Le colza génétiquement modifié est cultivé au Canada depuis 1996. Monsanto Canada est autorisé à utiliser la technologie mise au point par la firme Monsanto permettant de rendre les plantations de colza résistantes au glyphosate contenu dans l’herbicide à large spectre produit par la firme, le Round Up, ainsi qu’à mettre sur le marché une variété de colza génétiquement modifiée, connue sous le nom
de colza Round Up Ready (RR). Dans la gestion d’une exploitation, le colza RR présenterait l’intérêt de réduire les coûts de lutte contre les mauvaises herbes. Le colza est une culture de première importance dans l’Ouest du Canada et, jusqu’à récemment, les agriculteurs ont pu réussir à le vendre aux producteurs internationaux d’huile alimentaire et d’aliments pour le bétail. Aujourd’hui, six ans après la mise sur le marché du colza génétiquement modifié, 40% des agriculteurs de l’Ouest du Canada l’ont adopté.
Le colza de Schmeiser
Percy Schmeiser cultive le colza depuis des dizaines d’années et a développé sa propre variété locale. A l’instar de nombreux autres agriculteurs canadiens, il faisait confiance à la semence produite sur sa propre exploitation. Elle lui fournissait une bonne récolte et était relativement résistante aux maladies et dépourvue de mauvaises herbes. Depuis 1996, beaucoup de ses voisins ont adopté le colza RR et signé des contrats avec Monsanto qui spécifient les obligations réciproques et requièrent des agriculteurs qu’ils paient une redevance pour le droit d’utiliser l’invention de la firme.
En 1998, Monsanto informa Schmeiser que la firme avait la preuve que du colza RR avait été découvert dans ses champs et engagea des poursuites judiciaires contre lui. La firme déclara qu’il s’était délibérément procuré du colza génétiquement modifié sous licence Monsanto, l’avait planté et récolté et avait conservé des semences de sa récolte de 1997 afin de les replanter. Plus tard, devant la cour, Monsanto retira ces accusions en s’en tenant à la présence non autorisée de colza RR sur les terres de Schmeiser. La firme déclara que son droit de brevet avait été violé et réclama des dommages et intérêts couvrant le prix de la redevance, un pourcentage sur les bénéfices provenant de la récolte de 1998 et une amende dissuasive.
En mars 2001, le juge Mackay, de la Cour fédérale du Canada rendit un jugement en faveur du détenteur du brevet, déclarant que selon toute évidence, tout indiquait qu’ « il était fort probable que Schmeiser avait agi sans l’autorisation de Monsanto » et qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il avait du colza génétiquement modifié sur ses terres.
Genèse de l’affaire
En juillet 1997, Schmeiser pulvérisa comme d’habitude du Round Up sur les mauvaises herbes et les plants de colza qui s’étaient répandus d’eux-mêmes sur le pourtour de ses champs. Il découvrit que beaucoup de plants de colza poussant le long de la route principale, autour des pylônes d’électricité ainsi que dans les fossés le long de cette route avaient survécu au traitement et ces derniers se montrèrent aussi résistants à une seconde pulvérisation deux semaines plus tard. A la fin de la saison, Schmeiser moissonna sa récolte, fit nettoyer ses semences par une entreprise des environs et, comme d’habitude, en conserva une partie pour la saison suivante.
En 1998, lorsque Monsanto accusa Schmeiser d’avoir transgressé son droit de brevet, son avocat lui conseilla de ne pas utiliser la semence de sa récolte de 1998 pour la planter en 1999 mais de vendre la totalité de sa récolte. De cette manière il pourrait éviter toute future accusation de cultiver illégalement du colza génétiquement modifié. Malgré cela, sa récolte de 1999 présenta aussi des signes de contamination par des gènes modifiés. Que ce soit parce que les nouvelles semences étaient déjà contaminées ou que le sol même des terres de Schmeiser contenait des graines de colza qui s’étaient plantées d’elles-mêmes ou avaient été apportées par le vent, la cause de cette contamination n’a pas pu être prouvée.
Le gène responsable de la résistance au glyphosate est un gène dominant et le colza est une plante à fécondation croisée. Quand un plant génétiquement modifié se croise avec du colza traditionnel, la résistance à l’herbicide peut être transmise à la génération suivante. [...]
Schmeiser finança une analyse indépendante qui fut conduite par l’Université du Manitoba. Les résultats de ces tests ont montré que la contamination se situait entre 0 et 58% alors que les échantillons prélevés par Monsanto présentaient un taux de contamination beaucoup plus élevé.
