Ce qu’il est convenu d’appeler « le patrimoine génétique » [2] a pour support l’ADN. Dans sa première fonction connue, cet ADN code l’ordre dans lequel la chaîne des acides aminés constituant une protéine est agencée, via une autre molécule, l’ARN [3]. En gros, l’ADN est transcrit en ARN qui, après quelques modifications, est traduit en protéines en fonction du code génétique.
Jusqu’il y a peu, la pensée dominante considérait que l’ADN servait à coder les protéines, constituants majeurs des êtres vivants, et c’était tout. Quelques esprits chagrins faisaient bien remarquer que, par exemple chez l’homme, moins de 2% de l’ADN codait effectivement des protéines et que ce n’était peut-être pas par erreur que le reste existait, mais on n’en avait cure, ce reste était de « l’ADN poubelle » (traduction de l’expression anglais « junk DNA »), car, c’est bien évident, ce qui n’est pas connu n’existe pas.
Ces dernières années, cet ADN inutile s’est avéré être fort intéressant, notamment en ce qu’il contient des séquences qui sont transcrites en ARN, mais sans que ces derniers ne soient traduits en protéines. Ces ARN dits « interférants » viennent modifier l’expression des gènes et donc la production de protéines par les cellules. Ils jouent un rôle majeur dans les régulations métaboliques, la différenciation cellulaire, la mort cellulaire programmée, le fonctionnement du système immunitaire des vertébrés, etc. En outre, certains d’entre eux peuvent détruire du matériel génétique étranger, par exemple lors d’infections virales, réalisant la base des capacités immunitaires des plantes (qui n’ont pas de système lymphocytaire, comme les vertébrés). Ils sont aussi en cause dans le développement de diverses maladies, dont le cancer. Bref, notre « ADN poubelle », codant ces ARN interférants, se voit d’un coup promu au premier rang des préoccupations. Parmi ces ARN interférants, une classe, les micro ARN (miARN), eux-mêmes dérivant d’ARN plus longs et doubles brin, les dsARN (comme ceux qui sont produits par certains OGM, et c’est pourquoi nous détaillons un peu ici) a particulièrement attiré l’attention et a conduit l’équipe chinoise à étudier le devenir des miARN de plantes lorsqu’elles sont ingérées par un mammifère, ici, l’Homme, le veau et la souris.
Les résultats de cette remarquable étude sont étonnants. En effet, elle montre clairement que les miARN de plantes résistent largement à la cuisson et à la digestion et sont capables de passer dans le sang des mammifères, entrer dans certaines cellules (dont celles du foie) et interférer avec le fonctionnement génétique des dites cellules, ceci spécifiquement (un miARN donné interfère avec l’expression d’une séquence ADN donnée) [4]. Ainsi, dans les expériences menées par Zhang et coll., manger du riz entraîne la réduction de la production d’une protéine jouant un rôle crucial dans l’épuration du cholestérol sanguin. De plus, ce phénomène n’est pas anecdotique, puisque que près de 5% des miARN des cellules de mammifères sont d’origine végétale ! [5]
Comment osent-ils continuer ?
Les OGM ont été faits à partir d’une vision simpliste de la biologie, calquée sur le modèle informatique, avec l’ADN comme programme. Tout le reste était sensé découler des instructions ainsi codées. La transgenèse consistait simplement à remplacer une instruction par une autre, dont la fonction dans un autre organisme était connue (ou en rajouter une, etc.). Avec les découvertes faites ces dix dernières années, plus rien de ces pseudo bases théoriques ne subsiste. Il est devenu clair que la biologie s’organise comme un vaste et complexe réseau d’interaction, dont l’ADN n’est pas le centre, même s’il est probablement un connecteur de grande importance. Ce réseau, déjà ouvert au delà de l’individu par de nombreuses molécules actives absorbées par lui, s’ouvre maintenant à des interférants constituants du système génétique. Comment justifier la poursuite de la production d’OGM alors que ce qui a permis de les créer s’avère aussi manifestement faux ? Comment, aussi, tenir compte, dans l’évaluation des OGM, de ces ARN interférants dont on ne sait encore presque rien ? Comment accepter, quand on commence à constater que ces ARN sont au cœur même des processus biologiques et impliqués dans des pathologies graves, que, sans presque rien en connaître, on en fasse produire par des plantes génétiquement modifiées disséminées en milieu ouvert, comme dans le cas de la vigne transgénique de l’INRA de Colmar ou du haricot GM en cours de validation au Brésil ?
Terminons par deux citations, l’une de Yves Chupeau, expert pourtant très favorable aux OGM, qui, à propos de la publication chinois, précise : « Cette étude implique de la part des biologistes qui voudraient utiliser les dsARN, une vigilance particulière, spécialement dans le cas de la protection des plantes en champ contre les maladies » [6]. Et celle de Jacques Testart, dans un article de Libération du 14 octobre 2011 : « C’est à dire qu’on va faire entrer dans la chaîne alimentaire des molécules dont on découvre des propriétés insoupçonnées [...] ! Comme si chaque brèche ouverte dans l’immense ignorance autorisait la suffisance scientiste [...] à nier qu’il reste d’innombrables inconnues dont une seule peut suffire à ruiner l’édifice technologique. Faute d’humilité, nos productions brevetables sont souvent des injures à l’intelligence ».