Lettre ouverte d’Inf’OGM aux structures de la société civile sur la question des lignes directrices d’évaluation des OGM

Vous trouverez ci-joint une lettre ouverte qu’Inf’OGM a souhaité vous adresser.
Inf’OGM, veille citoyenne d’informations sur les OGM depuis 1999, suit depuis lors le travail effectué par la Commission européenne, l’Agence européenne de sécurité alimentaire (AESA / EFSA) et les États membres sur le sujet de l’évaluation des plantes génétiquement modifiées (PGM) avant autorisation. Ce travail est proche d’arriver à un terme. Inf’OGM a donc souhaité vous informer directement du contenu des discussions en cours et de son analyse sur ces discussions. Ces dernières ont lieu au niveau européen dans le cadre d’un projet de règlement présenté par la Commission européenne aux États membres. Ce projet de règlement concerne un règlement d’exécution, discuté dans le cadre de la procédure de comitologie, sans passage devant le Parlement ou le Conseil. Les États membres sont, eux, consultés lors de discussion au sein du Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale (CP-CASA).

A ce jour, la société civile n’a que peu participé à ce débat précis.

Montreuil, le 12 décembre 2012

Lettre ouverte aux structures de la société civile engagées dans le débat sur les OGM

Les propositions de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) [1], concernant les nouvelles lignes directrices de l’évaluation des OGM, conduiraient à ne plus faire d’évaluation du tout hors la déclaration d’équivalence en substance.

Suite à la demande du Conseil des ministres de l’Environnement de l’Union européenne, votée à l’unanimité en décembre 2008, d’améliorer l’évaluation des OGM, l’AESA a été obligée de revoir les Lignes Directrices de cette évaluation. Après trois années de travail et de consultations, la Commission européenne propose un projet basé sur l’avis de l’AESA, qui devrait déboucher sur un règlement d’exécution [2]. Ce point est fondamental, comme nous le verrons.

Ces nouvelles Lignes Directrices proposent effectivement un certain nombre d’améliorations, mais qui ne seront pas utilisées en pratique. En effet, dans cette dernière version, la mise en œuvre de l’évaluation toxicologique et d’alimentarité est assujettie à la mise en évidence d’une différence biologiquement pertinente de composition en éléments de base (acides aminés, acides gras, composés anti-nutritionnels, etc.) entre la plante génétiquement modifiée (PGM) et son équivalent non GM. Or, cette équivalence en substance est revendiquée dans tous les dossiers de demandes d’autorisations, en se basant sur des analyses sans valeur scientifique mais validées par les agences d’expertise [3].

Que disent ces Lignes Directrices [4] ?
En chapeau du paragraphe 1.4, de portée générale :

« L’impact toxicologique de tout changement résultant de l’expression des gènes introduits ou de tout autre type de modification génétique […] doit être évalué ».

Le texte dit « tout changement résultant ». On peut donc lire que, s’il y a équivalence en substance, rien n’est à évaluer.
Cette interprétation d’Inf’OGM est contestée par certains. Selon eux, cette phrase permettrait d’obliger à procéder à une analyse de composition… Pour d’autres, il s’agit d’orienter l’évaluation vers tel ou tel test en fonction des résultats de cette analyse. Dans tous les cas, il eût été préférable d’écrire clairement les choses. Mais, outre le fait que ce qui est visé dans ce paragraphe est l’évaluation toxicologique et non l’analyse en composition, il n’y a aucune raison de maintenir cette ambigüité que condamnent d’ailleurs aussi d’autres ONG, sauf s’il y a une « bonne » raison cachée. D’autant que :

1) On retrouve ensuite dans le texte de ces Lignes Directrices :

« le pétitionnaire devra considérer le besoin de procéder à des analyses de toxicologie en fonction des résultats des analyses moléculaires et autres comparaisons citées aux sections 1.2 et 1.3, c’est à dire des différences identifiées entre le produit génétiquement modifié et le témoin conventionnel »

.
C’est bien le pétitionnaire qui décide, en fonction de « l’équivalence en substance » que l’Union européenne veut imposer en guise d’évaluation, s’il procède ou non à des analyses toxicologiques. En lieu et place de l’amélioration de l’évaluation demandée par les ministres européens de l’environnement, on se retrouverait à restreindre l’évaluation à la comparaison de la teneur en quelques éléments de base et examens phénotypiques. C’est un peu comme si un architecte déclarait deux bâtiments identiques au prétexte que le nombre de briques utilisées était à peu près le même dans chaque cas.

