n°100 - septembre / octobre 2009

Rendre les semences aux paysans : un pas dur à franchir pour les biopirates (privés ou publics) (*)

Par Anne-Charlotte MOY

Publié le 01/09/2009, modifié le 01/12/2023

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Le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa) est entré en vigueur fin 2004 et a été ratifié, à ce jour, par 120 Etats. Ses objectifs sont la conservation et l’utilisation durable des ressources phytogénétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation (Art. 1). L’Organe directeur, composé des représentants de toutes les Parties contractantes, se réunit au moins une fois tous les deux ans. Lors de sa troisième session, qui s’est tenue du 1er au 5 juin dernier à Tunis, les pays riches qui soutiennent les demandes de l’industrie semencière et pharmaceutique (accès libre et gratuit à l’ensemble des ressources phytogénétiques, protection des droits de propriété intellectuelle – DPI) se sont une nouvelle fois opposés aux défenseurs des droits des agriculteurs [1].

 

Dire que les ressources phytogénétiques représentent un bien commun de l’humanité peut sembler une bonne chose : tout le monde se doit de les préserver et elles sont librement accessibles pour tous. Mais c’est justement cet accès libre qui permet à l’industrie de s’approprier les semences paysannes avec les DPI après les avoir modifiées, puis de les revendre aux paysans, alors que ce sont ces mêmes paysans qui les premiers ont sélectionné et conservé l’ensemble de ces ressources.

Le patrimoine commun de l’humanité : un cadeau empoisonné ?

Les pays du Sud ont contesté la légitimité de ce pillage. En 1992 dans le cadre de la Convention sur la biodiversité (CBD), la souveraineté des Etats sur leurs ressources a remplacé la notion de patrimoine commun de l’humanité. L’article 9 du Tirpaa reconnaît « l’énorme contribution que les communautés locales et autochtones ainsi que les agriculteurs […] ont apporté et continueront d’apporter à la conservation et à la mise en valeur des ressources phytogénétiques » et leurs droits qui en découlent. Mais l’illusoire partage des bénéfices, proposé pour faire accepter les DPI sur les semences, entraîne la poursuite du même pillage.

Pour permettre aux industries du Nord de continuer à avoir librement accès aux ressources du Sud, le Tirpaa a proposé un système multilatéral d’accès aux ressources et de partage des bénéfices. Cela signifie que toute partie (Etat ou personne privée) qui met ses propres ressources à la disposition du système multilatéral a librement accès à l’ensemble des ressources qui y ont été cédées par les autres parties. Cet accès est libre pour la conservation, la recherche ou la formation, l’accès des agriculteurs restant soumis au bon vouloir des Etats. En contrepartie, les Etats signataires s’engagent à respecter les « droits des agriculteurs ». Mais l’application de ces droits reste sous leur seule responsabilité, et sous réserve de leurs lois nationales. Alors que la plupart des pays les ignorent totalement, certains tolèrent hors du cadre légal les échanges informels de semences entre agriculteurs et quelques rares pays les transcrivent partiellement dans leur législation nationale (Brésil, Inde, Pérou, Equateur, Suisse…).

Qui va payer ?

Le premier point traité lors de la réunion de Tunis concernait le financement du secrétariat du Traité et donc de l’application de ses missions. Il dépend d’une contribution volontaire de chaque Etat, proportionnelle à ses richesses, mais de nombreux pays riches refusent de payer. Selon Guy Kastler, représentant de la Via Campesina, « la France – qui n’a jamais rien versé au Traité avant les 50 000 dollars proposés à Tunis, alors qu’elle devrait payer dix fois plus – déclare s’acquitter de sa contribution par des accords bilatéraux de coopération qu’elle négocie elle-même. Cela lui permet, au nom de l’aide au développement des capacités juridiques des pays pauvres, de leur imposer le modèle des lois semencières françaises qui nient les droits des paysans au profit des droits des obtenteurs ». Des fondations privées comme Rockefeller ou Bill Gates financent des banques de gènes ex situ à disposition de l’industrie, tandis que le Traité n’a pas d’argent pour la conservation in situ entre les mains des paysans.

