groupe des eurodéputés verts dénoncent quant à eux « une proposition trompeuse » du fait de l’insécurité juridique qu’elle contient [9].

Le 12 juin, un accord politique des États membres sur ce texte sera suivi d’un travail de formalisation d’une position commune [10]. L’adoption de cette position commune sous présidence italienne du Conseil de l’Union européenne ouvrirait alors la voie à une seconde lecture du texte par le Parlement européen « dans le courant du second semestre » 2014, selon la Commission européenne.

[2Source Inf’OGM

[3Discours de Stéphane Le Foll, mardi 29 avril, lors d’un colloque du Haut Conseil des Biotechnologies

[7Source Inf’OGM

[8Source Inf’OGM

[10Les discussions lors du Conseil des ministres du 12 juin permettront à la Présidence grecque d’évaluer en cours de réunion si un accord politique se dégage ou non et s’il nécessite un vote. Un vote formel n’est donc pas forcément requis

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