n°167 - avril / mai 2022Interview / débat contradictoire

Droits de propriété industrielle : quelle transparence ?

Par Inf'ogm

Publié le 05/04/2022

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Transparence dans les droits de propriété industrielle touchant aux vivant (Certificat d’obtention végétale, brevet), séquences génétiques numérisées… : sur tous ces sujets, Inf’OGM a interrogé François Meienberg, chargé de la politique des semences chez ProSpecieRara [1] (Suisse), qui s’engage notamment contre le brevet sur le vivant et coordinateur du réseau d’ONG APBREBES [2], qui défend les droits des paysans [3].

À la différence du brevet, le Certificat d’obtention végétale (COV) ne requiert pas la publicité du mode d’obtention. Autrement dit, un obtenteur ne doit pas décrire les méthodes qu’il a utilisées pour créer sa variété. Pourquoi cette absence de transparence est-elle problématique ?

La transparence du mode d’obtention a un intérêt essentiel pour les obtenteurs et spécifiquement s’il s’agit d’obtenteurs bio. Pour eux il y a, au-delà de la réglementation applicable à l’agriculture biologique, des règles qui précisent ce qu’ils peuvent utiliser pour faire des croisements. Connaître le mode d’obtention est tout simplement nécessaire pour savoir avec quoi ils travaillent.

La transparence est évidemment aussi nécessaire pour les paysans qui, par éthique et/ou parce qu’ils font de l’agriculture biologique, veulent exclure certains types de plantes de leur champ.



La question de la publicité du mode d’obtention fait-elle l’objet de discussions au sein de l’Union internationale pour la Protection des Obtentions Végétales (Upov) ?

Non. La raison tient au fait que si on voulait inclure la publicité du mode d’obtention, il faudrait changer la Convention de Upov de 1991. Or pour le moment, les États ne veulent pas le faire, sous la pression des obtenteurs qui n’y sont pas favorables. Il faut aussi avoir en tête que certains États membres de l’Upov ont signé la Convention Upov 1978, d’autres celle de 1991. Cela ne facilite pas les choses. Une révision serait certes nécessaire pour ancrer les droits des paysans, par exemple – mais en raison des rapports de force existants, il y aurait aussi un risque qu’une nouvelle convention Upov soit encore pire que la convention existante.

On peut signaler que la question du mode d’obtention est abordée au sein de l’Upov indirectement à propos des variétés essentiellement dérivées [4]. Le droit de l’obtenteur sur la variété initiale s’étend à ces variétés essentiellement dérivées. Mais pour faire valoir son droit, l’obtenteur de la variété initiale doit prouver qu’un autre obtenteur a utilisé sa variété pour créer cette variété essentiellement dérivée.

Pourquoi les obtenteurs ne veulent-ils pas divulguer le mode de sélection utilisé ?

Je ne le sais pas avec certitude. Mais il me semble qu’il faudrait profiter de la révision de la réglementation européenne sur les semences [5], pour essayer d’inclure la transparence au niveau de l’inscription des variétés au Catalogue. Ainsi, dès qu’une variété est inscrite au Catalogue, qu’elle soit ou non protégée par un COV, son mode d’obtention serait connu. Ce serait même une meilleure solution que d’inclure la transparence du mode d’obtention uniquement dans la réglementation sur les droits de propriété industrielle comme le COV. C’est d’ailleurs une demande des ONG.

La question de la transparence se pose également pour un autre droit de propriété industrielle : le brevet. Lorsqu’un agriculteur achète des semences, il n’est pas informé de la présence de certains brevets dans ces semences. Quelle conséquence cette absence de transparence peut-elle avoir pour l’agriculteur ?

Pour l’agriculteur, d’un point de vue juridique, il existe dans le cadre du COV comme du brevet une exception très restreinte de ressemer et de réutiliser les semences de sa récolte (semences de ferme).

La difficulté se pose de manière plus prégnante pour les obtenteurs. Avec le COV, si l’obtenteur fait un croisement et crée une nouvelle variété, il n’a pas à payer de redevance. Mais dans le cadre du brevet, cette « exception du sélectionneur » n’existe pas. Le titulaire du brevet peut donc interdire à l’obtenteur de vendre sa nouvelle variété qui contient une caractéristique brevetée. Il y a aussi la possibilité de demander des royalties. C’est un grand problème pour les obtenteurs et la question de la transparence est très importante. Le risque est d’ailleurs énorme : l’obtenteur met environ 10 ans à créer une nouvelle variété. Si au bout de 10 années de croisement il a réussi à créer une nouvelle variété et se rend compte que cette variété contient en fait un trait breveté, la variété ne lui appartient pas à lui mais à celui qui détient le brevet sur le trait breveté. L’obtenteur a donc absolument besoin de sécurité, et cette sécurité n’existe pas aujourd’hui.

