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OGM : Difficile quantification de la protéine Bt produite par le maïs MON810

Par Eric MEUNIER

Publié le 30/01/2012

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Le maïs MON810 produit une protéine insecticide connue sous le nom de Bt (car elle est très proche d’une protéine produite par la bactérie Bacillus thuringiensis). Connaître la quantité de protéine Bt produite par la plante est un élément important, notamment pour évaluer les possibles impacts liés à son utilisation. Les entreprises fournissent cette information dans leur dossier de demande d’autorisation commerciale, mais elle n’est pas connue publiquement pour raison de confidentialité. Confidentialité, mais peut-être aussi tout simplement preuve que ces mesures ne veulent pas dire grand chose. Démonstration.

Dans le cadre d’un projet du Réseau Européen de scientifiques pour une Responsabilité Sociale et Environnementale (ENSSER), une équipe de chercheurs a analysé, dans quatre laboratoires différents, les mêmes échantillons de maïs MON810 afin de déterminer, avec des méthodes différentes, la quantité de protéine Bt présente [1]. Les résultats montrent que la quantité de protéine Bt trouvée varie de 12,5±4.0 µg/g à 72.6±17.8 µg/g, soit d’un facteur 6.

Ces résultats n’étonnent pas Yves Bertheau, membre du Comité Scientifique (CS) du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB), qui explique à Inf’OGM que ces différences de quantité de protéine Bt sont connues depuis longtemps, que ce soit « entre évènements transgéniques (Bt 176, Mon810 ou Bt11 par exemple), entre variétés d’une même PGM, et donc très probablement entre plantes d’une même variété voire entre feuilles d’une même plante, ainsi que dans le temps ». A l’heure actuelle, une seule méthode a d’ailleurs « été validée [comme norme ISO], mais pour le soja RR, par un test inter-laboratoires et intégrée dans la norme ISO correspondante [2]. C’est la seule qui soit validée et reconnue comme normalisée. Il n’existe pas de méthode normalisée CEN / ISO [3] pour le dosage des protéines de type Bt ». Greenpeace avait d’ailleurs également soulevé ce problème en 2007 avec des analyses qui montraient que d’une part, la quantité de protéine Bt variait d’une plante à une autre au sein même d’un champ, et d’autre part, qu’elle variait aussi pour de mêmes échantillons selon la technique utilisée [4]. Mais Yves Bertheau précise que les entreprises n’ont aucune obligation d’utiliser telle ou telle méthode pour fournir la quantité de protéine Bt synthétisée par la PGM dans leurs dossiers de demande d’autorisation. Ce constat permet au moins de comprendre qu’on ne pourra jamais répondre avec certitude à la question récurrente sur la quantité de protéine Bt présente dans un champ de maïs (MON810 par exemple).

Interrogée par Inf’OGM, Angelika Hilbeck, co-auteur de l’article, explicite l’objectif de l’expérimentation sur les mesures de Bt : il s’agissait « d’essayer d’identifier, parmi les causes de ces incertitudes, celles qui techniquement pouvaient être améliorées, ce que nous avons fait ». La scientifique considère qu’une fois ces améliorations techniques apportées au protocole scientifique, « les incertitudes de mesures restantes doivent conduire les entreprises et les experts à plus de modestie dans leurs opinions, notamment en appliquant par exemple une estimation haute des mesures fournies ». Car ces quantités de protéine Bt sont à la base des réflexions sur la probabilité d’apparition de résistances chez les insectes présents dans les champs. Denis Bourguet, chercheur à l’Inra en Adaptation et diversification des populations d’insectes phytophages et membre du CS du HCB, nous explique que « cette incertitude ne change pas fondamentalement l’évaluation des risques environnementaux qui est conduite. Concernant les insectes non cibles, le problème ne se pose que peu. Mais concernant les apparitions de résistance chez les insectes cibles, le doute concerne la quantité minimale de protéine Bt dans un champ permettant de tuer les insectes cibles ». Car l’incertitude sur la quantité de protéine Bt produite par les plantes engendre une incertitude sur les conditions optimales pour être sûr de contrôler la population d’insectes cibles et aussi pour connaître l’activité pesticide dans l’alimentation. Pour Angelika Hilbeck, ce point est d’autant plus important que « personne ne connaît cette dose minimale ! D’autant qu’elle pourrait varier d’un insecte cible à l’autre ! ».

