n°108 - janvier / février 2011Fiche technique / Etat des lieux

Roumanie : cheval de Troie des OGM dans l’UE ?

Par Christophe NOISETTE et Ramona Duminicioiu (InfOMG)

Publié le 10/01/2011

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Les vingt dernières années en Roumanie ont vu la restructuration de l’agriculture issue du système communiste vers un système libéral de type « économie de marché ». Avec l’adhésion à l’Union européenne en 2007, la Roumanie a commencé à faire face à une nouvelle série de problèmes : la transformation de l’agriculture roumaine, comme évoqué plus haut, va vite, très vite, et il n’est pas impossible que le visage de l’agriculture roumaine ressemble, dans vingt ans, à celui des autres pays de l’Union européenne : concentration des terres, agrandissement des exploitations agricoles, exode rural, utilisation de semences hybrides et mécanisation.

La Roumanie est un pays d’agriculteurs. Cela ne peut échapper aux voyageurs… Partout des paysans fauchent, travaillent la terre, souvent avec pour seul soutien, le cheval. La population active est pour un tiers agricole. Ce pourcentage a tendance à diminuer assez rapidement. Il serait d’après les services officiels roumains autour de 28% en 2008, alors qu’il était encore à 35% en 2003. On estime donc la population active agricole à plus de 2,6 millions, soit une baisse de près de un million en cinq ans. En parallèle, on note une augmentation de l’émigration roumaine vers les autres pays de l’Union européenne, l’Australie, ou le Canada. A titre indicatif, en France, la population active agricole est inférieure à 3% avec 805 857 emplois dans l’agriculture en 2007 (selon l’Insee).

Au niveau de la mécanisation, la différence entre la France et la Roumanie est là encore assez importante. D’après la FAO, en 2007, la Roumanie comptait 174 000 tracteurs, alors qu’en France, il y avait 1,135 million de tracteurs, soit plus d’un tracteur par actif agricole (et en proportion vingt fois plus qu’en Roumanie).

Une agriculture duale


Roumanie : parcellaire très morcelé
Copyleft : Christophe Noisette, L’aire de rien
Contrairement à la plupart des pays européens, les agriculteurs roumains sont clairement divisés en deux classes : d’un côté 2,6 millions de fermes de moins d’un hectare qui pratiquent une agriculture paysanne, et de l’autre 9 600 exploitations agricoles de plus de 100 hectares. Ce sont ces grandes exploitations qui perçoivent la plus grosse part des subventions agricoles. En France, la taille moyenne des exploitations agricoles était, en 2000, de 42 hectares (contre 15 hectares en 1955, ce qui s’est accompagné d’une très forte diminution de leur nombre). En 2006, on comptait environ 350 000 exploitations agricoles en France [1].

La topographie de la Roumanie, contrastée elle aussi, explique en partie cette dualité de l’agriculture : à l’est et au nord du pays, de larges zones de montagnes (Transylvanie, Valachie, Moldavie) ; à l’ouest et au sud, une plaine fertile où se pratique une agriculture intensive. Ce sont dans ces plaines que les champs de plantes génétiquement modifiées étaient majoritairement recensés. On le dit souvent, et l’exemple de la Roumanie le confirme, les OGM sont d’autant plus intéressants que les fermes ont une grande superficie.

La Roumanie est à la fois exportatrice de matières premières agricoles et importatrice de produits alimentaires finis. En 2005, les produits transformés représentaient 68% des importations tandis que les produits non transformés représentaient 59% des exportations. En 2009, la Roumanie était le cinquième producteur agricole dans l’Union européenne, et pourtant elle a importé des produits agroalimentaires pour une valeur de 3,7 milliards d’euros. Ce déséquilibre est lié au fait que les grands exploitants qui fonctionnent sur fonds publics – subventions – étouffent le marché avec des matières premières qu’ils exportent à bas prix, sans les transformer.

Abandon du soja GM et introduction du maïs Mon810

Les cultures transgéniques en Roumanie ne sont pas un phénomène récent. Les premières PGM ont été introduites en Roumanie dès 1998 avec l’autorisation de 14 variétés de soja pour la culture commerciale, alors qu’aucune législation ne permettait d’assurer l’évaluation ou le suivi de ces cultures. A cette époque, le soja GM était considéré du point de vue législatif équivalent aux variétés conventionnelles. Les premières statistiques officielles pour le soja GM datent de 2004. Les surfaces semées de soja GM étaient de 5 523 hectares en 2004, 87 600 en 2005 et 137 275 en 2006. Lorsque la Roumanie est devenue membre de l’UE en 2007, la culture du soja GM a été officiellement interdite en Roumanie, conformément à la réglementation européenne. En effet aucun soja GM n’est autorisé pour la culture dans l’UE.

