n°121 - mars / avril 2013Fiche technique / Etat des lieux

Quel talen(t) ! Des nouvelles techniques pour modifier le génome des plantes

Par Eric MEUNIER

Publié le 05/03/2013

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Depuis janvier 2008, la Commission européenne cherche à déterminer si sept nouvelles techniques de biotechnologie [1] génèreront des plantes classées comme génétiquement modifiés (PGM) ou non. Bien que la réponse soit toujours attendue, le développement de nouvelles techniques, lui, ne s’est pas arrêté en chemin. L’émergence rapide de ces nouvelles techniques, comme les TALEN décrites dans cet article, creuse encore plus le décalage entre les techniques de laboratoire, la législation et le pouvoir de la société à les comprendre pour s’en saisir… ou les refuser.

Une nouvelle classe de protéine est de plus en plus utilisée en laboratoire pour modifier génétiquement divers organismes, comme des poissons, des vaches, des porcs, des plantes, ou les humains par une thérapie génique : les TALEN [2].

Les TALEN, nouveaux ciseaux de laboratoire

En 2009, des chercheurs ont découvert que les bactéries Xanthomonas – des parasites du riz – produisent des protéines, nommées TALE, capables de se lier à des séquences spécifiques de l’ADN du riz. Après avoir isolé et compris le fonctionnement de ces protéines, des chercheurs ont souhaité les utiliser en biotechnologie pour modifier des organismes vivants. Concrètement, ces protéines TALE peuvent se lier à des zones précises du génome d’un organisme. Si on leur adjoint une autre protéine, cette dernière peut alors remplir une fonction à l’emplacement ciblé par la première. Ainsi, si une nucléase (c’est-à-dire une protéine qui, comme un ciseau, coupe l’ADN) est collée en laboratoire à une protéine TALE, on obtient une nouvelle protéine, appelée TALEN (N pour nucléase), qui a la capacité de reconnaître une séquence spécifique du génome (grâce à la protéine TALE) et de la couper (grâce à la nucléase).

En pratique, les TALEN ne peuvent être introduites telles quelles dans les cellules pour y remplir leur fonction. Les techniciens injectent donc dans les cellules d’organismes dont on souhaite modifier le génome soit un plasmide (un ADN circulaire « indépendante » du génome) contenant la séquence codant la double protéine TALEN, soit un ARNm (une molécule qui fait l’intermédiaire entre l’ADN et les protéines). Dans les deux cas, c’est donc la cellule elle-même qui fabriquera la protéine TALEN qui remplira alors sa fonction de couper l’ADN. En effet, la cellule exécutera les instructions du plasmide ou de l’ARN et donc produira la double protéine TALEN. S’en suit la possibilité de modifier génétiquement le génome d’une plante. Cette modification peut être une mutation en laissant l’ADN se réparer seul avec des erreurs possibles ou en injectant également une séquence similaire à la séquence coupée à une modification près. Cela peut être une insertion de gène en injectant une construction contenant un gène d’une autre espèce (transgenèse) ou un gène de la même espèce (cisgenèse). Les TALEN peuvent également permettre de supprimer une séquence génétique si une coupure est effectuée de chaque côté de la séquence à enlever.

Avec les TALENs, le principe de modification du génome est donc le même qu’avec les nucléases à doigt de zinc déjà évoquées par Inf’OGM [3]. Cependant, les TALEN sont annoncées comme plus faciles à construire que les nucléases à doigt de zinc, moins chères et plus « efficaces ». Trois facteurs leur assurant un succès grandissant dans les laboratoires, malgré certains problèmes que nous allons détailler.

Des limites déjà observées

Trois principales limites sont évoquées. Premièrement, les protéines TALEN peuvent reconnaître d’autres séquences d’ADN que celles pour laquelle elles ont été fabriquées. Elles peuvent donc éventuellement s’accrocher sur – et donc couper – d’autres séquences d’ADN que celles ciblées. Deuxièmement, s’il est prévu que le plasmide soit perdu par la cellule après plusieurs divisions, il est difficile de le savoir précisément, posant donc le risque de modifications supplémentaires. Troisièmement, la construction génétique codant la protéine TALEN introduite par un plasmide sera potentiellement susceptible de réarrangements qui pourront modifier ou annuler le rôle de la protéine exprimée. Mais malgré ces problèmes, les entreprises ont d’ores et déjà ajouté ces protéines à leur liste de techniques utilisables en biotechnologie. On pourrait donc bientôt entendre parler des TALEN, ne serait-ce que parce que l’Union européenne devra un jour décider si les plantes modifiées par ces protéines sont des OGM ou non, à l’instar de la réflexion en cours pour les nucléases à doigt de zinc, méganucléases ou autres nouvelles techniques de biotechnologie.

