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UE – Maïs OGM TC1507 : la Commission peut proposer un refus d’autorisation

Par Eric MEUNIER, Pauline VERRIERE

Publié le 05/11/2013

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Le 6 novembre, la Commission européenne discutera des suites à donner à la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) sur la demande d’autorisation pour la culture du maïs génétiquement modifié TC1507 de Pioneer. Le 26 septembre, la CJUE avait en effet jugé que la Commission avait été trop lente dans la gestion de ce dossier [1]. La Commission va donc discuter de la proposition qu’elle soumettra prochainement au Conseil des ministres de l’Environnement. La question est maintenant de savoir si la Commission va maintenir sa proposition d’autorisation initiale, ou si elle va la transformer en proposition de refus.

Le maïs TC1507 est un maïs modifié par l’entreprise Pioneer par transgenèse afin que ce maïs produise une protéine Bt insecticide contre la pyrale du maïs (Ostrinia nubilalis) et tolère des herbicides à base de phosphinothricine (PPT) dont le glufosinate d’ammonium. Autorisé à l’importation depuis novembre 2005 pour l’alimentation animale et depuis mars 2006 pour l’alimentation humaine dans l’Union européenne, ce maïs est toujours en attente d’une réponse quant à une autorisation pour la culture [2].

La Commission européenne considère qu’il lui manque des éléments d’évaluation

Comme nous l’avons déjà rapporté [3], la demande d’autorisation pour la culture déposée par Pioneer en juillet 2001 a suivi une procédure certes longue mais légitime. Sur la base de l’avis de l’Agence Européenne de Sécurité Alimentaire (AESA) et de discussions avec les États membres, la Commission européenne a présenté une proposition d’autorisation en février 2009 au Comité Permanent de la Chaîne Alimentaire et de la Santé Animale (CP CASA). Aucune majorité qualifiée ne s’étant dégagée lors de ce comité, la Commission devait logiquement présenter cette proposition au Conseil des ministres européens de l’Environnement ou de l’Agriculture « sans tarder » [4], selon la législation en vigueur (article 5, décision 1999/468). Cependant, la Commission n’a jamais franchi cette étape : c’est ce que lui a reproché Pioneer et que la CJUE a reconnu comme « un manquement à ses obligations ». Après le vote non décisif du CP CASA, la Commission européenne demandait en 2010 un avis complémentaire à l’AESA, et, suite à cet avis mitigé, en 2012, elle demandait à Pioneer de modifier le contenu de son dossier afin notamment de « proposer des mesures d’atténuation des risques pour les insectes lépidoptères non cibles ». Sur les lacunes du dossier, voir aussi l’encadré ci-dessous sur la position des experts français. Pioneer a refusé de répondre à cette sollicitation. A ce jour, la Commission européenne se voit donc obligée par la CJUE de présenter au Conseil des ministres de l’environnement une proposition de décision pour la mise en culture de ce maïs TC1507. Même si en février 2009, la Commission a présenté une proposition d’autorisation, elle pourrait légitimement changer d’avis aujourd’hui, ayant constaté un possible risque pour l’environnement que Pioneer a refusé de prendre en considération. Et ce changement de proposition d’autorisation est non seulement légitime, mais également possible légalement, contrairement à ce qu’on lit couramment dans la presse.

La Commission européenne peut modifier sa proposition

Les demandes d’autorisation des OGM doivent suivre une procédure particulière, appelée la procédure de comitologie, procédure qui a fait en 2011 l’objet de modifications [5]. La demande de Pioneer datant de 2001, c’est malgré tout l’ancienne procédure qui s’applique. Ainsi, un comité de réglementation, composé de représentants des États membres (le CP CASA), est appelé à se prononcer sur une proposition élaborée par la Commission européenne. Si ce dernier ne parvient pas à prendre de décision (à la majorité qualifiée), c’est le Conseil des ministres qui est appelé alors à voter. C’est cette dernière étape qui n’a jamais eu lieu dans le dossier du maïs TC1507. Entre le vote du comité et celui du Conseil, la Commission européenne peut légalement modifier la nature de sa proposition, sans devoir repasser par la case CP CASA.

