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OGM – La France n’abandonnera pas son moratoire sur le maïs MON810

Par Christophe NOISETTE, Pauline VERRIERE

Publié le 08/09/2011

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En février 2010, le Conseil d’État posait trois questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), afin de déterminer la légalité du « moratoire » français. C’est avec une décision en demi-teinte que la CJUE vient enfin de répondre, en invalidant partiellement le « moratoire » français. Pour le gouvernement, cette invalidation est due à des raisons de procédure et « les préoccupations environnementales restent inchangées ». Il annonce, par la voix de sa ministre de l’Environnement, qu’ « une nouvelle clause de sauvegarde sera prise le cas échéant ».

En 1998, le maïs MON810 de l’entreprise Monsanto obtenait, au niveau européen, une autorisation notamment à des fins de cultures. Dix ans plus tard, la France prenait deux mesures afin d’interdire cette culture sur son territoire, qui constituent ce qu’on a nommé « moratoire » : il s’agit concrètement d’une clause de sauvegarde (directive 2001/18) et d’une mesure d’urgence (règlement 1829/2003). Ce sont ces deux mesures que Monsanto a attaquées devant la justice française. Le Conseil d’État, par le mécanisme des questions préjudicielles, a posé trois questions à la CJUE concernant l’interprétation du droit européen afin de résoudre ce litige. Sa réponse, publiée le 8 septembre, reprend l’analyse et les conclusions de l’avocat général rendues en mars 2011 [1].

Imbroglio juridique

Le maïs Mon810 a été autorisé sur la base de la directive 90/220, aujourd’hui remplacée par la directive 2001/18. Entre temps, Monsanto a notifié cet OGM sur la base du règlement 1829/2003 et demandé un renouvellement d’autorisation sur ce même texte, renouvellement en cours de procédure. Ces deux textes permettent à un État d’interdire nationalement un OGM autorisé au niveau européen, sous certaines conditions.

Dès lors, lequel de ces deux textes devait être utilisé par la France pour interdire la culture de maïs Mon 810 sur son territoire ?

La CJUE estime que concernant le Mon810, c’est le règlement 1829/2003 qui doit être utilisé et non la directive 2001/18. Conséquence : la France ne pouvait prendre une clause de sauvegarde. Elle avait cependant effectivement le droit de prendre une mesure d’urgence, ce qu’elle a fait, mais uniquement en respectant certaines conditions. Ce sont ces conditions que, dans les réponses aux deuxième et troisième questions, la CJUE détaille.

En ce qui concerne la procédure, la CJUE estime qu’un « État membre peut prendre des mesures conservatoires » lorsqu’il « informe officiellement la Commission [européenne] de la nécessité de prendre des mesures d’urgence et que la Commission n’a pris aucune mesure […] ». Elle renvoie cette interprétation au Conseil d’État, lequel jugera si la France a effectivement respecté cette procédure. Enfin la CJUE explicite, à la demande du Conseil d’État, les conditions mêmes de la mise en œuvre d’une mesure d’urgence « lorsqu’un produit autorisé […] est, de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement » [2]. Selon la CJUE « il convient de considérer que les expressions “de toute évidence” et “risque grave” doivent être comprises comme se référant à un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement. Ce risque doit être constaté sur la base d’éléments nouveaux reposant sur des données scientifiques fiables ». Là encore, il conviendra au Conseil d’État d’apprécier si le gouvernement français a respecté cette lecture au moment où il a pris sa mesure d’urgence. Autrement dit, le Conseil d’État sera amené à évaluer si les éléments scientifiques apportés par la France [3] sont de nature à démontrer un péril manifeste.

La balle revient en France

C’est donc désormais au Conseil d’État, fort de la décision de la CJUE, de trancher le litige, conformément à l’interprétation du droit européen donnée par la CJUE. C’est ce que précise la ministre de l’Environnement : « l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne n’est pas conclusif, car la décision finale sur la validité de la clause de sauvegarde sera rendue par le Conseil d’État ». Il faudra donc attendre la décision du Conseil d’État pour savoir si la mesure d’urgence est elle aussi illégale du point de vue du droit européen… Inf’OGM précise qu’il n’existe aucune règle procédurale écrite concernant les délais pour que le conseil d’État mette en œuvre la réponse de la CJUE. Mais d’après les juristes consultés, le Conseil d’État devrait juger dans un délai d’un an maximum. Suite à ce jugement, le gouvernement devra prendre acte « immédiatement » sauf si le Conseil d’État décide d’octroyer explicitement un délai à l’État, ce qui, au regard des juristes interrogés, paraît peu probable. Quoiqu’il en soit, et dans l’attente de cette décision, la ministre de l’Environnement, Nathalie Kosciusko-Morizet, a d’ores et déjà affirmé, dans un communiqué de presse [4], la volonté du gouvernement de prendre de nouvelles mesures conservatoires si la décision finale du Conseil d’État venait invalider cette mesure d’urgence.

La ministre reconnaît que « les considérations juridiques de la CJUE ne remettent pas en cause les préoccupations relatives aux risques environnementaux liés à la culture des OGM et la nécessité de les évaluer de manière solide avant de prendre des décisions sur d’éventuelles autorisations ». Elle précise que depuis l’autorisation du maïs Mon810 en 1998, le débat scientifique, notamment sur son impact sur l’environnement, a évolué. Elle rappelle, comme elle le fait régulièrement, que les conclusions « unanimes » du Conseil des ministres européens de l’Environnement de 2008 n’ont toujours pas été prises en compte par la Commission. Or ces dernières visaient « un renforcement de l’évaluation des impacts liés aux OGM et une amélioration du fonctionnement de l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA) » et elle souligne qu’au niveau français « les statistiques utilisées dans l’interprétation de certains tests toxicologiques en particulier sont insatisfaisantes, comme l’a montré l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail dans son avis du 27 janvier 2011 ».

Le moratoire continue

L’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) a rendu en 2009 un avis sur le renouvellement du maïs Mon810, mais pour la Ministre, cet avis « n’a pu tenir compte des nouvelles exigences découlant des conclusions du Conseil » et l’avis du HCB, lui, « avait réitéré les principales questions posées par la France concernant les impacts environnementaux de la culture du MON810 : impacts sur les invertébrés non cibles, apparition de résistances chez les ravageurs et questions sur l’efficacité des mesures de gestion proposées ». Ainsi, les questions sur l’innocuité environnementale de ce maïs restent entières, et ces doutes persistants incitent le gouvernement à maintenir, sur le territoire français, une interdiction de mise en culture du maïs Mon810.

Interrogé par Inf’OGM, Thijs Etty, juriste européen à l’université d’Amsterdam, spécialisé sur les questions liées aux OGM, nous précise que « ce jugement va indirectement affecter les autres moratoires nationaux. En effet, les juridictions nationales devront résoudre l’affaire conformément à la décision de la Cour, si elles sont saisies d’un problème similaire. Par exemple, si Monsanto attaque les moratoires devant les juridictions nationales, les juges seront liés par cette décision. La Commission européenne peut, elle aussi, attaquer ces moratoires devant la CJUE ». En cas d’annulation de ces moratoires, les gouvernements pourront, à l’instar de la France, prendre de nouvelles mesures en respectant la procédure définie par la CJUE.

La saga du maïs Mon810 n’est pas encore prête à se conclure…

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