n°115 - mars / avril 2012Interview / débat contradictoire

L’actualité OGM, vue par la Commission européenne

Par Inf’OGM

Publié le 10/04/2012

Partager

Interrogé par Inf’OGM, Eric Poudelet, Directeur de la Direction sécurité de la chaîne alimentaire, au sein de la Direction Générale Santé et Consommateur (DG SANCO), revient sur les principales actualités du dossier OGM au niveau européen : refus national de la culture d’OGM, commerce du miel contaminé, coexistence, évaluation, nouvelles technologies… En exclusivité pour nos lecteurs, voici la position de la Commission européenne sur l’ensemble de ces sujets.

Inf’OGM : Subsidiarité : où en sont les discussions du Conseil de l’UE ?

Eric Poudelet : Suite au vote du Parlement européen pour modifier la directive 2001/18 afin de laisser plus de liberté aux interdictions de culture GM au niveau national, c’est maintenant au tour du Conseil de l’Union européenne de voter ce texte. Il n’y a à ce jour pas d’accord entre les États membres. La présidence danoise a énormément travaillé pour essayer de débloquer la situation, mais les États sont divisés entre plusieurs groupes : ceux qui sont en faveur de cette réforme et ceux qui sont contre, soit parce qu’ils estiment que la décision d’interdiction doit relever du niveau européen, soit parce que cette possibilité va rompre l’unité du marché européen. Plusieurs options de compromis sont envisagées pour débloquer la situation lors du prochain Conseil des ministres de l’environnement prévu à Bruxelles, le 9 mars prochain.

La première option envisagée, proposée par la présidence danoise, similaire aux négociations existantes pour les produits biocides, instaurerait un système particulier de négociation entre les États membres et l’entreprise qui dépose un dossier de demande d’autorisation. Autre option : laisser la pleine souveraineté aux États membres dans le choix d’interdire. Entre les deux, différents scénarios sont déclinés.

La proposition danoise reste, en tous les cas, conforme au droit européen et au droit de l’Organisation Mondiale du Commerce. Lorsqu’un État interdit la culture d’OGM, il ne peut en revanche pas interdire la libre circulation des denrées alimentaires sur son territoire. La liberté du commerce n’est donc pas atteinte puisque la libre circulation de ces produits n’est pas remise en cause. La négociation État-entreprises per-mettra également d’éviter toute possibilité de conflit. Vraisemblablement, la position du Conseil sera très éloignée de celle votée par le Parlement. Le texte passera donc certainement par une seconde lecture du Parlement.

Inf’OGM : Comment la Commission européenne évalue-t-elle le texte français sur la coexistence, notamment à la lumière du décret français sur le « sans OGM » ?

EP : La réglementation communautaire ne définit pas le « sans OGM », elle laisse une certaine latitude aux États membres. Certains États, dont la France, ont utilisé cette possibilité pour prendre une règlementation nationale. Mais il existe des différences importantes entre ces différentes législations. La Commission européenne a lancé une étude, attendue pour mi-2012, réalisée par un cabinet d’étude extérieur, pour évaluer ces différences et envisager une meilleure harmonisation européenne. La France a notament décidé d’encadrer les produits « issus d’animaux nourris sans OGM », ce qui pose problème à l’UE. Aujourd’hui, aucune technique d’analyse ne permet de faire la différence entre, par exemple, du lait issu d’une vache nourrie avec OGM et celui de son homologue conventionnelle. Des fraudes sont possibles, et la Commission européenne a à cœur que le consommateur ne soit pas trompé. Un étiquetage volontaire « sans OGM » appelle donc à de nombreux contrôles pour éviter cela. En ce qui concerne la volonté de la France d’avoir plusieurs seuils d’étiquetage sans OGM entre le 0,1% et le 0,9%, elle peut le faire mais doit se donner les moyens de contrôler le respect de ces allégations. Bonne chance aux français !

Inf’OGM : Suite à l’affaire Bablok (présence de pollen issu de maïs MON810 non autorisé dans le miel), où en est le dossier miel au niveau européen ?

