Fiche technique / Etat des lieux

Les tribulations de pruniers transgéniques en Roumanie

Par Eric MEUNIER, Robert Ali BRAC de la PERRIERE Dan Craioveanu et Ramona Duminicioiu, Inf’OMG

Publié le 28/02/2006

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Dispersés dans un verger des Carpates de la station expérimentale de Bistrita en Transylvanie (Roumanie), plusieurs dizaines d’arbres ont leur tronc marqué d’un T à la peinture blanche. Ce sont des pruniers génétiquement modifiés par le laboratoire de l’Institut National de Recherche Agronomique (Inra) de Bordeaux (France) pour tolérer le virus de la maladie de la Sharka. Les premiers arbres y sont testés depuis 1996 avec le soutien de la Commission européenne. Dix ans plus tard, après pression citoyenne, on parle d’en détruire une partie. Retour sur une expérimentation loin des yeux citoyens.

Au printemps 1996, un essai en champ de pruniers transgéniques a été mis en place en Roumanie, dans la région de Bistrita. Effectué dans le cadre d’un projet de recherche européen, cet essai ne ressemble pourtant pas à la majorité de ceux conduits en Europe. Ici, le pays concerné n’est pas membre de l’Union européenne, et sa législation n’est pas encore conforme à la législation européenne. Plus formellement, cet essai n’a pas été autorisé selon la loi roumaine sur les PGM et surtout, la Roumanie est un berceau des ressources génétiques des variétés de pruniers que la législation internationale impose de protéger.

Les PGM : une situation opaque et mal contrôlée

En février 2006, le ministère de l’agriculture, des forêts et du développement rural de Roumanie a annoncé par communiqué de presse l’interdiction de culture et de production de soja génétiquement modifié (GM) en Roumanie à partir du 1er janvier 2007, date d’adhésion de ce pays à l’UE. Cette décision a été prise par le gouvernement roumain suite à une série de consultations avec la Commission européenne et plusieurs débats organisés par le Ministère de l’Agriculture. Lors de ces débats, divers acteurs ont exposé leurs points de vue comme la veille citoyenne roumaine sur les OGM (Inf’OMG) (1), Greenpeace Roumanie, des instituts de recherches, des associations de consommateurs, des parlementaires, des représentants des semenciers, des compagnies transformatrices de semences de soja GM, etc (2).

Jusqu’à peu, la Roumanie se trouvait complètement à l’écart des débats sur les OGM. En novembre 2003, au Forum Social Européen de Paris Saint-Denis, l’état des lieux des disséminations des cultures GM, dressé par Avram Fitiu, secrétaire général de la Fédération nationale de l’agriculture écologique (FNAE) de Roumanie, révélait une situation grave et incontrôlée (3). La perspective d’une contamination de l’UE à travers la Roumanie fut discutée. Cette contamination pourrait relever d’une stratégie de contournement de la législation européenne, en la plaçant devant le fait accompli. L’exemple du Brésil, contraint à cause des contaminations de ses cultures de soja à légiférer en faveur des PGM, après avoir longtemps résisté face à son voisin argentin, est suffisamment d’actualité pour comprendre les difficultés des acteurs économiques et des mouvements sociaux des pays de l’Europe de l’Est à s’opposer aux pollutions massives de PGM non autorisées dans l’UE. En effet, la Roumanie présente une agriculture duale : quatre millions de familles paysannes dont, selon Avram Fitiu, “on a effacé l’identité depuis 50 ans”, côtoient les anciennes fermes d’Etat de 2000 à 15 000 ha fonctionnant aujourd’hui comme de vastes entreprises privées sur 2 millions d’ha. Les 4 500 agriculteurs biologiques, représentés depuis une dizaine d’années par la FNAE, cultivent 90 000 ha et se sentent directement menacés par les contaminations de PGM.

En mai 2003, un premier rapport (4) alertait sur une situation inquiétante des cultures transgéniques en Roumanie. En novembre 2004, une mission conduite par l’association BEDE à la demande de la FNAE, rapportait : “La Roumanie, troisième producteur européen de soja, cultive du soja GM résistant au Round up depuis 1999. Aujourd’hui, sur les 123 000 ha, entre 75% et 100% (selon les sources) des cultures seraient soit GM, soit contaminées. […] Aujourd’hui, personne n’est en mesure de faire un état des lieux complet et précis des cultures et expérimentations car l’information est opaque. Parmi les projets de recherche, on peut en citer deux récents : en 2004, la commission de biosécurité roumaine a rendu un avis positif concernant un blé GM ; et un important projet de recherche de transfert d’un gène Bt de Monsanto dans une variété locale de pomme de terre est conduit par l’université de Timisoara avec le soutien de la Banque Mondiale” (5).