2) L’intention de faire passer le « concept » d’équivalence en substance comme clef de l’évaluation est claire si on se réfère au passé. Dans un document préalable datant de 2009 [5], la Commission européenne écrivait :

« le pétitionnaire devra inclure une étude d’alimentation sur 90 jours sur rongeurs [6] dans les cas suivants : a) en cas de non équivalence en substance, le programme de tests devra comprendre au moins un test de toxicologie sur 90 jours chez le rongeur. [...] b) S’il y a des indications ou des incertitudes résiduelles sur la possibilité de survenue d’effets non intentionnels, en se basant sur les analyses moléculaires, agronomiques, phénotypiques et/ou les analyses de composition ».

Et sur l’équivalence en substance (c’est-à-dire l’analyse de composition biochimique) :

« les résultats de cette évaluation devront déterminer si des essais d’alimentation animale avec la plante entière [7] doivent être effectuées ».

Dans une réunion entre le panel OGM de l’AESA et des ONG européennes [8] sur les Lignes Directrices d’évaluation environnementale des OGM, la présentation de l’Agence indiquait que s’il y avait équivalence en substance, alors, aucune autre évaluation n’était nécessaire.

Il ne s’agit donc pas, concernant le projet actuel de Lignes Directrices, d’une interprétation abusive d’ONG françaises, mais bien de l’expression de la volonté de l’AESA et/ou de la Commission européenne de réduire l’évaluation des OGM à la simple équivalence en substance, quitte à utiliser d’autres formulations moins connotées pour en parler.

Enfin, l’AESA nous donne un exemple avec son avis sur le coton GHB614, justifiant ainsi l’absence d’analyses toxicologiques dans le dossier du pétitionnaire selon les lignes directrices actuelles :

« sur la base des analyses de comparaison, le panel OGM de l’AESA a conclu que le coton GHB614 est équivalent en composition et agronomiquement à son comparateur non GM et aux autres variétés de coton conventionnel à l’exception du transgène introduit. Ces analyses, tout comme celle de caractérisation moléculaire, n’ont fourni aucune information quant à des effets non recherchés de la modification génétique … Selon les lignes directrices du panel OGM de l’AESA, des études sur animaux des aliments ne sont pas requises (EFSA, 2006a) ».

L’interprétation des nouvelles Lignes Directrices donnée par Inf’OGM et d’autres associations [9] est par conséquent confirmée par l’usage même de l’AESA puisque montrant la place donnée aujourd’hui à l’équivalence en substance.

La transformation des Lignes Directrices en règlement viendrait achever cette entreprise. En effet, les Lignes Directrices sont des guides, indicatifs, qui ne sont pas imposés au pétitionnaire. Ce dernier reste le responsable de son évaluation. Par contre, si ces Lignes Directrices deviennent un règlement, ce dernier est contraignant mais suffisant. En cas de problème, si le pétitionnaire a suivi le règlement, rien ne pourra lui être reproché, même s’il s’avère que l’évaluation a été insuffisante en fait. C’est l’Union européenne qui endossera l’entière responsabilité.

Il appartient maintenant à l’État français de prendre position sur le texte européen, sachant que seul l’écrit final fera juridiquement foi, quelles que soient les interprétations fournies par ailleurs par la Commission européenne ou l’AESA.

Il appartient aussi aux ONG concernées de se faire entendre, si elles le jugent utile.

Dr. Frédéric Jacquemart
Président d’Inf’OGM


[1EFSA en anglais

[2« Sanco/12462/2011 rev. 2 (pool/e1/2011/12462/12462r2-en.doc) [...](2012) xxx draft, Commission implementing regulation (EU) No .../.. of XXX on applications for authorisation of genetically modified food and feed in accordance with Regulation (EC) No 1829/2003 of the European Parliament and of the Council and amending Regulations (EC) No 641/2004 and (EC) No 1981/2006 » disponible sur infogm.org/spip.php ?rubrique837

[3Voir à ce sujet Jacquemart, F., « Expertise des OGM : l’évaluation tourne le dos à la science », éd. Inf’OGM, 2012

[6c’est-à-dire une étude de toxicologie subchronique.

[7c’est-à-dire études de toxicologie sur rongeurs et d’alimentarité (sur poulets notamment).

[8Dont FNE pour la France.

[9Actuellement le GIET et FNE.