Alors quid de la pertinence des évaluations des risques d’apparition de résistance aux protéines Bt chez les insectes cibles ? Les plans de surveillance environnementaux post-commercialisation, explique Denis Bourguet, sont théoriquement là pour surveiller ce point puisqu’ils doivent détecter tout impact sur l’environnement anticipé ou non lors des évaluations. Sauf que ces surveillances ne sont pas forcément performantes, comme l’ont souligné le HCB et l’AESA concernant les rapports de Monsanto pour les cultures de maïs MON810. Dans un récent rapport, le HCB critiquait en effet une surveillance effectuée selon une méthode qui « n’était pas la plus appropriée pour suivre l’évolution de résistance » en 2009 et l’absence de surveillance en 2010 dans une zone espagnole pourtant identifiée comme lieu d’une possible apparition de résistance à la protéine Cry1Ab en 2009 ; et l’AESA demandait que « soient inclus dans les échantillons [prélevés au champ] les insectes cibles survivants dans les champs de maïs MON810 afin de détecter des individus potentiellement résistants » [5]. Restent donc les zones refuges, ces zones de culture de plantes non GM dans un champ de PGM afin de diminuer la fréquence d’exposition des insectes à la protéine Bt et ainsi limiter l’apparition de résistance. Ces zones doivent occuper une certaine surface des champs, définie en % dans le cadre des arrêtés de coexistence. Mais comment établir ce % si la quantité de protéine présente dans le champ n’est pas connue avec certitude ? Denis Bourguet répond que « ce % n’est pas que scientifique. Aux Etats-Unis, il est le fruit d’un compromis entre les acteurs que sont les scientifiques, les semenciers, les agriculteurs… en fonction de l’efficacité anticipée et l’acceptabilité de ce % par exemple. L’objectif n’est pas de garantir une absence complète de l’apparition de résistance mais bien de mettre en place des conditions limitant les risques d’apparition de résistance. Après, si 5, 10, 15 ou même 50% des superficies doivent être cultivées en variétés non transgéniques pour éviter tout risque d’évolution de résistance, on n’en sait rien ». Un constat qui réjouit Angelika Hilbeck car la scientifique considère que l’enjeu rhétorique est important : « en cas de problème, le discours est trop souvent que c’est la faute des agriculteurs qui n’ont pas respecté les consignes de mises en culture. Si c’est en partie vrai, les entreprises ont également une responsabilité puisqu’elles doivent fournir des PGM qui produisent suffisamment de protéine insecticide pour être efficace. Or les entreprises comme les scientifiques ignorent quelle est cette quantité de protéine nécessaire et ne connaissent pas avec certitude la quantité présente dans les champs ! ».

Si cette incertitude était connue des scientifiques depuis longtemps, l’article publié récemment présente au moins deux avantages : proposer de la réduire, au moins en adoptant des normes techniques certifiées et homogènes, et la mettre sur la place publique ! La Commission européenne a d’ailleurs également réagi puisqu’elle nous a expliqué que « dans le cadre de sa mission, l’AESA et en particulier le panel OGM suit en permanence les nouvelles publications et analyse si de nouveaux éléments scientifiques pourraient remettre en question les avis précédemment adoptés. Quoi qu’il en soit, la Commission va saisir l’AESA pour s’assurer que cette publication a bien été considérée ». Si l’avis des experts européens est donc maintenant attendu, Inf’OGM avait déjà interrogé l’Agence Française pour la Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA) en 2006. Questionnée sur le travail effectué par cet organisme afin de connaître les quantités de protéines Bt présentes dans le maïs transgénique commercialisé en Europe, l’AFSSA répondait alors à Inf’OGM que « chaque dossier est évalué au cas par cas. La quantité de protéine Bt exprimée dans une plante, sa présence dans les produits transformés, etc. figurent dans le dossier transmis pour expertise à l’AFSSA. L’AFSSA ne réalise aucun dosage, dans quelque domaine que ce soit, pour les dossiers d’autorisation de mise sur le marché. Pour tous ces dossiers, les résultats des analyses sont produits par le pétitionnaire. Ces résultats, présentés avec les protocoles détaillés et les garanties d’assurance qualité et de bonnes pratiques expérimentales, sont examinés dans le cadre de l’expertise du dossier » [6]. Difficile de lire aujourd’hui cette réponse comme un gage de fiabilité…

[1« Inter-laboratory comparison of Cry1Ab toxin quantification in MON810 maize by enzyme-immunoassay », Székács A. et al., Food and Agricultural Immunology, 2011, DOI:10.1080/09540105.2011.604773

[2la norme ISO 21572:2004/Cor 1:2005

[3Comité Européen de Normalisation / Organisation Internationale de Normalisation

[5 article 4964 

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