Actualités

OGM – Séralini : curieuse réaction des experts de l’AESA

Par Eric MEUNIER

Publié le 08/10/2012

Partager

Face à ce qu’ils considèrent comme des lacunes d’informations, les experts européens font le choix de publier leur avis avant toute discussion avec les experts des Etats membres et les auteurs de l’étude.

Une semaine après avoir reçu mandat de la Commission européenne, les experts européens de l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA) ont, le 3 octobre 2012, rendu un premier avis [1] sur l’étude de toxicologie sur le maïs GM NK603 et l’herbicide RoundUp publiée par Pr. Séralini , le 19 septembre, dans la revue scientifique à comité de lecture Food and Chemical toxicology [2].

Ce premier avis est annoncé par l’AESA comme étant basé sur la lecture seule de l’article scientifique. Un second avis sera publié après avoir pris en considération les avis des comités d’experts nationaux et discuté directement avec les auteurs. Cette démarche est assez inhabituelle et n’est pas justifiée : l’AESA a pour habitude de publier ses avis seulement après avoir bouclé l’ensemble des discussions nécessaires pour les formaliser. Cette manière de faire, en deux temps, interroge sur l’objectif de cette institution.

Selon l’avis, les experts européens reprochent aux auteurs un article scientifique flou quant à ses objectifs. Ils considèrent que « sans un énoncé clair des objectifs de l’étude, il est difficile de déterminer si le protocole suivi et la taille des échantillons sont adéquats ». Pourtant, l’équipe de G.-E. Séralini a été claire : il s’agissait d’une étude de toxicologie chronique menée sur deux ans pour tester les effets du maïs NK603, de l’herbicide Roundup et des deux, ensemble. S’il est vrai que les scientifiques font part de tumeurs apparues lors de l’expérience, il n’en reste pas moins que leur objectif de base était clairement une étude de toxicité. Surtout, le constat posé par l’AESA aurait dû conduire les experts européens à ne rien conclure sans avoir discuté avec les auteurs, comme elle en a l’habitude avec les entreprises pour les dossiers de demande d’autorisation.

Dans le détail, certaines critiques formulées sont étonnantes. Ainsi, les experts considèrent que le choix de la race de rats Sprague-Dawley doit être justifié par les auteurs au regard du protocole choisi. Inf’OGM rappelle que ces rats sont ceux utilisés par les entreprises et par le Programme national de toxicologie aux Etats-Unis (une des références de l’OCDE qui publie les recommandations pour ce type d’études) [3]. Dans aucun dossier de demande d’autorisation d’OGM une telle justification n’est fournie, sans que cela soit remarqué par l’AESA.

L’AESA critique aussi le nombre de rats utilisés. Pour l’AESA, G.-E. Séralini aurait dû en utiliser 50 par groupes / sexe. En effet, 50 rats par groupe /sexe est le nombre conseillé par l’OCDE pour des études de cancérologie. Si les experts de l’AESA reconnaissent ne pas connaître l’objectif de l’étude, ils présupposent donc qu’il s’agit d’une étude de cancérologie, contrairement à ce que les auteurs affirment eux-mêmes… Alors oui, répétons-le, en chœur d’ailleurs avec Séralini lui-même : pour une étude de cancérologie à long terme, il aurait fallu travailler soit avec plus de rats, soit avec une race moins sujette aux tumeurs, vue l’hécatombe en fin de vie. Mais il ne s’agissait pas, au départ, de ce type d’étude, mais d’une étude de toxicité.

Enfin, les experts européens ne commentent pas les résultats en tant que tels de cette étude et notamment ceux faisant état d’impacts hépatico-rénaux. D’autres lacunes d’informations sont constatées concernant le régime alimentaire ou l’outil statistique, lacunes qui sont aussi présentes dans de très nombreux – pour ne pas dire tous – dossiers de demande d’autorisations de PGM dans l’UE.

En résumé, les lacunes d’informations constatées amènent l’AESA à conclure que l’étude « est d’une qualité scientifique insuffisante pour évaluer des risques sanitaires. Dès lors, l’AESA considère [que cette étude] ne remet pas en cause l’évaluation en cours du glyphosate et ne voit pas d’intérêt à rouvrir l’évaluation qui a été faite du maïs NK603 ». Cette conclusion de l’AESA est totalement contradictoire, puisque selon ses propres critères, l’évaluation qui a servi à autoriser le maïs NK603 était manifestement d’une qualité scientifique insuffisante du fait de l’absence de tests d’équivalence et d’un outil statistique insuffisant. Notons que concernant le glyphosate, G.-E. Séralini a travaillé avec la formule commerciale Roundup et non le glyphosate seul, une différence majeure avec l’évaluation en cours justement, qui ne s’intéresse qu’au glyphosate seul !

Au vu du constat établi, l’AESA aurait tout aussi bien pu conclure ne pas disposer d’informations nécessaires pour rendre un avis tout de suite. Elle aurait pu aussi exiger qu’on réalise des études de cancérologie avec le bon nombre de rats et financer de telles études. Le but de l’AESA est-il de mener une discussion scientifique pour objectivement considérer de nouvelles données scientifiques ou d’éviter de nouveaux remous ? Le fait que les Etats membres soient actuellement en train de discuter les nouvelles lignes directrices d’évaluation des PGM telles que proposées par la Commission européenne [4] plaide pour la seconde solution….

Cet avis arrive aussi dans un contexte particulier où G.E. Séralini a exprimé à la directrice même de l’AESA son souhait que son étude soit examinée en détail par un panel renouvelé. Gilles-Eric Séralini a d’ailleurs aussitôt réagi à la publication de cet avis en déclarant : « l’agence est juge et partie en ayant autorisé les produits que nous avons évalués à long terme et dont nous avons publié les résultats dans une des meilleures revues mondiales de toxicologie. L’AESA, pour autoriser ces mêmes produits, a travaillé de manière laxiste à très court terme avec les données problématiques de Monsanto et très très insuffisantes, qu’elle garde anormalement secrètes. Nous demandons immédiatement un accès public sur internet de ces données » [5].

A la lecture de cet avis, on constate que l’AESA a deux façons d’analyser les études, en fonction de leur provenance : une souplesse certaine pour les pétitionnaires, et une exigence accrue pour les études critiques vis-à-vis des OGM autorisés. En matière de santé publique, on est en droit d’exiger un peu plus d’égalité et de sérieux, à défaut de neutralité…

Actualités
Faq
A lire également