Des protéines et une technique protégées (bientôt) par des brevets

Sans être titulaires de brevets, deux entreprises se partagent déjà le marché des TALEN. La première, Cellectis (une entreprise française qui a déjà fait parler d’elle sur les méganucléases [4]) commercialise des TALEN fabriquées sur demande. Elle a investi ce marché après avoir signé des accords avec l’université du Minnesota et celle d’Iowa, qui avaient toutes deux développé cet outil. En janvier 2011, Cellectis annonçait avoir « signé un accord de licence exclusif avec l’Université du Minnesota qui lui confère les droits d’utiliser les inventions liées à la reconnaissance et la coupure de l’ADN médiée par les TALE […] Cette licence exclusive conférée à Cellectis couvre toutes les utilisations de cette technologie dans tous les domaines » [5]. De même en octobre 2012, c’est avec l’université d’Iowa qu’un accord similaire était signé [6]. Ces accords ont été signés en anticipant la délivrance, aux Etats-Unis, d’un brevet aux deux universités dont la demande est toujours en cours [7]. Pour Life technologies, c’est avec un accord signé en juin 2011 avec des chercheurs allemands et la fondation Two Blades que le travail a démarré [8]. Cette fondation a également signé des accords avec d’autres entreprises comme Syngenta, Monsanto, Bayer CropScience, KWS et en décembre 2012, avec DuPont / Pioneer [9]. Les dirigeants de Two Blades ne sont pas novices dans le domaine des biotechnologies puisqu’on retrouve parmi eux un ancien président de Syngenta et des anciens responsables du laboratoire Sainsbury. Two Blades, qui écrit sur son site internet, être « le propriétaire exclusif d’une licence sur les utilisations commerciales des protéines TALE sur les plantes » a acquis cette propriété en signant un accord avec les chercheurs allemands, dont Jens Boch, ayant décodé le code des protéines TALE et qui ont également des demandes de brevet en cours aux Etats-Unis [10].

Ces revendications de propriété industrielle, tant par Cellectis que par Two Blades, ne sont pourtant pas source de conflit, comme nous l’a confirmé Cellectis. Une situation qui ne préjuge pas de ce qui pourrait advenir dans le futur, lorsque les brevets auront été délivrés. Selon Adam Bogdanove, un ancien de l’université d’Iowa, cosignataire de la demande de brevet déposée par l’université, « nous avons concentré nos efforts quant à la propriété intellectuelle sur l’utilisation des TALE pour effectuer des coupures spécifiques dans l’ADN » [11]. Alors que la demande de brevets signée par Jens Boch concerne le code utilisé par les protéines, à savoir la correspondance entre une séquence précise de la protéine et une séquence précise d’ADN reconnue. Ces demandes de brevets déposées pour les mêmes protéines mais selon des approches différentes pourraient malgré tout ouvrir la voie à une guerre commerciale qui semble bien avoir démarré.

Peu d’exemples de travaux en cours

Les projets de modification du génome de plantes via l’utilisation de TALEN mis en œuvre par les entreprises comme Monsanto, Syngenta et autres ne sont pas connus. En revanche, dans les laboratoires de l’entreprise Recombinetics, des porcs ou des vaches sont actuellement « talen-ment » modifiés. Plus précisément, Recombinetics cherche actuellement des fonds pour travailler à la modification de vaches laitières afin qu’elles n’aient plus de corne, ce qui évitera aux éleveurs d’avoir à les enlever [12]. De même, Jens Boch, de l’Université Martin Luther de Halle-Wittenberg (Allemagne), soutenu par la fondation Bill et Melinda Gates, et en collaboration avec l’Institut de Recherche et Développement à Montpellier, travaille actuellement à modifier génétiquement le riz afin que la protéine TALE de la bactérie Xanthomonas ne puisse plus s’attacher au génome du riz et donc provoquer une maladie [13].

