Fiche technique / Etat des lieux

Produits d’animaux nourris aux OGM : innocuité pour le consommateur ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 30/04/2004, modifié le 20/11/2023

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Avril 2004 : désormais, dans l’Union européenne, tous les produits contenant plus de 0,9% d’OGM devront être étiquetés, qu’ils soient pour la consommation humaine ou animale. Tous ? Non, car les produits (viande, œufs, lait..) issus d’animaux ayant consommé des OGM ne sont pas soumis à cet étiquetage. L’organisation Greenpeace dénonce ce qu’elle considère être une lacune de la réglementation européenne. Que sait-on au juste du devenir des transgènes et des protéines transgéniques des végétaux consommés par les animaux ? Les retrouve-t-on dans les œufs, la viande, le lait ? En 2003, le gouvernement français a refusé de subventionner la phase finale d’un projet de recherche qui aurait permis d’apporter un premier élément de réponse. Manque d’argent ? Manque d’intérêt scientifique ? Le point sur ce dossier.

Les produits animaux ou leurs dérivés occupent une place prépondérante dans notre alimentation. Escalopes, steaks, beurres, fromages, crème fraîche mais aussi saucissons, pieds de porcs, langues de bœuf, cuisses de poulets… sont autant d’aliments régulièrement présents dans nos assiettes. Mais avant d’y parvenir, chaque animal a été nourri, non plus avec des farines animales, mais avec de l’herbe, des céréales (maïs…), et des tourteaux (soja, colza, etc.). Or soja, colza et maïs peuvent être génétiquement modifiés. La présence de ces plantes transgéniques dans l’alimentation animale est d’ailleurs effective en France depuis plusieurs années. A l’heure où ces aliments contenant ou dérivés des OGM vont devoir être étiquetés, qu’en est-il des aliments issus des animaux ayant été nourris avec des OGM ?

Que dit la législation ?

Aux Etats-Unis, aucun règlement n’impose d’étiquetage aux OGM et dérivés d’OGM (1). En Europe, cette même lacune juridique fut une des raisons de la mise en place du moratoire de facto sur les nouvelles autorisations d’OGM, demande exprimée par cinq puis sept pays européens : France, Luxembourg, Autriche, Italie, Allemagne, Grèce, Danemark. Ces pays demandaient également que l’UE se dote d’une législation stricte sur la dissémination dans l’environnement des OGM, sur l’étiquetage des semences et sur un régime de responsabilité en cas de dommages (2). Les deux premiers points ayant été finalisés (3), restent les deux derniers, en cours de discussion. Mais aucune mesure particulière d’étiquetage n’est aujourd’hui prévue pour les produits issus d’animaux nourris aux OGM.

L’Argentine, important exportateur de viande vers l’Europe, cultive du soja transgénique depuis 1996. Ce soja est soit exporté en Europe sous forme de tourteaux, soit utilisé sous cette même forme comme aliments pour les animaux argentins. La législation argentine ne réclame aucun étiquetage des produits bovins.

Des produits alimentaires issus d’animaux nourris aux OGM peuvent donc circuler, sans identification particulière, sur le marché européen. Ce point n’aurait pas généré d’inquiétudes particulières chez les citoyens si les scientifiques pouvaient certifier l’absence de protéines ou d’ADN transgéniques dans ces produits animaux, ainsi que leur innocuité sur la santé. Mais qu’en est-il exactement ?

Les tests des « Trinottières »

Afin de répondre aux exigences d’une potentielle législation sur les aliments issus d’animaux, un préalable indispensable est bien sûr d’acquérir la capacité technique de détection d’ADN ou de protéines transgéniques dans les différents produits animaux. Cette nécessité de protocole particulier fut l’objet d’un programme de recherche en France, soutenu par les ministères de la Recherche et de l’Agriculture suite à une demande ferme d’un syndicat agricole, la Confédération Paysanne.

En 1998, la Chambre d’Agriculture du Maine et Loire, en partenariat avec l’Association Générale des Producteurs de Maïs (AGPM) et Novartis, entreprend une comparaison zoophysiologique de deux lots de vingt-quatre vaches, dont un lot reçoit une alimentation à base de maïs Bt. Sur pression de la Confédération Paysanne du Maine et Loire, l’AGPM et la chambre d’agriculture acceptent d’inclure dans le protocole une phase d’analyse d’échantillons bovins afin d’y rechercher des traces d’ADN et / ou de protéines transgéniques4. C’est ainsi qu’en 1999, deux cents échantillons de sang, de viande, de lait et de jus de rumen ont été prélevés sur les vaches de la ferme des Trinottières, connus depuis sous l’appellation “Echantillons des Trinottières”.

Engagé à effectuer ces analyses par le biais de la Chambre d’Agriculture, le gouvernement français de l’époque attribua à un groupement de laboratoires, une subvention afin de mettre en place un protocole de détection de protéines et ADN transgéniques dans des produits bovins. Ce financement fut accordé dans le cadre des Programmes Alimentation Qualité Sécurité (AQS), sous le numéro de dossier R 99/01. Les laboratoires engagés dans ce travail appartenaient à l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA), à l’Institut de l’Elevage, au Centre National Interprofessionnel de l’Economie Laitière (CNIEL) et à l’Institut National de Recherche Agronomique (5).