Elle l’a d’ailleurs elle-même soutenu devant la CJUE [6] et la lecture des textes encadrant la procédure de comitologie [7] confirme, selon Inf’OGM, une telle possibilité : « Lorsque les mesures envisagées [c’est-à-dire la proposition d’autorisation de la Commission] ne sont pas conformes à l’avis du Comité [majorité qualifiée contre la proposition], ou en l’absence d’avis [pas de majorité qualifiée pour ou contre], la Commission soumet sans tarder au Conseil une proposition relative aux mesures à prendre et en informe le Parlement européen ». Si la Commission avait été tenue de soumettre le même texte au Comité et au Conseil, la réglementation européenne aurait alors parlé de « la » proposition…

Des ONG se mobilisent

Quatre associations européennes ont écrit à la Commission européenne afin qu’elle rejette cette demande d’autorisation [8]. Dans leur courrier, Greenpeace, les Amis de la Terre, EuroCoop et Ifoam listent notamment les lacunes de l’évaluation du maïs TC1507. Elles soulignent entre autres que le caractère de tolérance au glufosinate n’a pas été évalué, alors même que Pioneer « fait la promotion de ce maïs aux États-Unis comme étant tolérant au glufosinate ». Elles soulignent également une lacune concernant de potentiels impacts sur les abeilles, soulignant que « l’AESA reconnaît également le manque de données scientifiques concluantes sur les autres pollinisateurs tels que les abeilles qui pourraient être impactés négativement par la toxine produites par cette plante GM ». Une cyberaction, « Stop The Crop », a également été mise en place afin que les citoyens le souhaitant interpellent la Commission européenne.

Les experts français réservés sur la culture du maïs TC1507

Autant la Commission du Génie Biomoléculaire (CGB) en 2003 et 2005 que le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) en 2010, ont délivré au gouvernement français des avis soulevant des questions quant à la mise en culture du maïs TC1507 de Pioneer.

L’avis du HCB est le dernier en date : c’est donc l’avis de référence pour le gouvernement français qui pourrait être amené à se prononcer sur une proposition de décision présentée par la Commission européenne dans les jours qui viennent. Or, pour les membres du Comité scientifique du HCB (un des deux sous-comités de cette agence), le dossier du maïs TC1507 pour la culture amène plusieurs remarques dont :

- Pioneer ne peut conclure à l’équivalence en substance de ce maïs avec un maïs non GM du fait d’une analyse statistique des données déficientes ;

- des cas de ravageurs ayant développé une résistance à la protéine insecticide exprimée par ce maïs (Cry1F) ont été détectés (à Porto-Rico). Or ces ravageurs sont présents dans les DOM TOM ;

- les plans de surveillance post-commercialisation proposés par l’entreprise ne sont pas suffisamment détaillés pour permettre de juger de leur efficacité.

De son côté, le second sous-comité du HCB, le Comité éthique, économique et social (CEES), a également soulevé certaines questions (avec des positions divergentes exprimées par certains de ses membres). S’il souligne certains avantages agronomiques apportés pas ce maïs, il estime, cependant, que des données complémentaires sont nécessaires pour mieux juger des avantages et inconvénients à mettre en culture en France ce maïs, notamment au regard du cas de résistance apparu à Porto Rico. Il s’est également « interrogé sur la possibilité de projections économiques fiables pour la France » pour évaluer le gain économique procuré par la culture de ce maïs, constatant notamment des lacunes de données de coûts des semences de maïs TC1507, de prix de vente des récoltes… Enfin, le CEES a surtout préconisé une série de mesures qui devraient accompagner une potentielle décision d’autorisation, parmi lesquelles on retrouve une fois de plus l’amélioration du plan de surveillance post-commercialisation. Le CEES a également considéré que des « adaptations et clarifications du droit » étaient nécessaires pour, notamment, « éviter que les agriculteurs sélectionnant des semences paysannes ne soient (…) poursuivis en contre-façon s’ils ré-ensemencent leur champ avec une variété qu’ils ont eux-mêmes développée et qui contient une présence fortuite d’ADN transgénique breveté » !

[2Inf’OGM, « Maïs TC1507 », Inf’OGM, 21 décembre 2017

[3cf. note 1

[4Pour la CJUE, « en employant l’expression « sans tarder », le législateur de l’Union, tout en ordonnant à la Commission d’agir avec rapidité, lui a laissé une certaine marge de manœuvre (…) », mais elle rappelle que selon la directive 2001/18, « une décision relative à la demande de mise sur le marché est adoptée et publiée dans un délai de 120 jours », délai qui ne tient pas compte de l’attente éventuelle de précision de la part de l’entreprise…

[6CJUE, 26 septembre 2013, Pioneer Hi-Bred International contre Commission européenne, T-164/10. « La Commission a toutefois fait valoir lors de l’audience, que le nouvel avis de l’EFSA d’octobre 2011 impliquait des modifications de la notification de la requérante qui entraîneraient des modifications substantielles de la proposition de la décision »

[7décision 1999/468/CE

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