En Suisse, des discussions sont en cours pour changer la loi. En attendant, il existe une base de données, « Pinto », créée par des semenciers. Mais comme cette base de données est alimentée volontairement, elle n’est pas complète et ne fournit pas de garanties complètes. Il serait nécessaire de rendre obligatoire la publication de tous les brevets couvrant certaines variétés. Et si ces brevets ne sont pas rendus publics, le brevet ne devrait pas pouvoir être opposé à l’obtenteur concerné.

Le manque de transparence a des conséquences très concrètes : les obtenteurs évitent certaines variétés par peur de rencontrer un brevet. Cela signifie que l’accès à la diversité est restreint.

Il est intéressant de noter que sous la convention Upov de 1978, il était interdit de cumuler brevet et COV sur une variété. Cette interdiction a été abandonnée dans la Convention de 1991.

Le brevet confère un monopole d’exploitation de l’invention protégée. En contre-partie il y a obligation de décrire précisément l’invention afin que « l’homme de l’art  » puisse la reproduire une fois l’invention tombée dans le domaine public. C’est donc un outil plutôt transparent, non ?

Oui c’est vrai, cette obligation de description fait du brevet un outil transparent et c’est d’ailleurs très intéressant de lire les nouveaux brevets sur les plantes car cela permet d’avoir précisément l’information sur comment elles sont créées.

Le problème quand cela concerne le vivant et les plantes est le manque d’informations sûres sur l’existence de brevets pour les variétés commercialisées. On en revient au problème évoqué tout à l’heure à propos des obtenteurs et des agriculteurs.

L’autre problème posé par le brevet sur le vivant en termes de transparence concerne l’origine des ressources génétiques. Dans beaucoup de pays, du Sud notamment, le droit prévoit qu’il faut une transparence sur les ressources génétiques [6] utilisées pour créer l’invention et surtout une transparence sur l’accès à ces ressources, cet accès devant être légal. C’est un bon moyen pour contrôler qu’il n’y a pas eu de biopiraterie à la base de l’invention, c’est-à-dire que les règles découlant de la Convention sur la diversité biologique (Protocole de Nagoya) et du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa) ont été respectées. Le Protocole de Nagoya prévoit qu’il faut un consentement préalable donné en connaissance de cause du pays dit « fournisseur » pour accéder à une ressource génétique et un partage équitable des avantages découlant de son utilisation. En droit suisse, on a l’exigence de publier la source de la ressource génétique pour les demandes de brevet. D’autres pays l’ont fait également pour combattre biopiraterie.

Il faut ici faire un parallèle avec le COV, où les choses sont plus compliquées. Certaines lois nationales relatives au COV imposent de divulguer l’origine de la ressource génétique. C’était le cas par exemple de la loi péruvienne. Mais quand le Pérou a voulu adhérer à l’Upov 1991, le pays a dû abandonner cette disposition, car la convention l’interdit [7].

Si on revient au brevet et à la biopiraterie, on pourrait soutenir que c’est contraire à l’ordre public [8] de fonder une invention sur un acte illégal tel que la biopiraterie. Des ONG ont défendu cet argument devant l’Office européen des brevets dans le cadre d’une opposition à un brevet. Comme elles ont finalement gagné l’affaire sur un autre fondement, la juridiction ne s’est pas davantage prononcée sur cette question de la légalité de l’accès. Mais les juges ont demandé au titulaire du brevet de prouver que l’accès à la ressource génétique était légal, ce qui semble indiquer que c’est une piste à creuser.

L’une des évolutions majeures en matière de « ressources génétiques » est la numérisation du génome dans des bases de données, souvent en libre accès. On les appelle les « séquences génétiques numérisées ». Pourquoi cette évolution pose-t-elle un nouveau défi en termes de transparence dans le domaine du brevet ?