Le protocole de recherche comportait deux volets : le premier était la mise au point technique du protocole afin que soient spécifiquement détectés les protéines et l’ADN transgéniques qui auraient pu passer dans les produits bovins. Après près de cinq années d’attente, ce premier volet fut finalisé durant l’année 2003 (6). Devaient alors être conduites les analyses proprement dites des échantillons des Trinottières, deuxième volet du protocole. Répondant à un appel d’offre des programmes AQS, le groupement de laboratoires qui avait mis au point le protocole se vit refuser une subvention qui devait financer la réalisation de ces analyses. Interrogé par Inf’OGM, le Ministère de l’Agriculture n’a pas souhaité rendre publiques les raisons ayant conduit à ce refus (7). Deux députés, l’un du parlement français, Jean-Claude Lefort (8), l’autre du parlement européen, Marie-Anne Isler Béguin (9), ont alors demandé par écrit au ministère de l’agriculture de revenir sur la décision de refus de cette subvention. Aucune réponse à ce jour ! De source interne, il apparaît que le comité scientifique délégué par le Ministère à l’analyse des dossiers de recherche a considéré que l’analyse des échantillons ne pouvait être subventionnée dans le cadre des programmes AQS car ce projet n’est pas strictement un projet de recherche.

Après cinq années d’attente, les échantillons n’ont toujours pas livré pas leur secret, à savoir si des protéines ou de l’ADN transgénique persistent dans les produits bovins destinés aux consommateurs. Lors d’une réunion publique en mars 2004, les responsables de la chambre d’agriculture du Maine et Loire ont pourtant affirmé que le problème de financement serait résolu avant la fin de l’année 2004. Un espoir reposerait sur la CNIEL qui pourrait prendre en charge les coûts financiers de ces analyses (environ 10 700 euros).

D’autres études…

A défaut de voir ce programme de recherche aboutir, d’autres études livrent des éléments de réponse. Ainsi, dès 1997, l’équipe du Pr. Doerfler de l’Institut de Génétique de l’Université de Kolhn, montrait le passage dans le sang, la rate et le foie de souris, d’ADN du micro-organisme M13. Des bémols ont été émis sur ces résultats puisque la quantité de phage M13 avait été exagérément augmentée afin de faciliter la détection de l’ADN (10). En 2001, un article de Pr. Einspanier, de l’Institut de Physiologie de l’Université de Munich, montrait que des séquences d’ADN de soja et de maïs pouvaient être détectées dans les lymphocytes et le duodénum de vaches nourries avec du maïs. Cette publication montrait les possibilités de transfert d’ADN de plantes fourragères aux organes d’animaux de ferme (11).

L’année 2003 se révéla plus riche en résultats puisque, outre la finalisation d’un protocole de détection d’ADN de maïs Bt par le groupe de laboratoires français (cf. ci-dessus), deux autres articles firent avancer les débats scientifiques. Le premier, publié en février 2003 par l’équipe du Pr. Poms (12), de l’Université de Sciences Agricoles de Vienne en Autriche, conclut que le transfert d’ADN, d’un aliment digéré par un animal, au lait de cet animal n’est pas détectable. En effet, précisent les auteurs, la contamination du lait par de multiples particules alimentaires empêche d’entreprendre une détection de présence ou d’absence d’ADN transgénique dans ce lait. Depuis ces résultats, les études sont donc préférentiellement effectuées sur le sang. Plus précis dans la question qui nous intéresse, l’équipe du Pr. Chowdhury, de l’Institut National pour la Santé Animale au Japon, a fini, en octobre, par mettre en évidence la persistance de l’ADN et de protéines d’origine transgénique dans des organes porcins. Réalisant son test sur des cochons nourris avec du maïs Bt, ces chercheurs ont montré que des traces du gène codant pour la protéine Bt ainsi que celles d’une forme tronquée de la protéine transgénique étaient retrouvées dans l’estomac, le duodénum, le rectum et les produits fécaux (13).

Enfin, les résultats d’une étude portant directement sur l’homme, publiés en janvier 2004, par l’équipe du Pr. Netherwood de l’Université de Newcastle, montrent que certains gènes introduits dans le soja transgénique subsistent à l’issue de la digestion dans l’intestin grêle de l’homme, notamment le gène “epsps” conférant une tolérance au glyphosate. Ces gènes disparaissent cependant après le passage dans le gros intestin. L’auteur de l’étude estime que ces résultats “devraient être pris en compte à l’avenir lors de la définition de normes de sécurité pour les aliments transgéniques”. Or, toujours selon l’auteur, ces gènes qui persistent dans l’intestin pourraient se transférer aux microorganismes présents naturellement dans le corps humain et augmenter le nombre de micro-organismes pathogènes résistants (par exemple, résistance à un antibiotique s’il s’agit d’un OGM ayant un gène marqueur de ce type).

Désaccords d’experts

Toutes ces données montrent que les connaissances scientifiques sur la présence de protéine et / ou d’ADN transgéniques dans les produits issus d’animaux nourris aux OGM sont encore embryonnaires.

En France, la récente révélation publique, suite à une demande du Crii-Gen, d’études scientifiques en possession de la Commission du Génie Biomoléculaire, a montré plusieurs effets anormaux sur la physiologie et les organes de rats14. La CGB se dit inquiète, mais l’AFSSA donne son aval… En Europe, des désaccords persistants entre experts conduisent à renvoyer les dossiers d’approbation en dernière instance à la Commission européenne. On comprend dès lors l’insistance de Greenpeace et d’autres pour réclamer au moins l’étiquetage de ces produits animaux. Cette absence d’études ne devrait-elle pas conduire, au nom du principe de précaution, à prolonger le moratoire ?

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