Devant la Cour, Schmeiser ne nia pas la possibilité que le colza RR ait pu se répandre de lui-même sur son exploitation. Il déclara qu’il n’avait jamais délibérément planté de semences génétiquement modifiées. D’après lui, même si Monsanto détient le brevet sur la construction du gène et possède le savoir-faire technologique, la firme n’a pas fait grand chose pour maîtriser le produit qu’elle a disséminé dans l’environnement. En conséquence de quoi, le travail de Schmeiser en tant que sélectionneur, sa variété de colza, son sol et ses bénéfices ont subi de sérieux dommages.
Schmeiser a rejeté la demande de Monsanto de payer une redevance pour l’utilisation de son invention brevetée. En réponse à l’accusation de « détention » il déclara que la « détention » seule ne violait pas le brevet de Monsanto. Le brevet n’aurait été violé que s’il avait pulvérisé du Round Up et utilisé ainsi la propriété du gène de résistance au glyphosate. Or, Schmeiser considérait sa culture comme une culture traditionnelle et, en tant que telle, vulnérable au Round Up.
La justice face à de nouveaux enjeux
Le cas Schmeiser est la première tentative de Monsanto de mettre en pratique ses droits de brevet et, devant la Cour, il apparut rapidement que le système juridique devait faire face à des questions nouvelles et complexes. La loi sur le brevetage industriel a fourni le cadre de réglementation des droits pouvant être revendiqués par les détenteurs de brevets. Ce cadre peut concerner soit le cas où le gène breveté se trouve incorporé par hasard et selon des processus naturels autonomes dans des semences non ciblées, soit celui où il se retrouve implanté dans des terres destinées à produire du colza traditionnel. Pour la plupart des observateurs ce fut là le nœud de la question et la raison pour laquelle le cas a été suivi aussi attentivement. Il a mis très nettement en lumière la manière dont les firmes biotech sont en train de définir de nouveaux contextes pour l’agriculture, la médecine et l’environnement, et l’insuffisance de systèmes juridiques fondés sur des précédents industriels datant du 19ème siècle pour traiter le cas d’organismes se reproduisant comme les plantes. Quel recours peuvent avoir les agriculteurs si leurs moyens fondamentaux de production - et en l’occurrence, les semences et la terre - ont été contaminés par des OGM brevetés disséminés dans l’environnement par une firme commerciale ?
Une question de droit civil
Monsanto produit des semences de colza génétiquement modifié sous un brevet qui en interdit la réutilisation pour les semis suivants. La firme a fréquemment recours aux services de tiers pour opérer des vérifications ponctuelles afin de s’assurer qu’aucune plantation non-autorisée n’est effectuée. Monsanto encourage aussi la dénonciation de toute présomption d’utilisation illégale de son produit breveté. Elle déclare que ses inspecteurs ont reçu des rapports de la part des voisins et des entreprises locales de nettoyage de semences affirmant que Schmeiser avait du colza RR sur ses terres et que des échantillons avaient été prélevés pour déterminer l’existence et l’étendue de cette infraction.
Pendant le procès, il a été fait référence au droit civil concernant la légalité de cette procédure d’échantillonnage. Des échantillons, par exemple, pris d’habitude par les entreprises chargées du nettoyage des semences pour des contrôles de qualité, ont été utilisés pour vérifier si les gènes de
Monsanto étaient présents dans les cultures de Schmeiser. Les résultats de ces vérifications ponctuelles et la manière avec laquelle des échantillons ont été prélevés pour expertise dans les champs de Schmeiser soulèvent plusieurs questions. Elles concernent non seulement la transparence du procédé d’échantillonnage mais aussi - lors de conflits sur des brevets - les limites de la protection du droit de propriété individuelle de l’agriculteur en cas d’infraction au code civil. Dans le droit canadien, le détenteur de brevet semblerait avoir le pouvoir considérable d’accéder à la propriété d’un agriculteur (semences et champs) dans le but de procéder à des inspections et des contrôles d’échantillons.
Les droits des agriculteurs et des sélectionneurs
Le droit ancestral des agriculteurs de conserver et d’utiliser les semences pour développer de nouvelles variétés et pour les replanter peut aussi être considéré comme ancré dans le droit coutumier. Dans le jugement de la cour canadienne, aucune considération n’a été portée à cette question ni à celle des droits des sélectionneurs. L’argument principal étant que, sous la loi canadienne, un brevet est considéré « valable en l’absence de preuve du contraire ». Et c’est au défendant que revient la charge de la preuve. Ainsi, Schmeiser a eu à prouver l’origine de la contamination et si oui ou non il avait suivi les procédures établies par Monsanto pour traiter ce problème.
