Lutte contre la biopiraterie : le Protocole de Nagoya et le TIRPAA

La biopiraterie, c’est l’utilisation d’une ressource génétique et/ou d’un savoir traditionnel associé à cette ressource sans le consentement de l’État, de la communauté ou du peuple autochtone qui détient cette ressource et/ou ce savoir, et sans rétribution pour cette utilisation.

Par ressource génétique, on entend le matériel d’origine végétale, animale, microbienne ou autre, contenant des unités fonctionnelles de l’hérédité, et ayant une valeur effective ou potentielle.

Des entreprises, principalement des pays de l’OCDE, qui se servent allègrement dans les savoirs traditionnels, s’approprient ces ressources en les brevetant, par exemple le riz basmati [1]. Ces dernières vont parfois jusqu’à faire payer l’utilisation de leur « invention » à des communautés qui ne les avaient pas attendues pour les utiliser [2].

Les ressources génétiques constituent un vivier très important pour la mise au point de nouveaux médicaments, de produits cosmétiques ou pour l’amélioration variétale. Devant l’augmentation des cas de biopiraterie, la Communauté internationale a souhaité protéger ces ressources et les inscrire dans un système plus juste vis-à-vis des pays ou des peuples autochtones qui les détiennent.

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Crédits : Le beau pinagnes

Deux textes visent à lutter contre la biopiraterie au niveau international : le Protocole de Nagoya (pour toutes les ressources génétiques autres que celles couvertes par le Tirpaa) et le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa), pour certaines ressources génétiques utilisées en agriculture.

Protocole de Nagoya : accès aux ressources et partage des avantages

Des affaires emblématiques de biopiraterie ont mis en exergue la nécessité de protéger ces ressources, contre des entreprises qui prétendent se les approprier.

La biopiraterie est aujourd’hui plus subtile : l’entreprise utilisera un gène pour lequel elle n’a pas d’accord. Sans obligation de déclarer ce qu’elles ont utilisé, les entreprises risquent peu de choses.

Le Protocole de Nagoya sur « l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation  », adopté en 2010 à Nagoya (Japon) [3], a pour objectif de mettre en œuvre l’un des trois piliers de la Convention sur la diversité biologique (CDB) : « le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques ». Par la création de compensations financières sur l’utilisation des ressources naturelles (hors agriculture, puisque ces ressources sont gérées par le Tirpaa, voir paragraphe suivant), le texte entend créer des incitations pour leur protection. Les entreprises, avec l’accord des États et après une juste compensation, peuvent utiliser ces ressources génétiques.

À ce jour (décembre 2022), le texte a été signé par 92 États ou entités régionales (dont l’Union européenne), et a été ratifié par 138 États ou entités régionales (dont la France, le 31 août 2016) : il est entré en vigueur le 12 octobre 2014 [4]… Les discussions pour transposer ce protocole dans les lois nationales ont été âpres, notamment pour savoir s’il s’appliquerait sur les ressources déjà « pillées » ou pas. Question fondamentale, illustrée par l’exemple suivant du rooibos : cette plante, issue d’Afrique du Sud, fait l’objet de multiples exploitations dans différents secteurs industriels (thé rouge, préparation médicinale, cosmétique). Mais cette utilisation ne s’est pas toujours accompagnée d’un partage des avantages. Nestlé est ainsi accusée d’avoir déposé en 2010 plusieurs brevets sur différentes applications de cette plante, sans le consentement de l’Afrique du Sud, ni évidemment aucun partage des avantages [5]. Et pour cause, le protocole de Nagoya n’était pas encore en vigueur. Imaginons maintenant que dans quelques années, après l’entrée en vigueur de Nagoya, une nouvelle application soit découverte à partir de cette ressource. Parce que déjà acquise, dans des conditions pas forcément avantageuses pour les populations locales, cette ressource pourrait à nouveau ne pas faire l’objet de partage des avantages [6]. C’était tout l’enjeu des discussions à venir avant la première Conférence des parties de ce protocole (Octobre 2014 en Corée).

Le TIRPAA : l’équivalent de Nagoya, mais pour les plantes cultivées

La biodiversité cultivée est quant à elle exclue des obligations de ce protocole puisque certaines ressources génétiques utilisées dans le cadre de l’agriculture et de l’alimentation sont couvertes par un autre accord : il s’agit du système multilatéral du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa) [7].

Le Tirpaa remplace les obligations de consentement préalable au cas par cas (c’est-à-dire pour chaque variété demandée) et de contrats bilatéraux, tels que prévus par la Convention sur la Diversité Biologique et le Protocole de Nagoya, par un accès facilité à l’ensemble des ressources qu’il regroupe. En échange, l’utilisateur est obligé, théoriquement, de rémunérer un Fonds de partage des avantages, en cas de droit de propriété industrielle restreignant l’accès à la nouvelle ressource développée. Le Tirpaa reconnaît notamment le « droit des agriculteurs de participer équitablement au partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, [ainsi que] le droit de participer à la prise de décisions, au niveau national, sur les questions relatives à la conservation et à l’utilisation durable des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture ».

En théorie, « toutes les ressources phytogénétiques [qui] relèvent du domaine public » et qui sont dans l’annexe I du Traité (certaines espèces vivrières et certains fourrages) doivent se retrouver dans le Système multilatéral d’échanges (SML) du Tirpaa. Mais d’après la FAO, les ressources génétiques réellement accessibles ne concernaient, pour les principales, qu’un pourcentage minime des ressources mondiales : 30% des espèces de blé, 18% de celles de riz et 12% de celles de maïs [8].

Et l’« encouragement » des acteurs privés à mettre aussi leurs collections dans ce système n’a pour le moment guère porté ses fruits. En 2022, seules six entités privées (en plus de 20 ans !) ont « joué le jeu  » : deux ONG (Pérou et Inde), deux universités (Kenya et Costa Rica) et deux associations françaises (en partenariat avec l’Inra) [9].

Partant d’une idée généreuse, le Tirpaa permet donc surtout pour le moment aux semenciers privés d’accaparer une grande partie des ressources phytogénétiques, sans réelles contreparties. Car les entreprises qui déposent des brevets ne partagent pas leur banque de ressources végétales, n’indiquent pas les ressources utilisées et ne payent rien.

Il en va de même de celles qui déposent des Certificats d’Obtentions Végétales (COV) (voir Qu’est-ce que le Certificat d’Obtention Végétale (COV) ?). Elles argumentent que la liberté d’utilisation de leurs nouvelles variétés pour la recherche est suffisante pour rémunérer le système. Mais cette même liberté n’est pas reconnue aux paysans qui font de la semence de ferme, dans les pays adhérents à l’Union pour la protection des obtentions végétales (UPOV). Au total, le Fonds de partage des avantages ne reçoit que quelques très maigres contributions : les plus récentes ont été apportées par l’Italie, la Norvège, les Pays-Bas, la Suisse et l’Union européenne, à l’appui du cinquième cycle du Fonds fiduciaire pour le partage des avantages [10] .

Ces réticences à partager les collections constituent une situation inacceptable pour le monde paysan et la société civile qui, ils le disaient dès la réunion du Tirpaa à Oman en septembre 2013, et répété lors de la neuvième session en 2022 à New Delhi (Inde), continuent à se mobiliser pour faire respecter cette « obligation morale ».