En 2005, une étude de terrain (6) soulignait que “les stations de recherches publiques rencontrent d’importantes difficultés financières. C’est pourquoi 80% des surfaces sont consacrées à la production de semences et de produits directement destinés à la vente pour la consommation et seulement 20% sont consacrés à la recherche. Ces centres de recherche sont alors très affaiblis et sont exposés aux pressions extérieures qui financent des programmes de recherche dans les domaines qui les intéressent comme les OGM. C’est par exemple le cas de la station de Bistrita avec le projet sur les pruniers transgéniques ou encore le cas de la station de Lovrin qui consacre le quart de ses surfaces (600 ha sur 2400 ha) à la multiplication de semences de soja transgéniques pour Monsanto. La situation de la recherche universitaire est proche”.

Une ordonnance (214/2002) adapte la législation roumaine aux nouvelles normes européennes. La commission biosécurité sous tutelle du Ministère de l’environnement est composée de 12 scientifiques en grande majorité favorables aux OGM. Elle a un rôle uniquement consultatif. Il n’y a pas de conditions de cultures spécifiées pour les OGM. Les règlements et capacités de traçabilité et d’étiquetage sont insignifiants et ne sont prévues ni participation du public ni transparence dans l’information sur les localisations (malgré une demande réitérée par la FNAE pour protéger les cultures biologiques).

Dans ce contexte flou, un paradoxe roumain apparaît donc où des pruniers transgéniques sont autorisés dans un centre de biodiversité alors que le soja transgénique se voit interdit. Cette situation rassemble les éléments de ce qui apparaît comme un cas d’école pour la biosécurité en Europe.

Pourquoi des pruniers transgéniques ?

Le projet de recherche scientifique consacré à la modification génétique de pruniers en vue de leur faire acquérir une résistance au virus de la Sharka regroupe des laboratoires de différents pays (France, Roumanie, Espagne, Etats-Unis…). Ce travail est soutenu financièrement par l’UE depuis 1996. Le premier projet européen (7) qui s’est déroulé entre 1996 et 1999 était intitulé “Evaluation des risques liés à des plantes transgéniques exprimant une protéine d’enveloppe virale”, référencé sous le code BIO4960773 et coordonné par le Dr. Ravelonandro, de la station de pathologie végétale de l’Inra de Bordeaux. Il fut l’occasion de mise en champs de nombreux pruniers transgéniques en Europe, et notamment, d’une centaine à la station roumaine de pomoculture de Bistrita en Transylvanie. D’autres essais en champs furent également conduits à Skierniewice (Pologne) et à Valence (Espagne). Un deuxième projet a pris la suite, le projet “Transvir”. Ce dernier, qui a démarré en 2003 pour une durée de trois ans, est subventionné par l’UE à hauteur de 1,47 million d’euro. Référencé sous le code QLK 3-2002-02140 (8), ce programme est coordonné par l’Inra français. Il concerne l’étude des impacts de l’expression de cette protéine transgénique sur les populations virales présentes dans les champs d’essais. Ce programme de recherche concerne les pruniers transgéniques déjà en champs ainsi que des vignes transgéniques.

La transgénèse réalisée ici a pour objectif de faire acquérir aux variétés de pruniers sensibles une résistance au virus de la Sharka. Cette résistance s’acquiert par l’expression constante au sein de la plante d’une protéine virale, dont on introduit artificiellement le gène pour inhiber le développement du virus pathogène. La saturation de la plante en ARN de la protéine virale (ARN fabriqué par le transgène) inhiberait, par rétro régulation, l’ARN du virus qui produirait cette protéine et bloquerait ainsi le cycle viral (cf. encadré ci-dessous).

Cette stratégie fut choisie par les chercheurs en pathologie végétale de l’Inra car, selon eux, les autres stratégies qui passent par la prévention de la maladie ou par la mise au point de variétés hybrides résistantes s’avèrent inefficaces.

Après les phases confinées en laboratoire, la mise en champs de ces pruniers transgéniques a eu lieu en Roumanie en l’absence d’autorisation formelle. Aucune étude d’impacts sur l’environnement et sur la santé suite à une consommation des fruits de ces arbres n’a été conduite à ce jour.

