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UE – OGM : Désaccords d’experts sur l’interdiction française du MON810

Par Eric MEUNIER

Publié le 24/05/2012

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Répondant au mandat de la Commission européenne reçu le 23 février 2012, les experts du groupe OGM de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) ont estimé, dans un avis publié le lundi 21 mai 2012, que les arguments scientifiques avancés par la France ne permettaient pas, globalement, de justifier l’interdiction de mise en culture du maïs MON810. Cependant, la lecture minutieuse de cet avis montre que les opinions des experts ne sont pas aussi tranchées.

Le 20 février 2012, la France adressait à la Commission européenne un mémoire présentant ses arguments scientifiques pour justifier sa décision d’interdire la mise en culture commerciale du maïs MON810 sur son territoire [1]. Ces arguments étaient classés en trois familles : la présence et persistance de la protéine insecticide Cry1Ab dans les sols et l’eau, l’apparition de résistance chez les insectes cibles de cette protéine et les impacts sur les invertébrés non cibles.

Interprétation divergentes

Dans leur réponse du 21 mai 2012 [2], les experts européens de l’AESA ont adopté cinq types de réponses : premièrement, les renvois à un avis antérieur de l’AESA pour les arguments que la France avait déjà utilisés pour justifier sa première interdiction (adoptée en 2008 et annulée par le Conseil d’État en 2011) ; deuxièmement, des désaccords scientifiques entre experts européens et experts français, comme sur la question de la persistance de la protéine Bt dans le sol ou encore celle des impacts sur les insectes non cibles dont l’AESA reconnaît l’existence mais qu’elle considère restreints ; troisièmement, les articles dont les conclusions sont lues différemment par la France et l’AESA et qui servent donc à chacun pour justifier sa position, comme l’étude de Chambers de 2010 [3] que la France met en avant pour souligner les effets négatifs du maïs MON810 sur la croissance de certains organismes aquatiques, et que l’AESA utilise en revanche pour montrer qu’il n’y a aucune différence observée en terme d’abondance de ces mêmes organismes ; quatrièmement, et a contrario, les accords sur certains articles mais pour lesquels l’AESA limite la portée ou renvoie à des plans de surveillance post-commercialisation ; et enfin, cinquièmement, les absences de réponse, c’est-à-dire les articles sur lesquels les experts de l’AESA n’apportent aucune réponse à la France. Quelle que soit l’approche adoptée, l’AESA conclut, invariablement pour chaque argument apporté, que « le groupe OGM de l’AESA considère qu’aucune nouvelle preuve scientifique […] n’était présente dans la documentation apportée par la France en appui de sa décision d’interdiction ».

Certains points sont à souligner tout particulièrement. La France avait tout d’abord pointé que « la réévaluation du MON810 publiée en 2009 n’a pas été réalisée selon les nouvelles lignes directrices publiées par l’AESA en 2010 et qui font toujours l’objet de travaux ». L’AESA ne répond pas à cette affirmation, pas plus qu’elle ne répond à la question de l’outil statistique défaillant : la France précisait aussi en effet que « la puissance statistique des expériences sur les organismes non cibles est très limitée ». Certes, les anciennes et nouvelles lignes directrices de l’AESA ne sont pas légalement contraignantes (mais fortement conseillées si les pétitionnaires ne veulent pas voir leur dossier retoqué par les experts). Mais il appartient tout de même au pétitionnaire de présenter une évaluation des risques qui soit scientifiquement correcte, et à l’AESA, évaluateur de ces risques, de juger de cette qualité à partir de ce qui lui est fourni. L’AESA a reconnu que les anciennes lignes directrices ne précisaient pas que les tests statistiques devaient être faits selon les exigences en vigueur dans ce domaine depuis plus de cinquante ans. Mais cette absence de précision n’exonère pas le pétitionnaire de sa responsabilité de présenter des dossiers scientifiquement corrects et ne valide donc évidemment pas des pratiques scientifiquement incorrectes, comme la production de tests d’une puissance clairement insuffisante. Du côté de l’AESA, le fait d’avoir validé un dossier sur la base de tests statistiques qu’elle juge elle-même inadéquats ne saurait justifier sa persistance dans l’erreur.

Des lacunes dans les données

La conclusion de l’AESA que l’interdiction française n’est pas justifiée scientifiquement est également à relativiser car, comme nous l’avons vu, elle porte principalement sur des désaccords entre experts. A partir de là, bien malin celui qui tranchera aujourd’hui entre des positions divergentes ! On peut également noter que, pour plusieurs arguments concernant les impacts sur les insectes non cibles ou l’apparition de résistance chez les insectes cibles notamment, l’AESA renvoie aux plans de surveillance post-commercialisation dont l’objectif est de détecter d’éventuels impacts ou apparition de résistance. Mais on se souvient que l’AESA avait elle-même critiqué plusieurs points de la méthodologie suivie par Monsanto pour conduire ces surveillances [4]. Par exemple, l’AESA demandait à ce que « soient inclus dans les échantillons [prélevés aux champs] les insectes cibles survivants dans les champs de maïs MON810 afin de détecter des individus potentiellement résistants ». Un tel conseil amène à se demander comment l’AESA a pu valider l’absence d’impacts sur les insectes sur base des plans de surveillances de Monsanto. Surtout, la France rappelle, à juste titre, que de tels plans de surveillance ne sont pas obligatoires, la décision d’autorisation donnée en 1998 n’en faisant pas état !

Enfin, en dernier point, la France cite encore dans son mémoire l’étude récente de Hilbeck et al., qui montre la toxicité de la protéine insecticide Bt Cry1Ab sur la coccinelle à deux points (Adalia bipunctata). En réponse, l’AESA feint de croire que l’impact évoqué est limité au seul cas décrit de ce coléoptère. Or, le point fondamental mis en évidence par cette publication est bien que la spécificité de la protéine Cry1Ab n’est pas, contrairement à ce que l’on croyait, limitée à certains papillons (lépidoptères). La sensibilité d’un coléoptère à cette toxine insecticide soulève donc des problèmes d’ampleur bien plus générale au plan environnemental que le seul cas de la coccinelle. En viendrait-on à obliger la France à renoncer à l’interdiction du MON810 au prétexte que les études nécessaires pour prendre en compte ces données nouvelles n’ont pas encore été faites ?

Quelle conséquence sur l’interdiction française du MON810 ? La Commission ne pourra agir seule. Elle pourrait par contre, sur la base de l’avis de l’AESA, proposer aux Etats membres d’obliger la France à lever son interdiction nationale. Une décision qui devra être prise à la majorité qualifiée. Mais on n’imagine mal que les sept pays disposant actuellement d’une interdiction nationale (Allemagne, Hongrie, Autriche…) la suive sur ce terrain. Prudente, la Commission a annoncé qu’elle réfléchira à cela après le Conseil européen de mi-juin.

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