La difficile réalisation d’un fonds de partage des avantages

Le second compromis abordé à Tunis touche à la constitution d’un fonds pour le partage des bénéfices, alimenté par les brevets issus des ressources génétiques provenant du système multilatéral (art. 13). Dès l’ouverture de la réunion, la FAO a publié « un communiqué triomphal annonçant le démarrage du fonctionnement du mécanisme de partage des bénéfices », selon Guy Kastler. Mais, précise-t-il, la réalité est toute différente. En effet, si ce fonds a effectivement décidé d’attribuer 550 000 dollars à une dizaine de projets destinés à « récompenser les paysans des pays pauvres pour avoir conservé et propagé des variétés de plantes susceptibles de sauvegarder la sécurité alimentaire mondiale », aucune organisation paysanne ne recevra la moindre somme : seules des institutions officielles et des Universités recevront ces fonds. Par ailleurs, malgré plus de 100 000 contrats d’échanges de ressources signés depuis deux ans, le fonds a récolté très peu d’argent depuis son démarrage. Ce sont donc la Norvège, l’Italie, l’Espagne et la Suisse qui ont alimenté son capital pour « l’aider à démarrer ». Mais d’une part, les grosses multinationales semencières qui utilisent encore le brevet sur les variétés, seul type de DPI pour lequel l’industrie doit obligatoirement alimenter le Fonds, sont pour la plupart domiciliées aux Etats-Unis qui n’adhèrent pas au Traité. D’autre part, les Certificats d’Obtention Végétale (COV), accompagnés ou non du brevet sur le gène et qui n’impliquent aucune obligation de contribution au fonds, se généralisent. Pour trouver une solution, les pays du Sud souhaitent un mécanisme contraignant de financement mais jusqu’à aujourd’hui, seule la Norvège, où l’agriculture est peu importante, a répondu favorablement en payant une contribution proportionnelle aux ventes de semences sur son territoire.

Droits des agriculteurs

Le Brésil a présenté au nom de la majorité des pays du Sud un projet de déclaration ambitieux sur les droits des agriculteurs. Malheureusement, celui-ci n’a été retenu qu’a minima suite à l’opposition vive du Canada qui s’exprimait au nom de l’Amérique du Nord, Etats-Unis compris. Le premier projet de déclaration demandait aux pays membres d’évaluer, et si nécessaire de corriger, les mesures nationales susceptibles d’affecter la réalisation des droits des agriculteurs mais la déclaration finale se contente d’inviter chaque partie à envisager de le faire, sans retenir aucun effet contraignant. Ensuite, le Canada a obtenu que la réalisation d’ateliers régionaux sur les droits des agriculteurs et impliquant la participation des organisations d’agriculteurs et des ONG concernées, soit conditionnée par les fonds disponibles… mais comme leur financement dépendent des Etats les plus riches, il n’est pas certain que ces ateliers puissent se tenir.
L’Europe n’avait quant à elle pas de raison de s’opposer frontalement à la proposition du Brésil, puisqu’elle n’entrait pas en contradiction avec la Convention de l’Union pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) qui s’applique sur son territoire, et qui prétend respecter les droits des agriculteurs. En effet, selon cette convention, les agriculteurs ont le droit d’utiliser leurs semences de ferme et peuvent protéger leurs savoirs en déposant des COV. Mais Guy Kastler rappelle, d’une part, que « l’utilisation des semences de ferme dépend du bon vouloir des Etats et est soumise au paiement de royalties, et que, d’autre part, le COV exige le respect des critères d’homogénéité et de stabilité antinomiques de la nature même des semences paysannes diversifiées et malléables ». De plus, l’UPOV légalise la biopiraterie en autorisant l’appropriation de variétés découvertes sans aucune obligation d’indication de leur origine et donc sans aucun partage des bénéfices.

Une note d’espoir

Le Comité International de Planification pour la souveraineté alimentaire [2] a appelé à la création d’une coalition d’Etats favorables à une mise en œuvre immédiate des droits des agriculteurs. La Via Campesina a ensuite émis l’idée de taxer l’achat de semences non librement reproductibles de l’industrie (cause principale de la disparition de la biodiversité cultivée) en vue de financer les banques de semences locales gérées par la communauté ainsi que la sélection participative. Ces propositions ont été bien reçues par les Etats du Sud et par certains Etats du Nord favorables à la reconnaissance des droits des agriculteurs : affaire à suivre…

[1protection des connaissances traditionnelles, partage équitable des bénéfices, participation aux décisions nationales, conserver, utiliser, échanger et vendre les semences de ferme

[2qui regroupe les organisations de petits paysans, d’éleveurs, de pêcheurs et des peuples indigènes interlocuteurs de la FAO et du Tirpaa

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