Les droits des sélectionneurs figurent aussi dans ce débat pour savoir si la protection des caractéristiques d’une plante (gènes) est justifiée. Le jugement rendu pour le cas Schmeiser semble indiquer que le brevet de protection sur les gènes a été confirmé non seulement pour les variétés dans lesquelles ils sont introduits mais aussi pour les plantes où les gènes ont été introduits par les voies naturelles telle que la fertilisation croisée. Cela va à l’encontre de l’esprit de la législation protégeant les droits des sélectionneurs qui a été établie précisément parce que la loi sur les brevets n’était pas en mesure de résoudre des questions telles que la nature auto-reproductrice du sujet breveté et l’hétérogénéité des variétés végétales.
[...] Ce jugement signifie par conséquent que les agriculteurs dont les cultures ont été contaminées par des semences génétiquement modifiées sous brevet perdent tout droit sur leur récolte ainsi que celui de conserver des semences pour continuer leurs cultures. De plus, comme il est inévitable qu’il reste des semences dans les champs, leurs terres ne peuvent plus convenir pour des cultures dépourvues d’OGM. Cela pose problème particulièrement pour les agriculteurs produisant pour le marché biologique ou sans OGM. Le professeur Ann Clarke de l’Université de Guelph (Canada) fait observer qu’il n’existe probablement plus aucune ferme du Canada occidental indemne de colza RR dans son sol et remarque que, à la suite d’une contamination accidentelle, la semence de colza, dans les conditions canadiennes, pouvait rester « dormante » pendant une dizaine d’années et même plus longtemps. Cela ne permet donc plus aux agriculteurs de cultiver du colza conventionnel car s’ils le font et que du colza modifié sous brevet pousse, ils pourraient être susceptibles d’être poursuivis.
Contamination et responsabilité
Au Canada, Monsanto s’est vu accorder l’autorisation de répandre le gène de tolérance au Round Up dans l’environnement sous prétexte qu’il n’y avait pas de différence fondamentale entre le colza génétiquement modifié et le colza non génétiquement modifié et de ce fait, aucun indice pouvant laisser penser que cela présenterait un danger pour les êtres humains ou l’environnement. C’est le principe « d’équivalence en substance ».
Il apparaît toutefois que les agriculteurs qui voudraient cultiver du colza non génétiquement modifié ne peuvent pas faire grand chose pour empêcher le type de contamination qui s’est produit sur l’exploitation de Schmeiser.
Même si les semences de colza sont transportées dans des wagons couverts et que les mesures de stockage sont extrêmement strictes, il est difficile d’imaginer comment la dissémination pourrait être empêchée dans une culture en plein champs comme celle du colza.
Alors que les promoteurs de l’industrie biotech assurent que de bonnes conduites agricoles peuvent empêcher les cultures transgéniques de devenir des super mauvaises herbes, le groupe d’experts de la Société Royale conclut que « cette vision peut être excessivement simpliste. Dans la réalité, l’erreur humaine et les impondérables peuvent souvent compromettre les conduites sur de pareilles cultures ».
Il semble inévitable qu’un juge, suivant les prescriptions strictes d’une loi sur le brevet, ait arbitré dans ce cas en faveur de Monsanto. Assurément l’objet breveté a été trouvé en possession d’un agriculteur qui n’avait ni licence d’utilisation ni contrat. Monsanto a fréquemment recours aux menaces de poursuites pour protéger ses droits. Le cas Schmeiser est le premier qui va jusqu’au procès et met en lumière la tension croissante existant entre les agriculteurs et les grandes firmes de biotechnologies agricoles dont les plantes « high tech » sont en train de transformer les relations dans la production agricole. Un porte-parole du syndicat national des agriculteurs du Canada -National Farmers Union of Canada -représentant 300 000 agriculteurs a affirmé que son syndicat était « extrêmement préoccupé par la responsabilité qui peut incomber aux agriculteurs en particulier en cas de pollinisation croisée avec des plantes génétiquement modifiées ». National Farm Union of Canada a appelé à un moratoire pour la production, la distribution et l’importation des aliments génétiquement modifiés, alors qu’aux Etats-Unis d’Amérique, le syndicat agricole, the National Farmer Union,appuie un projet de moratoire sur l’introduction, la certification et la commercialisation des produits des plantes génétiquement modifiées. Les agriculteurs s’inquiètent du fait que les questions de pollinisation croisée, de responsabilité, de ségrégation des produits et des stocks ainsi que l’acceptabilité des marchés n’aient pas été prises en compte de manière satisfaisante.
