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UE – Vers un deal Etat-entreprise pour refuser la culture d’un OGM sur son territoire ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 13/02/2012

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Le 27 janvier 2012, la présidence danoise de l’Union européenne a proposé, dans un document qu’Inf’OGM s’est procuré, qu’un Etat membre de l’UE puisse négocier avec une entreprise l’absence de culture de sa (ou ses) plante(s) génétiquement modifiée(s) (PGM) sur son propre territoire [1]. Cette suggestion a été présentée comme un compromis au désaccord persistant sur la proposition faite en 2010 par la Commission européenne aux Etats membres de pouvoir interdire sur leur territoire la culture d’une ou plusieurs PGM. En effet, plusieurs Etats membres – dont la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne… – avaient des réserves, pour des raisons parfois divergentes selon les Etats : crainte que de telles interdictions nationales soient contestées à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ; refus qu’un dossier agricole, européen par excellence, connaisse une exemption nationale ; demande que les conclusions du Conseil des ministres de décembre 2008 soient mises en œuvre avant toutes nouvelles dispositions législatives sur les procédures d’autorisation. Pour rappel, ces conclusions concernaient notamment un renforcement de l’évaluation des risques liés aux PGM avant autorisation, un chantier toujours en cours [2].

Des refus de PGM à la carte

Le Danemark, qui préside actuellement l’Union européenne, propose donc qu’une négociation puisse avoir lieu entre un Etat et une entreprise. En clair, un Etat pourrait négocier avec une entreprise que l’autorisation pour la mise en culture commerciale d’une PGM donnée au niveau européen ne s’applique pas à son territoire. La culture de telle ou telle PGM y serait donc interdite. En cas d’accord, la décision d’autorisation devra faire état de cette exclusion, donnant une base juridique à cette interdiction. Si l’entreprise refuse, l’Etat membre pourra néanmoins demander à la Commission européenne d’inclure dans la décision d’autorisation que tout ou partie de son territoire soit exclu de l’autorisation finale pour la culture. Dans les deux cas, la demande de l’Etat membre devrait se baser sur des considérations socio-économiques, des considérations de risques environnementaux « complémentaires » des impacts évalués avant autorisation, des considérations de système agraire ou de pratiques agricoles locales. Enfin, la décision d’autorisation avec exclusion d’un Etat membre devra ensuite être validée par les autres Etats membres selon la procédure de comitologie classique [3].

Le texte n’évoque pas de contre-partie qu’une entreprise pourrait demander. L’objectif du Danemark et de la Commission européenne étant de débloquer les autorisations au niveau européen, on peut imaginer que l’Etat membre s’engagerait alors en retour à voter en faveur de l’autorisation pour la culture qui, bien souvent, rappelons-le, concerne également l’alimentation humaine et animale, l’importation et la transformation. Mais à ce stade, cela pose deux questions : une autorisation avec une telle exemption serait-elle incontestable juridiquement devant l’OMC [4] ? L’Etat membre sujet de l’exemption d’une culture de PGM sera-t-il toujours en mesure de prendre une mesure d’urgence ou clause de sauvegarde pour ce qui concerne l’alimentation humaine ou animale pour cette culture ? En effet, l’entreprise avec laquelle il a passé un accord ne va-t-elle pas en contrepartie tenter d’obtenir une promesse de « non agression », c’est à dire de non remise en question de utilisation de la PGM pour l’alimentation ?

Vers une disparition des comités d’experts nationaux ?

In fine, le Danemark semble bel et bien proposer une négociation commerciale. Car le chemin suivi serait : une entreprise dépose une demande d’autorisation couvrant notamment la culture. Comme c’est le cas aujourd’hui, l’AESA évalue la demande et, en cas d’avis favorable, la Commission propose aux Etats membres de délivrer une autorisation. Dans la proposition danoise, ces derniers pourraient alors évaluer le dossier en le communiquant à leurs comités d’experts afin d’établir s’ils sont favorables ou non à l’autorisation (comme c’est déjà le cas). Ou bien choisir de négocier avec l’entreprise pour que l’autorisation à la culture ne concerne pas leur territoire. Ainsi, même si l’évaluation nationale par des experts n’est pas précisément mise de côté, un tel système pourrait un jour déboucher sur une évaluation des risques au seul niveau européen, les Etats membres pouvant vouloir privilégier la négociation commerciale à la contestation scientifique. Ce qui pourrait signifier la fin des comités d’experts nationaux, rejoignant d’ailleurs une demande d’entreprises qui souhaiteraient, comme l’a expliqué récemment EuropaBio [5], que l’évaluation conduite par l’AESA serve de base aux votes des Etats membres sur les demandes d’autorisations [6].

Toujours est-il que la proposition suit la même ligne que celle défendue par la Commission européenne qui visait à morceler le dossier OGM entre Etats membres, tout en conservant la main sur l’évaluation et les autorisations finales. Il est loin d’être certain que, dans ces conditions, le compromis danois convienne mieux aux Etats membres réfractaires. De son côté, le ministère de l’Environnement français l’a répété à Inf’OGM : il reste sur sa position initiale, c’est-à-dire crainte de contestations juridiques de la décision nationale devant l’OMC, et demande de mise en œuvre des conclusions de décembre 2008 avant tout. Cette proposition va donc désormais être discutée par les Etats membres, mais aucun calendrier précis n’est connu.

[1Source Inf’OGM

[4Les enjeux juridiques de cette proposition seront analysés dans un article à paraître

[5Association européenne qui représente les intérêts de l’industrie des biotechnologies

[6« Approvals of GMOs in the European Union », EuropaBio, oct. 2011, recommandation n°3, page 7

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