La possible utilisation des protéines TALEN à des fins commerciales pourrait donc s’ajouter à la liste des sept techniques déjà étudiées par la Commission européenne, un dossier qui n’avance pas depuis fin 2011. A cette période, un groupe d’experts avait été spécialement mis en place pour étudier ces sept nouvelles techniques. Ce groupe devait fournir à la Commission européenne les éléments lui permettant de proposer aux Etats membres une classification des techniques de biotechnologie selon le statut des OGM obtenus. En effet, il reste aux Etats membres de l’Union européenne de définir pour chacune de ces techniques, si la plante modifiées est un OGM soumis à la législation, est un OGM non soumis à la législation (« sic »), ou n’est pas un OGM. Un an après le rapport final du groupe d’experts, la Commission européenne n’est toujours pas revenue vers les Etats membres et aucun calendrier particulier n’est arrêté.

Une liste de techniques qui s’allonge

Le rythme de développement des techniques en laboratoire apparaît donc plus soutenu (cf encadré ci-dessous) que la capacité du législateur européen à les traiter. En bout de course, le risque est qu’on ait à gérer dans l’urgence de telles plantes du fait de pressions commerciales accrues. Les Etats-Unis ont déjà commencé à légiférer sur certaines techniques [14] et les plantes ainsi génétiquement modifiées pourraient donc arriver du jour au lendemain sur le marché. Le fossé entre l’Union européenne et les Etats-Unis déjà dénoncé par les pro-OGM aujourd’hui, s’accentuerait encore plus. Et renforcerait la dynamique actuellement en cours via le Codex Alimentarius de synchroniser à l’international les autorisations commerciales données [15]. Une perspective qui doit ravir les entreprises qui commercialisent des OGM : en internationalisant une autorisation obtenue dans un pays ouvert aux OGM, elles n’auraient plus à faire face à des oppositions nationales et à se heurter à des marchés récalcitrants. Le temps joue définitivement pour elles, surtout si aucun pays ne se décide à lancer la réflexion sur l’éthique générale et le changement de paradigme nécessaire pour mieux aborder la question des biotechnologies [16] dans son ensemble et non pas technique par technique. Il serait en effet temps de sortir de la logique du cas par cas, vantée par les proOGM, pour déterminer, en amont, un cadre général… Ce n’est qu’une fois ce cadre général établi que l’on pourrait, en connaissance de cause, reprendre éventuellement la longue marche des autorisations, individuellement.

TraitUP : autre technologie pour transformer les plantes. En OGM ?

La technologie TraitUP est développée par l’entreprise Morflora. Le principe de cette technologie est de créer de nouvelles propriétés en faisant pénétrer dans des cellules végétales un petit ADN circulaire, appelé plasmide, qui contient le ou les gènes d’intérêt [17], mais sans que ce nouveau gène ne s’insère dans le génome de l’être vivant modifié. Selon l’entreprise, les nouveaux êtres ainsi obtenus ne devraient donc pas être considérés comme des OGM. Une position que seule la Commission européenne et les Etats membres pourront officialiser au regard des travaux menés dont on attend toujours les résultats finaux et le débat politique.

[1Mutagenèse guidée par oligonucléotide, Cisgenèse, Nucléase à doigt de zinc, amélioration inverse, agroinfiltration, greffe, méthylation de l’ADN via RNAi/RNAsi. Pour aller plus loin, voir Nouvelles techniques de manipulation du vivant, pour qui ? Pour quoi ?, coll. Emergence, édition PEUV, octobre 2011, 80 pages

[2TALEN = Transcription Activator Like Effector Nuclease, voir « The tale of the TALEs », E. Pennisi, 2012, Science, 14 décembre 2012, Vol338, p .1408-1411

[3cf. note 1

[5« Cellectis Acquires Exclusive License to TAL Effector Patents from University of Minnesota », Communiqué de presse de Cellectis du 20 janvier 2011

[6Cellectis extends its TAL technology intellectual property portfolio through the acquisition of two exclusive licenses from Iowa State University », Communiqué de presse du 25 octobre 2012

[7Demande aux Etats-Unis n°20110145940

[9http://2blades.org, communiqué du 10 décembre 2012

[10Demandes aux Etats-Unis n°20110239315, 20120064620, 20120110685 et 20120122205

[11« Tale effector nuclease », octobre 2011, Nature collection

[12cf. note 2

[16voir Nouvelles techniques…, op. cit., chap. III

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