EP : L’affaire Bablock a mis en évidence le problème de la contamination du miel par du pollen n’ayant jamais reçu d’autorisation. Lors de la demande d’autorisation du maïs MON810 en 1998, Monsanto n’avait pas fait de demande d’autorisation pour l’alimentation humaine du pollen issu de cet OGM. Il n’avait donc pas fait l’objet d’évaluation sur ce point précis. À la demande de la Commission européenne, l’AESA vient de rendre un avis sur cette question et conclut à son innocuité. Monsanto n’ayant pas déposé de nouveau dossier pour le pollen, l’AESA s’est basée sur les dossiers de 1998, la littérature scientifique existante et des informations recueillies par l’AESA sur les pollens issus de plantes GM. 

La décision de la CJUE [1] conclut que le pollen est un ingrédient du miel, mais qui n’est pas ajouté après coup. Or, le pollen est plus véritablement un constituant naturel, il existe donc un flou quant à cette définition. Il serait nécessaire de modifier la directive miel pour que ce pollen soit considéré comme un constituant. Une proposition de modification devrait être présentée au Parlement et au Conseil dans les prochains mois.

Une fois que cette modification sera apportée, la règle de l’étiquetage au-delà du seuil de 0,9% s’appliquera au pollen par rapport à la quantité totale de miel pour les OGM autorisés en Europe (cf. encadré). En revanche, pas de levée de la tolérance zéro vis-à-vis des OGM non autorisés : sera interdit à la vente le miel qui contient un tel pollen.

La décision Bablok a peu d’impact économique aujourd’hui sur la filière apicole, car il n’y a que peu de tests menés. À la connaissance de la Commission européenne, il n’y a donc pas d’interdiction de vente de miel européen du fait de cette décision (cf. encadré). Elle invite les États membres à une certaine souplesse en attendant que la directive miel soit modifiée, dans la mesure où l’AESA a estimé que ce pollen était sans danger pour l’alimentation humaine, et que le MON810 est autorisé en Europe et cultivé dans six pays membres [2]. Il ne s’agit donc pas d’une levée de la tolérance zéro, mais simplement d’éviter une situation juridique délicate, dans l’attente d’une clarification de cette définition. Les États ne cultivant pas d’OGM pourront se passer de ces contrôles pour leur productions nationales de miel, mais ce ne sera pas le cas du miel provenant de zones de cultures OGM, ni provenant de pays tiers. L’affaire Bablok ne conduira pas à une levée de la tolérance zéro pour la présence d’OGM non autorisés.

Aujourd’hui, un seuil de 0,1% est admis pour les OGM destinés à l’alimentation animale et en cours d’autorisation. Pour les autres, la tolérance zéro est toujours de mise : alimentation humaine dans tous les cas, et alimentation animale lorsque l’OGM en question ne fait pas l’objet d’une procédure d’évaluation. Il y a une grosse demande de la part de certains États membres et de la part de l’industrie agro-alimentaire pour que ce seuil de 0,1% soit généralisé. La tolérance zéro pose d’importants problèmes économiques, lorsqu’il faut par exemple détruire des lots destinés à l’alimentation humaine qui ont subi des contaminations croisées. La Commission attend de voir comment évolue la modification pour l’alimentation animale, modification qui a moins d’un an [3]. Il n’y a pas encore de calendrier prévu pour ces discussions sur une éventuelle levée de la tolérance zéro.

Inf’OGM : La proposition de règlement d’application concernant les règles d’évaluation des risques instaure-t-elle la conduite obligatoire d’analyses de toxicologie et de nutrition ?

EP : Une proposition de règlement concernant les règles d’évaluation des risques est en cours de discussions. La Commission européenne a souhaité l’introduction de lignes directrices. Aujourd’hui, une étude de toxicologie de 90 jours sur les rats est prévue au cas par cas par l’AESA. La Commission européenne souhaite que cette étude soit généralisée et rendue systématiquement obligatoire. Il faut donc attendre le texte définitif pour savoir si cette obligation sera retenue ou non lors des discussions sur le texte. Dans ce règlement, il n’est pas question d’équivalence en substance et je ne comprends pas que cette notion puisse cristalliser les critiques. Il y a bien une comparaison entre un OGM et son homologue conventionnel mais il n’est pas question ici d’équivalence en substance (cf. ETATS-UNIS – Les plantes modifiées par méganucléase sont des OGM… ou pas !). Les entreprises devront respecter les analyses de risques préconisées par le règlement 1829/2003 et par la directive 2001/18.