L’inquiétude sur les conséquences des cultures génétiquement modifiées s’exprime aussi dans d’autres régions. Dans le Nord Dakota (Etats-Unis d’Amérique) par exemple, un projet de loi soutenu par les producteurs de blé de cet Etat, recommande un moratoire sur le blé génétiquement modifié que Monsanto espère introduire en 2003. En Oklahoma, un autre état de la ceinture céréalière des Etats-Unis, le Secrétaire de l’Agriculture, David Howard a affirmé : « Après avoir examiné les contrats
de 2001 de Monsanto, je découragerais un quelconque agriculteur de signer ce document. Ce n’est pas seulement parce que le document limite sévèrement la responsabilité de Monsanto...La protection conférée par le contrat de Monsanto est strictement unilatérale et j’encouragerais les producteurs à considérer cela avec attention avant de s’engager dans un accord ».
L’économiste Dwight Aakre de l’Université d’Etat du Nord Dakota est allé plus loin en faisant remarquer que la garantie de non-contamination par du matériel génétiquement modifié est laissée à la responsabilité des individus. [...]
Tendances futures
Monsanto prévoit un taux de croissance de 5% en 2001 sur la base de projection d’une augmentation de la vente de semences, d’herbicide Round Up et d’un revenu plus grand provenant des caractères issus des biotechnologies. En 2000, les produits génétiquement modifiés de Monsanto étaient plantés sur 41,6 millions d’hectares dans le monde et les agriculteurs américains en ont cultivé 75%. Certains analystes économiques ayant observé que la perception négative du public menaçait l’agriculture génétiquement modifiée, Monsanto et d’autres firmes agrobiotech mettent leur espoir dans la mise en œuvre d’une stratégie pour l’acceptabilité des biotechnologies et la réduction de la résistance des consommateurs. Les discussions en cours à l’intérieur des instances de réglementation nord américaine peuvent cependant rendre plus difficile à l’avenir la mise sur le marché de cultures génétiquement modifiées. L’affaire Schmeiser survient à un moment où les gouvernements des Etats Unis d’Amérique et du Canada sont en train de revoir leur politique sur la dissémination des produits génétiquement modifiés dans l’environnement.
Le rapport du Groupe d’experts de la Société Royale du Canada aux ministères canadiens de la Santé et de l’Environnement indique que le système de réglementation et les moyens du gouvernement fédéral devraient être renforcés pour assurer la sécurité des produits agricoles génétiquement modifiés. Des recherches scientifiques plus strictes sur les effets des OGM sur l’environnement et sur la chaîne alimentaire ont été recommandées. Le principe « d’équivalence en substance » a été examiné de manière critique. Le groupe d’experts a trouvé le concept ambigu et manquant de précision pour servir correctement à une prise de décision. Il exige une approche de précaution « qui accorde une considération particulière à la protection de la santé et de l’environnement, tout en étant scientifiquement rigoureuse et pratique ». Il devrait y avoir des essais rigoureux sur les effets potentiellement nocifs des OGM. L’Agence de la protection de l’environnement des Etats-Unis (Environmental Protection Agency,EPA) a prévu la révision de sa législation sur la dissémination en automne 2001. L’EPA paraît aussi plus critique sur le principe « d’équivalence en substance », en favorisant plutôt une approche de précaution dans laquelle la responsabilité de la charge de la preuve incomberait au producteur souhaitant disséminer de nouveaux OGM dans l’environnement.
[...]
Enjeux plus étendus
L’attention que ce procès a obtenue, et la détermination de Schmeiser à relier son expérience à celle des agriculteurs des régions du monde en développement où les cultures génétiquement modifiées ont été introduites, ont révélé les implications plus larges de l’introduction des plantes cultivées génétiquement modifiées. Dans les pays du Sud, la subsistance des agriculteurs dépend souvent de leur capacité et de leur droit de sélectionner et de conserver les semences adaptées à leurs propres conditions agroécologiques. L’expérience de Schmeiser est particulièrement instructive pour ces petits agriculteurs qui cultivent des plantes majeures comme le maïs, le coton ou le riz. Les variétés génétiquement modifiées de ces espèces ont été introduites dans des centres importants de culture où les chances de contamination des variétés non OGM, des espèces sauvages apparentées, et des cultivars locaux ne peuvent être ignorées (3).
La bataille engagée par Monsanto pour faire appliquer son droit de brevet a eu comme résultat d’informer les agriculteurs et le grand public sur le fait qu’en l’espace de 5 années il est devenu presque impossible de cultiver ou d’acheter des semences de colza garanties sans OGM dans l’Ouest du Canada. Ceci, ainsi que les questions plus larges soulevées par l’affaire Schmeiser, a entraîné une profonde inquiétude. Schmeiser a fait appel contre le verdict du juge Mackay. Le déroulement du procès en appel et ses conclusions auront des conséquences significatives non seulement pour l’industrie agrobio-tech mais aussi pour les agriculteurs, les consommateurs et les autres membres de la société civile.