La même année, autre conséquence de l’entrée dans l’UE, c’est le fameux maïs Mon810 qui a été autorisé à la culture sur le territoire roumain. Les ONG dénoncent une autorisation qui s’est faite automatiquement, sans consultation publique, et sans que soient menées des études indépendantes sur l’impact des cultures de maïs GM sur l’environnement et l’agriculture roumaine. D’ailleurs, actuellement, la conduite de telles études n’est toujours pas prévue par la réglementation.

Or, la Roumanie est un pays où le maïs appartient au patrimoine culturel et une partie de la gastronomie roumaine s’est élaborée autour du maïs (comme la mamaliga). Ainsi, dans ce pays, on trouve une très large diversité génétique de variétés traditionnelles de maïs. Les presque trois millions d’hectares plantés avec du maïs conventionnel, bio ou traditionnel (c’est-à-dire utilisant des semences non hybrides) sont donc exposés à la contamination.

Mais l’engouement initial pour le maïs Mon810 – de 332 ha en 2007, on est passé à 6 130 ha en 2008 – s‘est très vite tari, avec seulement 3244 ha en 2009 et 823 ha en 2010. En effet, le Mon810 est génétiquement modifié pour produire un insecticide contre la pyrale (Ostrinia nubilalis), un parasite qui n’a pas une présence significative en Roumanie. Cet OGM n’a donc pas vraiment d’intérêt pour les agriculteurs roumains. Par ailleurs, l’ONG Green Agent précise qu’en 2007, dans le comté de Lasi, le maïs Mon810 a très mal supporté la sécheresse.

La Roumanie défend les PGM dans l’UE

Depuis 2007, la Roumanie a toujours défendu une position en faveur des OGM dans le débat européen. Lors des votes sur les autorisations (ou la levée des clauses de sauvegarde), la Roumanie a été soit en faveur des OGM, soit s’est abstenue. Or la Roumanie avec ses 14 votes est un État important, le septième en nombre de voix. Ainsi, par exemple, elle a voté pour la levée du moratoire autrichien sur le T25 et le moratoire français sur le Mon810, s’est abstenue pour les moratoires autrichien et hongrois sur le Mon810. Autre exemple, la Roumanie a voté pour l’autorisation du maïs Mir604, et s’est abstenue en juillet 2007 sur la demande d’autoriser la pomme de terre Amflora.

Cette situation risque de perdurer dans les années à venir. En effet, en septembre 2010, Valeriu Tabara a été nommé ministre de l’Agriculture. Cet ancien communiste est connu pour ses liaisons avec l’industrie agro-chimique et cela depuis des années. Il a joué un rôle clé en faveur de l’introduction des PGM en Roumanie et cela dès la fin des années 90 avec les premières cultures de soja transgénique. D’ailleurs, à plusieurs reprises, en 2007 et en 2010, le ministre de l’Agriculture a déclaré à la presse qu’il soutiendrait l’autorisation de la culture de soja GM devant les institutions européennes. Il justifie ses déclarations [2] par « les avantages évidents au niveau agricole » et « les résultats positifs pour l’économie roumaine » que la culture de ce soja a engendrés. Comme le note InfOMG [3], la Roumanie a été un des rares pays au monde à présenter des statistiques donnant des rendements à l’hectare plus importants dans le cas des cultures de soja GM par rapport au soja conventionnel. La société civile n’a jamais pu vérifier l’authenticité de ces « performances ».

Enfin, Valeriu Tabara ne fait pas mystère de ses conflits d’intérêts. Selon sa dernière déclaration sur ce sujet, il reste en contact avec Monsanto même en étant ministre de l’Agriculture : « Il n’y a rien de secret ni d’illégal ». Ce qu’il ne dit plus c’est qu’il a travaillé pour Monsanto, comme en témoigne son CV téléchargé à partir du site du Parlement roumain, le 2 juin 2006. Ce CV a depuis été expurgé de toute référence à Monsanto.