Inf’OGM : Y a-t-il un flou entre les champs d’application de la directive 2001/18 et ceux du règlement 1829/2003 ?

EP : Si initialement, la directive 2001/18 était prévue pour la dissémination dans l’environnement et le règlement 1829 /2003 pour l’alimentation humaine et animale, on voit aujourd’hui un flou s’opérer entre le champ d’application de ces deux textes. Les entreprises qui déposent un dossier peuvent utiliser l’un ou de l’autre texte. Certains dossiers sont encore déposés sous la directive, comme par exemple le peuplier GM. (NDLR : Il ne s’agit plus que de dossiers d’essais passant obligatoirement par ce texte). Certains pétitionnaires préfèrent demander une autorisation selon le règlement 1829/2003 et ce, même si l’OGM n’est pas destiné à l’alimentation humaine. C’est le cas de BASF, qui pour sa pomme de terre Amflora a préféré passer par le règlement pour éviter tout risque en cas de contamination. Si sa pomme de terre se retrouve malencontreusement dans l’assiette d’un européen, même si ce n’est pas l’usage auquel BASF la destine, l’entreprise ne sera pas inquiétée puisque sa pomme de terre aura également été autorisée pour l’alimentation. La Commission a commandé une étude sur le cadre juridique des OGM en Europe[http://ec.europa.eu/food/food/biote…] qui conclut à une moindre utilisation de la directive 2001/18. Les deux textes sont néanmoins nécessaires. Même si la directive ne sera plus qu’utilisée à la marge, il n’est pas nécessaire de refondre entièrement le cadre juridique. Le temps et les moyens que demanderaient une telle modification ont été jugés trop importants par rapport à l’intérêt qu’elle apporterait.

Inf’OGM : Les nouvelles techniques de biotechnologie : où en est-on de leur classification ?

EP : Au sein de l’UE, il y a des discussions depuis deux ans. Le groupe de travail a identifié huit techniques [4] et réfléchit à leur inclusion dans le cadre juridique européen, sans parvenir à un accord. C’est un sujet difficile qui préoccupe beaucoup la Commission mais les scientifiques ne sont pas toujours très d’accord, ce qui est énervant. Il faudra encore plusieurs mois avant d’avoir une réponse, mais en l’absence de consensus scientifiques, ce sera aux États de prendre une décision. Là non plus, les choses ne seront pas simples.

Encadré – Quelques précisions d’Inf’OGM sur le miel

Il a quelques mois, devant la CJUE, la Commission européenne (CE) soutenait une position différente : elle demandait que le pollen soit considéré comme un constituant du miel, et non un ingrédient et échappe de ce fait à l’obligation d’étiquetage (cf §80, CJUE, 6 septembre 2012, Bablok, C-442/09). Elle affirme aujourd’hui qu’il est nécessaire de modifier la directive miel pour clarifier la « définition » du pollen, ce que vient pourtant de faire la CJUE mais dans un sens différent à ses attentes. Ingrédient ou constituant : il ne s’agit pas que d’une bataille de terminologie. Si le pollen est un ingrédient, le miel doit être étiqueté dès qu’il contient plus de 0,9% de pollen GM sur la quantité totale de pollen présent dans le miel. Si le pollen est un constituant, ne sera étiqueté que le pot de miel dont le pollen GM représente 0,9% de la quantité totale de miel, comme nous l’a précisé Eric Poudelet. En plus clair, avec cette position de la CE, le miel ne sera plus étiqueté tant le pollen représente une infime part dans le miel.

La CE affirme que la décision Bablock de la CJUE n’a pas de conséquence économique pour les apiculteurs européens. Or, selon certains syndicats agricoles dont la COAG, de nombreux apiculteurs espagnols connaissent d’importantes difficultés pour vendre leur miel à l’exportation européenne, les négociants refusant d’acheter ce miel considéré « à risque » pour les contaminations.

Actualités
Faq
A lire également