n°163 - avril / juin 2021

Protocole de Cartagena : une protection aux frontières

Par Zoé JACQUINOT

Publié le 22/07/2021

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Le Protocole de Cartagena régit les mouvements transfrontières d’organismes vivants modifiés. Fruit d’âpres négociations internationales, il s’actualise, lors des réunions des Parties, sur de nouvelles thématiques.

Dès le début des négociations, les pays n’étaient pas égaux face aux biotechnologies autant dans les moyens que dans les visions : certains pays développent et exploitent des biotechnologies, d’autres non, parfois parce qu’ils n’en ont tout simplement pas les moyens. Des pays ont encadré leur utilisation, certains de manière minimale ; certains sont transparents, d’autres non, etc. Le Protocole de Cartagena représente ce qui a réussi à faire consensus lors de son adoption : il vise principalement à organiser les flux transfrontaliers des organismes vivants modifiés (OVM, voir encadré ci-dessous) en laissant les États Parties les réguler comme ils veulent sur leur territoire.

Le Protocole : un traité de biosécurité

Officiellement désigné sous le nom de Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques [1], le Protocole est aussi parfois mentionné comme traité de biosécurité ou traité sur le mouvement transfrontière des OVM. L’objectif du Protocole est de protéger la biodiversité en s’assurant que « le transfert, la manipulation et l’utilisation sans danger des organismes vivants modifiés résultant de la biotechnologie moderne » s’effectuent avec un degré adéquat de sécurité.

À cette fin, le Protocole recommande l’utilisation et la mise en œuvre de principes généraux : le principe de précaution, la sensibilisation et la participation du public aux prises de décision, la transparence de la prise de décision, etc. Il encourage également les États à adopter leurs propres réglementations nationales sur la biosécurité et les biotechnologies grâce à des mesures de renforcement des capacités (capacity building) et de partage des informations. Le Protocole contient également des règles et des procédures concrètes et directement applicables qui concernent les mouvements transfrontières des OVM. 

Le Protocole de Cartagena s’applique aux organismes vivants

Au sein de la Convention sur la diversité biologique (CDB) on ne parle pas d’OGM mais d’OVM, sigle utilisé pour organisme vivant modifié. Le Protocole de Cartagena ne s’applique qu’à certains OGM : ceux « vivants » qui ont toujours la capacité de transmettre leur patrimoine génétique. Il s’agit des semences mais aussi des virus, des champignons, etc. Sont donc exclus de cette définition tous les produits dérivés ou transformés. Exemple : les semences d’un blé OGM sont concernées mais pas la farine de ce même blé OGM.

OVM : la définition du Protocole de Cartagena


Un OVM est défini au sein du Protocole comme « tout organisme vivant possédant une combinaison de matériel génétique inédite obtenue par recours à la biotechnologie moderne ».

Dans le Protocole, « biotechnologie moderne » s’entend :

« a) De l’application de techniques in vitro aux acides nucléiques, y compris la recombinaison [de l’ADN] et l’introduction directe d’acides nucléiques dans des cellules ou organites,

b) De la fusion cellulaire d’organismes n’appartenant pas à une même famille taxonomique,

qui surmontent les barrières naturelles de la physiologie de la reproduction ou de la recombinaison et qui ne sont pas des techniques utilisées pour la reproduction et la sélection de type classique
 ».

Le Protocole s’applique aux mouvements transfrontières, au transit, à la manipulation et à l’utilisation de tout OVM qui pourrait avoir des effets défavorables sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique compte tenu également des risques pour la santé humaine.

Les mouvements transfrontières recouvrent les mouvements intentionnels, comme une exportation/importation entre deux pays de semences génétiquement modifiées par exemple. Le cas des mouvements transfrontières non intentionnels est évoqué et accompagné d’obligations de précautions destinées à les éviter et de mesures d’urgence à prendre en cas de problème (article 17). Mais il n’approfondit pas le sujet et en cas de dommages causés, c’est le Protocole additionnel de Nagoya Kuala-Lumpur qui s’applique (voir encadré ci-dessous).

Certaines catégories d’OVM sont explicitement exclues du champ d’application du Protocole : les OVM produits pharmaceutiques, les OVM en transit et ceux destinés à une utilisation confinée.