La question des séquences génétiques numérisées (« DSI » pour « digital sequence information ») est liée à la mise en œuvre de la Convention sur la diversité biologique et du Tirpaa. Ces deux textes internationaux posent des règles pour l’accès à la ressource génétique et le partage des avantages qui découle de leur utilisation. Le risque majeur posé par les DSI, c’est que les obligations des lois internationales et nationales pour accéder aux ressources génétiques soient contournées. Les règles internationales s’appliquent dès lors qu’il y a « utilisation » de la ressource génétique, y compris dans le cadre de la recherche et développement. Or l’industrie argumente que le séquençage (de la ressource génétique physique) n’est pas de la recherche et développement mais seulement une phase préalable et donc l’accès à des ressources génétiques pour faire du séquençage devrait échapper aux règles posées par les textes internationaux. L’industrie poursuit : une fois effectué le séquençage et obtenu l’information numérique, on obtient quelque chose qui n’est plus de la ressource génétique et donc, là encore, les règles internationales ne s’appliqueraient pas. Cette argumentation est tout à fait à l’opposé de ce qu’on a voulu faire avec les textes internationaux.

Quand on fait du séquençage, on utilise des ressources génétiques. Pour sauver le principe du partage des avantages, il faut soumettre ces séquences génétiques numérisées aux mêmes règles que les ressources génétiques physiques. On oppose à cela des arguments d’ordre technique : il serait impossible d’établir l’origine géographique de la ressource génétique. Mais on peut trouver des solutions à cela. D’ailleurs, dans le cadre du Tirpaa, l’origine de la ressource génétique n’importe pas non plus : l’utilisateur doit reverser le bénéfice qu’il tire de l’utilisation de la ressource génétique dans un fonds commun. Ce pourrait être une solution pour les séquences génétiques numérisées.

Mais si c’est trop facile de contourner les obligations, les règles seront vidées de leur substance. Le numérique pose vraiment un énorme défi.

Accords de licence : transparence entre entreprises uniquement

Il y a aussi la question des accords de licence qui sont confidentiels, même lorsque les entreprises créent des « pools » de brevets. La transparence est alors réservée aux membres… La publicité des accords de licence est-elle selon vous un enjeu pour les citoyens, les agriculteurs… ?

Les entreprises ont en effet créé une plateforme appelée « International Licensing Platform Vegetable » pour faciliter l’obtention de licences entre elles et faciliter la négociation dans le secteur des légumes [9]. Mais la publicité des accords de licence n’est pas une question centrale à mon avis. Ce que soulève cependant cette question, c’est l’octroi des licences en tant que telles. Avec le brevet, on a le droit d’exclure l’utilisation de l’invention par tous les autres et de décider d’octroyer ou non une licence pour autoriser un tiers à l’utiliser (contre paiement d’un droit de licence). Mais si on prend le cas d’un brevet sur des gènes très importants, par exemple la résistance à la sécheresse, il est à mon avis scandaleux que le détenteur du brevet puisse ne pas octroyer de licence. Il faudrait que la loi sur les brevets stipule que si une variété contenant une propriété brevetée peut être commercialisée, une licence obligatoire pour cette variété doit être possible. Le détenteur du brevet ne doit pas pouvoir le refuser.

Le monopole créé par le brevet va à l’encontre de la liberté du commerce. L’État l’autorise pour permettre l’innovation, c’est la seule raison d’être de ce monopole. Mais si la loi sur les brevets ne favorise pas l’innovation mais l’entrave, elle perd sa raison d’être et doit être adaptée. S’il y a une licence obligatoire, le détenteur recevra le paiement de la licence, mais il ne pourra pas, par exemple, interdire à un obtenteur d’utiliser une variété qui contient un trait breveté pour en créer une nouvelle. Le brevet conférerait alors seulement le droit d’octroyer des licences mais pas d’interdire l’utilisation de l’invention.

[3Entretien réalisé par Charlotte Krinke le 26 janvier 2022.

[4« Les variétés essentiellement dérivées peuvent être obtenues, par exemple, par sélection d’un mutant naturel ou induit ou d’un variant somaclonal, sélection d’un individu variant parmi les plantes de la variété initiale, rétrocroisements ou transformation par génie génétique« . (Upov Article 14, 5c).

[5Actuellement, une consultation publique est en cours. Une proposition de règlement est attendue pour fin 2022.

[6Par ressource génétique, on entend le matériel d’origine végétale, animale, microbienne ou autre, contenant des unités fonctionnelles de l’hérédité, et ayant une valeur effective ou potentielle.

[7La convention stipule que l’octroi du droit d’obtenteur ne peut dépendre de conditions supplémentaires ou différentes de celles qu’elle prévoit, à savoir que la variété est nouvelle, distincte, homogène et stable.

[8La convention sur le brevet européen prévoit qu’un brevet ne peut pas être délivré pour « les inventions dont l’exploitation commerciale serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs » (article 53 de la convention).

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