Quelle est la nature de la maladie de la Sharka ?

La maladie de la Sharka cible principalement les arbres fruitiers à noyau tels que les pruniers, pêchers, abricotiers… Originaire de Bulgarie, elle s’est rapidement propagée vers les vergers des pays voisins. Aujourd’hui, l’Europe centrale et les Balkans sont les zones dîtes “foyers endémiques”, c’est-à-dire que la maladie y est en permanence exprimée de manière résiduelle. Avec l’importance des échanges internationaux, la maladie s’est diffusée dans tous les vergers industriels. Aujourd’hui, le Canada, la Turquie, l’Egypte et le Chili sont touchés9. En France, la Sharka est un vrai fléau pour les vergers industriels à variété unique. En janvier 2006, au cours du soixantième congrès de la Fédération Nationale des Producteurs de Fruits (FNPF), le Ministre français de l’Agriculture et de la Pêche, D. Bussereau déclarait : “Fléau important dans cette région [Isère], nous poursuivons également notre lutte contre la Sharka, démarche qui s’inscrit pleinement dans le cadre de notre recherche de qualité sanitaire. […] D’ores et déjà, des crédits sont dégagés : 600 000 euro pour le financement d’un programme de recherche et d’expérimentation de variétés résistantes à la maladie et 900 000 euro pour le déplacement des pépinières hors des zones à risques, afin d’éviter de planter des arbres atteints de la Sharka”.



Base scientifique de la modification des pruniers

Depuis le début du projet, plusieurs articles scientifiques sur ces expérimentations ont été publiés (1). Le plus significatif est sans doute celui paru dans la revue “Virus Research” en 20002, qui synthétise les résultats obtenus et les objectifs visés.

Le programme d’obtention de pruniers transgéniques a tout d’abord démarré par l’isolation d’un gène viral codant pour la protéine d’enveloppe (CP) du virus de la Sharka et son expression transgénique dans une plante de tabac. Ensuite, un transgène exprimant cette protéine CP a été inséré dans des pruniers par le biais d’une infection par Agrobacterium tumefaciens, bactérie du sol, responsable de tumeur ou de galles, qui possède l’aptitude de transférer une partie de son patrimoine génétique à certains végétaux. Différents niveaux d’expression de cette protéine ont été obtenus. Après trois années d’exposition, en serre, de ces pruniers transgéniques un clone nommé C-5 a été isolé comme étant résistant au virus par extinction de l’expression de la protéine virale “sauvage” lors du cycle de réplication du virus au sein de la plante infectée. Les recherches ont ensuite été transposées en plein champ (en 1996) en Pologne, Roumanie et Espagne, où le virus est répandu. En champs, ces arbres ont montré la même capacité de résistance au virus, même si certaines parties de la plante ont été un lieu de réplication du virus sans toutefois que les plantes ne soient sujettes à un développement important de la maladie. Ce phénomène restait inexpliqué lors de la rédaction de cet article, les chercheurs supposant que les causes étaient probablement à rechercher dans les conditions environnementales différentes entre une serre et des champs. Il est donc important de noter que les plantes transgéniques ne sont pas exemptes de virus mais supportent une faible réplication de ce dernier. Cet article annonce en conclusion que les chercheurs travailleront dans le futur sur l’évaluation de toxicité et d’allergénicité des fruits transgéniques. Par ailleurs, des arbres transgéniques seront développés afin de n’exprimer la protéine CP que dans les parties végétatives de la plante, non consommées par l’homme.

1, europa.eu.int/comm/research/quality-of-life/gmo/01-plants/01-11-project.html

2, “The use of transgenic fruit trees as a resistance strategy for virus epidemics : the plums pox (Sharka) model”, M. Ravelonandro et al., Virus Research 71 (2000), 63-69



La Roumanie est le 3ème producteur mondial de prunes. Elle est au cœur de l’aire d’origine de la domestication du prunier qui s’étend de la Géorgie à la Hongrie. Creuset des échanges génétiques entre populations de Prunus spontanées et de pruniers cultivés (Prunus domestica), elle est un réservoir de ressources génétiques pour l’espèce cultivée. Dans ce pays, les pruniers occupent une place culturelle importante à travers la production de “palinka”, eau de vie de prune au centre des relations sociales. La Roumanie, et particulièrement la région de Transylvanie, offre à côté de quelques vergers de pruniers industriels sévèrement touchés par la Sharka, une diversité de systèmes agraires paysans et de jardins familiaux intégrant des variétés locales de pruniers issues de noyaux qui ont un bon niveau de tolérance à la maladie. Les espèces sauvages apparentées qui poussent naturellement autour des champs peuvent aussi être des porteurs sains.