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Crédits : Thomas Reimer

Le Protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur


Dès l’adoption du Protocole de Cartagena, une disposition est prévue visant à engager un processus pour « élaborer des règles et procédures internationales appropriées en matière de responsabilité et de réparation pour les dommages résultant de mouvements transfrontières  » d’OVM (article 27). Les négociations aboutissent en 2010 mais le Protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur sur la responsabilité des risques et la réparation n’est entré en vigueur qu’en mars 2018 et il n’a aujourd’hui que 48 Parties contractantes. La France l’a ratifié en juillet 2019. Attention, ce Protocole additionnel ne doit pas être confondu avec le Protocole de Nagoya adopté en 2010 et entré en application en 2014, également sous l’égide de la Convention sur la Diversité Biologique, mais traitant de l’accès et du partage des avantages liés aux ressources naturelles.

Le Protocole additionnel comporte des mesures à prendre en cas de dommage causé à la biodiversité par des OVM suite à des mouvements transfrontières couverts par le Protocole de Cartagena. Il reprend par exemple le principe « pollueur payeur  » déjà compris dans le droit européen.

Tout comme le Protocole de Cartagena, il a vocation à se traduire dans les lois nationales.

Le Protocole considère les impacts sur les communautés locales

La mesure phare que le Protocole établit est la procédure d’accord préalable en connaissance de cause (APCC). Il s’agit d’une procédure que doivent suivre un exportateur et un importateur de différents pays si des OVM sont concernés. L’exportateur doit avertir le pays de l’importateur et lui fournir toutes les informations nécessaires sur la marchandise ainsi qu’une évaluation des risques.

Ces informations doivent être transmises au Centre d’échange pour la prévention des risques biotechnologiques (CEPRB, connu plus couramment sous le sigle BCH pour Biosafety Clearing House en anglais).

De manière générale la BCH est en quelque sorte la bibliothèque partagée du Protocole de Cartagena et toutes les informations liées à des mises sur le marché d’OVM doivent lui être transmises ainsi que les décisions liées à des importations, les lois nationales, les contacts nationaux référents de la mise en œuvre du Protocole, etc.

Lorsque le pays importateur a reçu les éléments nécessaires, il doit prendre une décision concernant l’importation et la mise sur le marché. La décision peut être positive ou négative selon les résultats de l’étude de différents critères mentionnés par le Protocole : l’évaluation des risques, des considérations socio-économiques (par exemple en terme d’impact sur des communautés locales ou autochtones), la prise en compte du principe de précaution, la participation du public, etc. Alors que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) n’accepte que des preuves scientifiques des risques sanitaires, le Protocole accepte les impacts sur les communautés locales et les considérations socio-économiques.

Enfin, dernier élément important présent dans le Protocole : la procédure à suivre pour l’évaluation des risques des OVM. Une annexe du Protocole fournit des éléments à inclure dans les mesures nationales pour l’évaluation qui doit s’appuyer sur des méthodes scientifiques éprouvées et des bonnes pratiques pour l’échantillonnage, la détection et l’identification des OVM.

Un lieu d’échange et de discussion

Le Protocole représente donc un socle commun de mesures sur lesquelles les États se sont à un certain moment mis d’accord. Mais ce socle évolue. En dehors du CEPRB qui vise à concentrer les informations pour faciliter leur partage, les États ayant ratifié le Protocole échangent et collaborent d’autres manières. Les réunions des Parties sont des moments de négociations qui permettent de suivre la mise en œuvre du Protocole et de le faire évoluer. C’est par exemple dans le cadre de ces réunions qu’un moratoire sur l’utilisation des semences Terminator a été décidé, c’est aussi dans ce cadre que se débat aujourd’hui le statut juridique des organismes issus de biologie synthétique ou les mesures particulières à prendre pour les organismes issus de forçage génétique. Les questions font souvent l’objet de groupes de travail « d’experts techniques » qui avancent les discussions et proposent des décisions qui pourront être prises formellement par les Parties. Cela permet de faire évoluer le Protocole, son contenu et son application. Le même processus est à l’œuvre dans le cadre plus général de la Convention sur la Diversité Biologique avec simplement des participants qui changent (selon ce que les États ont signé/ratifié). Dans ces espaces de discussion, les luttes de pouvoir sont très importantes.

[1Pour consulter le Protocole (en vf) : https://www.cbd.int/doc/legal/cartagena-protocol-fr.pdf

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