n°94 - septembre / octobre 2008Interview / débat contradictoire

Lobby : la société civile veut plus de transparence

Par Inf’OGM

Publié le 15/09/2008

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“L’Appel citoyen pour un encadrement et une transparence des activités de lobbying en direction des instances de décision publiques” [1] veut être la voix des acteurs de la société civile sur la question fondamentale de l’influence du monde des affaires sur la décision publique. Une quinzaine d’ONG, associations et syndicats se sont donc regroupés pour poser le débat sur la question de l’influence croissante des groupes d’intérêts dans notre société derrière laquelle se cache une crise de légitimité des pouvoirs publics au niveau national. Récemment, d’ailleurs, lors du vote à l’Assemblée nationale de la loi sur les OGM, la question du lobby des semenciers a été abordée : deux parlementaires UMP ont accusé certains de leurs collègues d’être “actionnés” par l’industrie, précisant qu’il y a eu “un travail en amont du lobby semencier sur la Commission économique et sociale de l’Assemblée”. Ainsi les Verts ont demandé une enquête parlementaire.

Inf’OGM : Pourquoi cette campagne ?

Brigitte Zaccaria [2] : Cette influence a éclaté à plusieurs reprises au grand jour au sein même de l’Assemblée nationale française. En décembre 2005, à la veille du débat parlementaire sur les droits d’auteurs, la FNAC et Virgin – sur invitation du ministre de la Culture – faisaient la promotion devant les parlementaires du téléchargement payant dans une salle attenante à l’hémicycle. Plusieurs députés (toutes tendances confondues) avaient été sincèrement choqués par cette opération mais également des tensions au cours des trois mois de débat qui régnaient au sein du Palais Bourbon. Au final, après un lobbying forcené de la part de la SACEM et des grandes maisons de disques, les défenseurs de la licence globale et du téléchargement gratuit ont perdu face aux professionnels. En 2006, c’est Suez qui invitait plusieurs députés à la coupe du monde de football alors que la privatisation de GDF et de sa fusion avec le même groupe étaient discutées.

A la suite de ces révélations et de la parution du livre “Députés sous influence’ – un travail d’enquête [3] sur la précédente législature qui montre les liens entre certains députés et les intérêts économiques qu’ils représentent – plusieurs initiatives ont vu le jour à l’Assemblée nationale. Mais il aura fallu deux ans pour que le président de l’Assemblée nationale lance la mise en place d’une délégation spéciale et d’un groupe d’étude dont l’objectif est de faire des propositions d’encadrement du lobbying.

Au niveau européen, l’“Initiative en matière de transparence” initiée en 2005 au niveau de la Commission européenne, vise à “rétablir le lien entre l’Europe et les citoyens”. Face au besoin de proposer une approche cohérente et solidaire pour faire campagne en Europe afin d’infléchir l’influence des entreprises sur la politique de l’Union européenne, ONG, associations, syndicats… se sont regroupés en une plate-forme européenne – Alter-EU [4] – et se sont constitués en coalition en juillet 2005.

Si le bilan d’Alter-EU est mitigé quant aux règles d’encadrement mises en place, cette initiative aura eu le mérite de poser le débat et de montrer que l’impartialité des décisions de l’Union européenne et son caractère démocratique faisaient réellement défaut. Alter-EU continue sa campagne pour que soient adoptés un système obligatoire d’enregistrement de tous les lobbyistes, des règles éthiques de lobbying et un code de conduite pour les fonctionnaires européens.

Inf’OGM : Quelles sont les mesures réclamées ?

B.Z. : Les organisations signataires de cette campagne réclament la transparence de l’activité de lobbying au sein du Parlement et du Sénat. Cette transparence nécessite la mise en place de plusieurs mesures telles que :


- un système obligatoire d’inscription électronique et de rapports d’activité pour tous les lobbyistes dotés d’un budget de lobbying annuel significatif (plus de 5000 euros/an). Ces rapports devront mentionner les noms des clients et les sources de financement, les personnes contactées, les échanges établis et les dépenses affectées ;


- des règles interdisant aux groupes de pression l’emploi du personnel de l’Assemblée ou de leurs proches à des fins de lobbying, ainsi que l’utilisation des lieux de pouvoir ;


- un code de conduite pour tout élu imposant la rédaction de comptes-rendus des réunions formelles et informelles consenties à des lobbyistes, la compatibilité par une commission ad hoc de certains métiers avec un mandant électif pour éviter les situations de conflits d’intérêt, la déclaration de toute tentative de pression ;


- l’application de la réglementation en vigueur sur le pantouflage (à savoir la migration d’un agent public vers le secteur privé) ;


- la fin de l’attribution de badges permanents permettant un accès privilégié à des représentants d’intérêts privés au seul titre de “lobbyiste”.

Inf’OGM : Comment différencier concrètement lobbying et campagne d’intérêt public ?

B.Z. : La finalité de l’action menée ainsi que les moyens mis en œuvre pour y parvenir sont des éléments qui différencient une action de lobbying qui relève d’intérêts économiques particuliers et une campagne “de plaidoyer” d’intérêt public. En effet, qu’y a-t-il de commun entre le représentant d’EuropaBio qui regroupe les 600 plus importantes entreprises dans le domaine des biotechnologies et le représentant du Réseau semences paysannes qui dénonce les conséquences dramatiques des liens de dépendances entre paysans et firmes de biotechnologies ? Bénéficient-ils des mêmes moyens financiers pour se faire entendre ? Quelle est la finalité de leur action ?

On gagnerait sans doute à faire la distinction entre les différents groupes d’intérêts d’une part en fonction des objectifs poursuivis (économiques ou non économiques) mais également des moyens financiers consacrés à l’activité de lobbying.

L’autre élément qui permet de les différencier est le mode d’action. Autant la politisation du sujet est redoutée par les lobbyistes d’entreprises privées, autant les associations, syndicats, etc. utilisent l’action directe médiatisée (manifestations, action symbolique…). Les groupes d’intérêt économique tendent à limiter l’information publique, tandis que les mouvements sociaux utilisent cette information pour faire passer leur message. Les différences sont donc évidentes et dans tous les cas, ne sous-estimons pas la capacité des citoyens à les relever !

[1[2] Brigitte Zaccaria est chargée de mission sur le “lobbying des entreprises” pour l’association Adéquations

[3Hélène Constanty et Vincent Nouzille, “Députés sous influence. Le vrai pouvoir des lobbies à l’Assemblée nationale”, Fayard, 2006

[4Alter-EU est une coalition qui re-groupe plus de 160 organisations eu-ropéennes, http://www.alter-eu.org

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