Le mode de propagation du virus repose principalement sur les pucerons se baladant d’arbre en arbre. D’autres modes de transmission du virus peuvent cependant avoir lieu comme les échanges de matériel végétal contaminé (porte-greffe), le croisement des racines d’arbres avec fusion de ces dernières et donc transmission du virus. Enfin, la transmission par les noyaux, bien que possible, semble faible (10).

Face à cette propagation, des moyens de lutte existent déjà. La première mesure envisagée est basée sur des relevés sur le terrain, l’abattage des arbres infectés et leur remplacement soit par des variétés résistantes produites de manière conventionnelle, soit par des cultures qui ne sont pas cibles du virus (11). On peut également mettre un terme à la dissémination du virus en utilisant du matériel de multiplication (greffons par exemple) exempts de virus. Ce type de matériel peut être fourni à partir de vergers certifiés non contaminés. Ces moyens de lutte contre le virus reposent sur une première étape fondamentale, l’observation sur le terrain. Concernant l’utilisation d’insecticides contre les pucerons, leur efficacité est remise en cause du fait qu’ils font interférence avec d’autres programmes antiparasitaires appliqués dans les vergers, en augmentant la résistance aux insecticides et les foyers de parasites secondaires (12). Ces programmes de lutte contre les parasites sont surtout développés dans les zones de cultures monovariétales, plus souvent sujettes aux attaques parasitaires.

Quelle prévention face aux risques identifiés ?

En 1996, un an avant l’implantation de l’expérimentation, les chercheurs de l’Inra avaient identifié plusieurs limites à la production de variétés GM résistantes au virus. Hubert Laude, membre de la CGB et directeur de recherche à l’Inra, les énumérait ainsi : – l’irréversibilité d’une sélection des arbres transgéniques : “un aspect particulier à prendre en compte dans le cas de plantes virorésistantes est que la pression de sélection, qui détermine l’avantage biologique, ne peut être suspendue ou modulée comme cela est le cas pour un herbicide par exemple. De ce fait un retour à la situation antérieure n’est que difficilement envisageable” ;

- l’ignorance : “La question de la vitesse relative de la dérive génétique de populations virales hébergées par des plantes sauvages, naturellement résistantes n’est malheureusement pas documentée” ;

- la dangerosité accrue pour les plantes pérennes : “… certaines situations spécifiques de plantes transgéniques peuvent revêtir un caractère de nouveauté auquel il conviendra de porter attention. A ce titre […] l’induction d’un état infectieux durablement toléré chez les espèces pérennes, est un élément générateur d’interactions nouvelles ou susceptibles d’en accroître la fréquence”.

L’auteur recommandait de : “Procéder à une évaluation spécifique de chaque système hôte/transgène/virus, compte tenu de la diversité des situations épidémiologiques et des stratégies applicables [et] veiller à ce qu’un dispositif d’épidémiosurveillance puisse, lorsque cela est pertinent, se mettre en place lors de l’introduction d’une nouvelle variété virorésistante” (13).

Fin 1999, les risques sont bien identifiés par Mark Tepfer, de l’Inra : “Les équipes Inra des stations de pathologie végétale d’Avignon et Bordeaux ont été les premières à démontrer qu’effectivement, l’hétéro-encapsidation (i.e. la constitution de la capside du virus avec des protéines exprimées par la plante) dans les plantes transgéniques provoque une modification de l’aptitude des pucerons à transmettre un virus apparenté […]. Dans les plantes transgéniques, les séquences virales intégrées à la plante pour lui conférer une résistance peuvent s’intégrer à leur tour par recombinaison au matériel génétique d’un virus infectant… Les modifications dues à la recombinaison sont stables et peuvent conduire à l’apparition puis à la dissémination de virus nouveaux, aux propriétés différentes de celles des virus parentaux. Les travaux réalisés à l’Inra (biologie cellulaire de Versailles et Pathologie Végétales d’Avignon) ont montré que les virus recombinants peuvent provoquer des viroses aggravées” (14).