La position pro-OGM du gouvernement roumain se manifeste aussi par le nombre d’essais en champs de PGM que ce pays accueille. Si l’Espagne reste, sans surprise, le grand leader des essais en champs, la Roumanie vient juste après… En 2008, la première accueillait 45 essais en champs sur 84 en Europe (soit 54%), et en 2009, 61 essais sur 98 (soit 62%). La Roumanie, elle, accueillait, en 2008, 9 essais (soit 11%) et 21 en 2009 (soit 22%) [4]. En 2010, le nombre d’essais roumains a encore augmenté atteignant 33 essais.

La réglementation n’est pas appliquée

La législation roumaine dans le domaine des OGM est le résultat d’une harmonisation hâtive des normes nationales avec les directives européennes. La Roumanie est l’État qui a le plus de lois pour réglementer les OGM (au nombre de 27). Cela aboutit à une réglementation compliquée qui laisse une grande place à l’interprétation. Sur ces 27 textes, 20 sont des décisions gouvernementales d’urgence ou des ordonnances ministérielles, donc sans débat parlementaire. Et à plus forte raison sans débat public.

Dans l’UE, la coexistence et, son corolaire, la responsabilité sont gérées au niveau national. Actuellement, la loi roumaine impose une distance de 200 mètres entre champs GM et non GM. En cas de contamination, c’est l’agriculteur qui cultive des PGM qui est responsable, théoriquement. Jusqu’à présent, il n’y a eu aucune plainte pour contamination, ce qui ne signifie pas l’absence de contamination. Mais les agriculteurs n’ont pas les moyens financiers et techniques pour faire des contrôles.

Au-delà des textes, ce qui pose le plus problème est la mise en œuvre de cette réglementation. L’exemple de l’interdiction de la culture du soja GM est caractéristique. C’est avec un grand laxisme que le gouvernement a « surveillé » les champs, et aucune amende ou pénalité n’a été infligée aux agriculteurs qui n’avaient pas respecté l’interdiction nouvellement proclamée.

En outre, le registre national des OGM en 2006 montre que les autorités n’avaient aucun contrôle sur la culture du soja génétiquement modifié même quand il était autorisé en Roumanie. Dans les registres il y a en effet de nombreux cas de données manquantes (localisation des cultures, taille des parcelles, variétés cultivées, origine des semences, destination de la production, etc.), erronées ou transformées (par exemple erreurs arithmétiques de base sur le total des surfaces, etc.).

Comme l’oblige la législation européenne, la législation roumaine prévoit l’étiquetage des produits génétiquement modifiés comme étant obligatoire depuis juin 2006 (Loi 106/2002 – complété par la Décision Gouvernementale 173/2006). Mais la loi n’est pas mise en œuvre. Pour l’instant il n’existe pas même un aliment commercialisé en Roumanie qui soit étiqueté comme OGM ou en contenant. Les consommateurs en Roumanie sont donc privés du droit de choisir des produits non-GM, n’étant pas en mesure d’identifier les produits génétiquement modifiés par une simple consultation de l’étiquette malgré la présence, depuis 2007, d’un laboratoire agréé par l’UE pour tester les OGM.

L’opposition aux OGM est le fait des autorités locales et des consommateurs

En Roumanie, il y a à ce jour 57 autorités locales et 24 restaurants qui se sont publiquement déclarés comme Zone Sans OGM. Ils ont signé une déclaration d’intention visant à interdire les organismes génétiquement modifiés et demandant aux autorités et politiciens nationaux de s’assurer que les intérêts des agriculteurs en Roumanie qui souhaitent produire des cultures non-GM seront protégés par la loi. Les 57 autorités locales se sont également obligées à utiliser des moyens démocratiques, tels que des conférences et autres activités éducatives visant à persuader les agriculteurs de ne pas cultiver des plantes GM.

En mai 2010, InfOMG a commandé un sondage national d’opinion à OMNIBUS. 81,5% des roumains veulent que les autorités interdisent les OGM et 74,1% ne veulent pas manger d’OGM.

En conclusion, la Roumanie est un pays qui a un grand potentiel agricole et où la majorité des citoyens et des agriculteurs ne veulent pas de PGM. Or, jusqu’à présent, les autorités jouent le jeu de l’industrie biotechnologique, en Roumanie même mais aussi au niveau de l’Union européenne. Pour longtemps ?

[3InfOMG est une veille citoyenne d’information sur les OGM en Roumanie : http://www.infomg.ro 

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