Actualités

Les semences de ferme ne seront pas des contrefaçons

Par Frédéric PRAT

Publié le 06/02/2014

Partager

Lors de l’examen de la proposition de loi visant à lutter contre les contrefaçons, les députés ont adopté, le 4 février, un amendement excluant les semences de ferme du champ d’application de cette loi. Car le risque était grand, selon certains mouvements paysans, que le nouvel arsenal législatif au service de la lutte contre les contrefaçons entraîne une criminalisation des paysans qui reproduisent leurs semences à la ferme, avec à la clé amendes et destruction des récoltes. Les voilà donc en partie rassurés, même si d’autres combats contre la privatisation du vivant restent à mener.

L’amendement du rapporteur de cette proposition de loi, le socialiste Jean-Michel Clément, précise explicitement que « les agriculteurs ont le droit d’utiliser sur leur propre exploitation, sans l’autorisation de l’obtenteur, à des fins de reproduction ou de multiplication, le produit de la récolte qu’ils ont obtenu par la mise en culture d’une variété protégée. Cette utilisation ne constitue pas une contrefaçon ».

Cependant, cet amendement présente de nombreuses faiblesses. En effet, le gouvernement en a limité la portée aux seules espèces « dérogatoires » définies par décret et soumises à un certificat d’obtention végétale (COV) [1] pour lesquelles les paysans doivent payer des redevances au profit des obtenteurs s’ils les ressèment (la fameuse cotisation volontaire obligatoire – CVO). Les semences de ferme de toute autre espèce restent potentiellement des contrefaçons.

En clair : on en reste pour l’instant à la loi de novembre 2011 (semence de ferme permise à condition du paiement de redevances et uniquement sur 21 variétés dérogatoires protégées par un COV) ; mais pour ces espèces dérogatoires, grâce au vote de cet amendement Clément, l’industrie ne peut plus compter sur l’aide des douanes et des autorités pour percevoir ses redevances. Seuls les accords interprofessionnels ou les décrets en Conseil d’État pourront définir les modalités de perception, et d’éventuelles sanctions en cas de non paiement. A part le blé tendre, où l’obligation de facturation par les organismes collecteurs agréés permet de prélever sur la facture de vente de la récolte, le vote de cet amendement et l’amendement dans la loi d’avenir agricole (LAAF) (limitation de la portée de la loi aux semences commerciales) ne laissent, pas plus qu’actuellement, de possibilités à l’industrie pour percevoir ses redevances.

Transformer l’essai lors de la LAAF ?

En séance, Nicole Bricq, la ministre du commerce extérieur, a donné une explication à ces limites : « Nous soutenons pleinement ces amendements. J’espère qu’ils apaiseront les inquiétudes et rassureront ceux qui suivent ces débats sur les intentions des auteurs de cette proposition de loi, dont le dessein n’est pas de faire la chasse aux agriculteurs, mais bien de lutter contre la contrefaçon (…). Il nous faut préserver l’équilibre entre performance économique et pratiques agricoles [car le secteur des semenciers] est stratégique tant au niveau sanitaire qu’économique : la France est le premier producteur européen de semences et le premier exportateur mondial », a-t-elle rappelé [2]. Autrement dit, l’industrie semencière peut encore compter sur le gouvernement pour permettre aux semenciers de percevoir des redevances sur les semences de ferme.

Un espoir subsiste. Il est prévu que soit abordé prochainement, lors du débat sur la loi agricole actuellement étudiée au Sénat, le fait qu’aucune semence de ferme ou paysanne ne puisse plus être considérée comme une contrefaçon. Ces discussions seront suivies avec attention par le monde paysan, mais aussi par les députés écologistes. Pour Brigitte Allain, députée EELV de Dordogne « il sera nécessaire d’étendre cette exception à tout matériel reproductible à la ferme, tels que les levures, les animaux, les préparations naturelles peu préoccupantes, etc. ». Enfin, Paul Molac, député UDB du Morbihan [3], élargit le débat : « Nous sommes convaincus qu’il faut lever toute ambigüité sur le brevetage du vivant, les produits agricoles ne sont pas des marchandises comme les autres ! ».

[1A ce jour, seules 21 espèces sont concernées : pois chiche, lupin jaune, luzerne, pois fourrager, trèfle d’Alexandrie, trèfle de perse, féverole, vesce commune, avoine, orge, riz, alpiste des Canaries, seigle, triticale, blé, blé dur, épeautre, pommes de terre, colza, navette, lin oléagineux. Selon la ministre, cette dérogation à l’interdiction des semences de fermes sera rapidement étendue à une quinzaine d’espèces supplémentaires

[2La France est le premier exportateur mondial de semences, avec 2,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 44% à l’export (chiffres 2012)

[3UDB est un parti de gauche autonomiste et écologiste qui siège au sein du groupe Ecolo à l’Assemblée nationale

Actualités
Faq
A lire également