Pourquoi alors avoir pris le risque de l’expérimentation ? En Espagne, un dossier similaire a été autorisé en 1997 par l’Institut de Valence de Recherches Agraires (Instituto Valenciano de Investigaciones Agrarias) sous la référence B/ES/96/16. Un deuxième dossier est d’ailleurs en cours dans le même pays, sous la référence B/ES/05/14 pour une demande d’autorisation d’essai en champs de ces pruniers du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2010. En France, en 1999, l’Inra de Bordeaux a déposé un dossier de demande d’autorisation auprès de la CGB15. La demande portait sur la plantation en pépinière de pruniers transgéniques, qui étaient résistants au virus de la Sharka. Le dossier B/FR/99.02.10 qui portait sur quatre ans, a été différé par la CGB, cette dernière nécessitant plus d’informations avant de se prononcer. Depuis, aucune information supplémentaire n’a été délivrée, ni aucun nouveau dossier soumis.

Controverse autour de la pertinence du choix technique

Alors qu’il existe déjà des variétés de pruniers résistants à la Sharka, sélectionnées de manière conventionnelle comme la variété allemande Jojo, l’efficacité et la rentabilité de la technique de transgénèse sur les pruniers restent à être démontrées. Elle a été commentée par Frédéric Laigret, directeur de l’Unité de Recherche sur les Espèces Fruitières et la Vigne (UREFV) de l’Inra de Bordeaux : “Le prunier domestique est génétiquement très complexe. C’est un hexaploïde, son génome est constitué de trois génomes de trois espèces différentes. Connaissant par ailleurs les capacités des virus à contourner les résistances, l’introduction d’un seul transgène n’est probablement pas suffisante et il vaudrait mieux cumuler des résistances d’origines différentes, même partielles. Par ailleurs, le matériel transformé par transgénèse n’est pas du matériel adulte mais du matériel juvénile (hypocotyle – issu du noyau), et donc, son patrimoine génétique est inconnu et distinct de celui de la plante d’origine puisqu’il a été obtenu par fécondation. A ce jour la transgénèse de variétés commerciales n’est pas maîtrisée. Ainsi il faut recroiser la plante transgénique avec ces variétés commerciales, et ceci plusieurs fois, pour obtenir des variétés fruitières exprimant la résistance à la Sharka. Il n’y a donc pas de gain de temps significatif par rapport aux méthodes de génétique classique (assistée par marqueurs moléculaires) et qui consiste à croiser des individus possédant des résistances ou tolérances naturelles avec des variétés d’intérêt. A mon avis, chez les arbres fruitiers, s’il y avait un matériel pour lequel la transgénèse pourrait apporter des avantages et sans risque, ce serait le porte-greffe car ce dernier ne produit ni fleur, ni feuillage”. Par ailleurs, quelle sera l’évolution de la tolérance avec le temps ? Quelle est la qualité du fruit produit par ces premiers arbres obtenus ? Les chercheurs roumains du projet ont indiqué la médiocrité des fruits du clone C5-10 : “on ne peut pas détacher la pulpe du noyau”. C’est pour cela qu’à la station de Bistrita les chercheurs ont immédiatement réalisé des croisements du premier clone transgénique avec des variétés locales.

Les essais en champs de pruniers transgéniques à Bistrita sont orientés sur l’efficacité de la technique sur la population virale plutôt que sur les risques de contamination dans l’environnement. Les conditions de mise en culture dans le cadre des essais prouvent que la protection de l’environnement et de la santé humaine a été négligée.

Un cadre de biosécurité inefficace

Sur le plan légal, les essais en champs de ce projet ont débuté entre 1996 et 1998 avec la plantation d’une centaine de pruniers transgéniques à la station de recherche de Bistrita. Adoptée en 2001, la législation roumaine prévoit que les autorisations sont délivrées par les Ministères de l’Agriculture et de l’Environnement, après consultation de deux commissions de biosécurité. Lors de son adoption, cette loi a été déclarée à effet rétroactif : une demande aurait donc dû alors être déposée, ce qui n’a pas été fait. De plus, la procédure d’autorisation d’essais en champs en Roumanie répond théoriquement à la législation européenne mais sa mise en œuvre est encore imparfaite. Selon le Pr. Pamfil, du laboratoire de Biotechnologie de Cluj, la Commission de Biosécurité, dont il est membre, ne se réunit jamais. Le Pr. Badea, Présidente de cette Commission, rédige seule les notifications et les transmet au nom de l’ensemble de la Commission. Par ailleurs, il est normalement exigé que les notifications et les avis finaux soient rendus publics, ce qui n’est pas le cas. La culture en plein champ de ces arbres transgéniques est donc aujourd’hui illégale.

Selon le coordinateur scientifique de ce projet entre 1996 et 1998, Maxim Laurel, une centaine d’arbres issus du clone résistant ont été multipliés et plantés sur quatre parcelles de la station de Bistrita. Pourtant, aucune zone tampon réelle n’est mise en place. Cette absence de zone tampon induit des questionnements sur les risques de dissémination du transgène par le biais du pollen ou par le biais des noyaux des fruits tombant au sol. Pourtant, ces questions ne semblent pas trouver place dans ce projet d’évaluation. Une zone tampon théorique composée de pommiers doit présenter une assurance contre la dissémination par le pollen mais lors d’une visite par Inf’OMG de la station de recherche, en novembre 2005, cette zone n’a pas été observée. La seule différenciation effective des pruniers transgéniques des non transgéniques est un T peint à la peinture blanche sur leurs troncs (cf. photo). Pour mieux comprendre les craintes engendrées par cette absence de zone tampon, il faut se souvenir que des travaux scientifiques ont montré que le pollen de certains arbres peut voyager jusqu’à 600 km (cf. Inf’OGM n°70, p.6).

Enfin, alors que les chercheurs n’ont jamais produit d’études sur la toxicité et l’allergénicité des fruits, pourtant prévues au début, Maxim Laurel révèle qu’aucune ségrégation entre prunes GM et prunes non-GM n’a lieu et que les prunes transgéniques sont vendues illégalement sur le marché de Bistrita sans avoir été évaluées.

Des réponses scientifiques à quel prix ?

Selon Marc Fuchs, coordinateur du projet “Transvir” pour l’Inra Colmar, “nos résultats préliminaires sur l’impact de ces pruniers transgéniques sur les populations virales sont fort prometteurs. Ils montrent que les pruniers transgéniques ne semblent pas modifier la diversité génétique des populations virales étudiées durant la durée de Transvir, notamment l’émergence de virus recombinants.[…] Les autorisations de mise en place des essais au champ suivis dans le cadre de Transvir ont été délivrées indépendamment de ce projet. Ces autorisations ont été délivrées plusieurs années avant le démarrage de Transvir. Il est donc logique de ne pas trouver les évaluations de l’impact environnemental des vignes et pruniers transgéniques effectuées dans le cadre des procédés de délivrance des autorisations dans le descriptif de Transvir”.

En attendant, les résultats “prometteurs” continuent à contaminer les cultures avoisinantes. Ce qui ne va pas sans responsabilité des chercheurs vis-à-vis des autres acteurs économiques sur les dommages, qui sont techniquement évitables. A l’aube de son intégration à l’UE, la Roumanie essaye d’infléchir sa politique agricole vers l’agriculture biologique – objectif 20% du territoire en agriculture bio pour 2013, qui n’admet aucune contamination GM. Comment un projet comme celui des pruniers de Bistrita peut-il être cohérent avec cette politique ? Par ailleurs, la situation de ces pruniers transgéniques se caractérise par une absence d’autorisation formelle, une absence de zone tampon protégeant l’environnement, une commercialisation de fruits non autorisés, non évalués scientifiquement et enfin, l’utilisation d’une technique risquant de poser plus de problèmes qu’elle ne semble en résoudre. Comment la Commission Européenne a-t-elle accepté de financer ce type de projet sans interroger les conditions de déroulement ? La Roumanie, signataire de la Convention sur la Biodiversité, a pour obligation de protéger de toute dégradation les centres de biodiversité présents sur son territoire. Comment le gouvernement a-t-il accepté de risquer de contaminer le centre d’origine du prunier par la conduite de ces essais, malgré l’irréversibilité des contaminations ? Quel est l’état de la dissémination du transgène aux cultures environnantes ? Autant de questions qui auront du mal à trouver des réponses à quelques mois de l’adhésion à l’UE. La destruction de la source de contamination est aujourd’hui envisagée sur décision de la station de recherche. Cette destruction se ferait en deux phases : une première phase, annoncée officiellement par la garde environnementale se réalisera au printemps avec emploi d’herbicides, pour se débarrasser d’une partie des jeunes pruniers. La deuxième phase qui a été évoquée oralement à D. Craioveanu de la FNAE par le coordinateur scientifique de la station, M. Zagrai aurait lieu en juin. Ne doit-on pas voir un lien de cause à effet de ce que Bistrista Nasaud, région où est établie la station expérimentale, s’est déclarée en mars 2006, zone sans PGM.

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